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02/05/2016

M le Maudit, de Fritz Lang

Les assassins sont parmi nous

M le Maudit

M le Maudit est le premier film parlant tourné par Fritz Lang. C’est un chef-d’œuvre du suspense. Le cinéaste fait monter la tension en mettant en scène des meurtres de petites filles. Devant l’impuissance de la police, la pègre décide de traquer elle-même le coupable. Ce film, sorti en 1931, est indissociable de son contexte, la montée du nazisme en Allemagne.

            A l’origine, le film devait s’appeler Les Assassins sont parmi nous. Fritz Lang avait prévu de tourner une séquence dans un hangar à Zeppelin, près de Berlin. Dans le courant de l’année 1931, il sollicita une autorisation de tournage auprès du directeur, un nazi convaincu. Celui-ci la lui refusa dans un premier temps. Mais une fois que Lang lui eut signifié que Les Assassins sont parmi nous racontaient l’histoire d’un tueur d’enfants, le nazi se ravisa et lui accorda son autorisation.

   m le maudit,fritz lang,peter lorre         Le cinéaste avait puisé son inspiration dans l’affaire du Vampire de Düsseldorf, un fait divers qui venait de faire la une de l’actualité, en Allemagne. L’année précédente, un homme avait été arrêté pour le meurtre de plusieurs personnes, dont une petite fille. Fritz Lang eût pu se contenter de mettre en scène l’enquête de la police et sa traque du meurtrier, ce qui eût suffi à rendre le film captivant ; mais il fit preuve d’une plus grande ambition en se concentrant sur le meurtrier, dont il fit le personnage principal de l’histoire.

            M le Maudit est un chef-d’œuvre du suspense. Dès les premières minutes, Fritz Lang fait monter la tension. Par un habile montage, il met en scène en parallèle deux actions simultanées : une fillette sort de l’école ; le plan suivant montre une jeune femme dans sa cuisine, à la maison. Elle dresse le couvert en attendant sa fille. L’enfant marche dans la rue et croise des passants sur son chemin. La mère surveille la pendule et guette le moindre bruit en provenance de l’escalier. Mais sa fille tarde à rentrer à la maison, elle est sur le point de faire une mauvaise rencontre. A ce moment-là, le spectateur, impuissant, éprouve le besoin intérieur de dire à la mère : « Votre fille est dehors, dans la rue, à quelques pas d’ici, et elle court un grave danger! » Cette séquence, entièrement muette dans ce film parlant, est l’illustration même du suspense tel qu’il sera plus tard théorisé par Hitchcock.

            Il apparaît vite à la police que le tueur de petites filles est un homme d’apparence ordinaire. Il aborde ses futures victimes en leur offrant un bonbon, puis un ballon. C’est un prédateur qui les attire dans un piège mortel. La psychose s’installe. Un simple papier de bonbon devient une pièce à conviction. La police est impuissante et son enquête piétine. Tout le monde soupçonne tout le monde. Le moindre geste prévenant à l’égard d’un enfant devient suspect. Comme le dit un responsable de la police, les assassins sont parmi nous.

Le coup de génie de Fritz Lang est d’avoir fait du meurtrier

un homme ordinaire que le spectateur finit par prendre en pitié

            La police multiplie les rafles au sein de la pègre, mais sans résultat. Les truands sont agacés du fait que l’enquête se révèle infructueuse et continue de perturber leur trafic. Pour retrouver leur tranquillité, ils se décident à traquer eux-mêmes l’assassin pour le mettre hors d’état de nuire. Chez Fritz Lang, la pègre est un véritable syndicat du crime, avec ses adhérents qui portent un numéro d’identification. Dans une ville livrée au chaos, c’est le syndicat du crime qui représente la seule autorité capable de faire régner l’ordre. Ce monde de hors-la-loi prend l’apparence de la légalité en organisant sa propre justice. Une fois capturé, le meurtrier est traduit devant un tribunal clandestin. Son président est un homme inquiétant, vêtu d’un imperméable en cuir. En ouvrant l’audience, il déclare en parlant du meurtrier présumé : « Ce monstre ne mérite pas de vivre ! Il doit être supprimé ! éradiqué ! » Le syndicat du crime décrète ainsi qui a le droit de vivre et qui n’en a pas le droit. En voyant cette scène, il est difficile de s’empêcher de penser au parti nazi alors en pleine ascension sous la République de Weimar.

            Le coup de génie de Fritz Lang est d’avoir fait du meurtrier, non un monstre froid, mais un homme comme un autre. Certes il tue, mais il n’y peut rien, tant il est prisonnier de ses pulsions. Le spectateur le voit plein de tendresse avec une fillette, alors qu’il lui offre un bonbon, puis un ballon. Fritz Lang réussit à instaurer de l’empathie entre le spectateur et le meurtrier. Quand M est, si l’on peut dire, « arrêté » par la pègre, ses yeux sont révulsés sous l’effet de la peur. Et quand il passe en jugement devant le tribunal clandestin, il n’est plus qu’un être effrayé qui a peur de mourir à son tour. Le spectateur oublie d’un coup ses crimes horribles et ses petites victimes innocentes, et finit par le prendre en pitié, voire par s’identifier à lui.

            C’était le but recherché par Fritz Lang, qui déclara quelques années plus tard : « Alors que l’étau se resserre autour du meurtrier, nous ressentons à son égard un sentiment de pitié, voire de sympathie. […] Il existe en nous assez de sauvagerie pour nous identifier avec le hors-la-loi qui défie le monde et s’exalte dans la cruauté. » Fritz Lang, fait appel, non à la raison, mais à toutes les émotions enfouies au plus profond de chacun.

 

M le Maudit, de Fritz Lang, 1931, avec Peter Lorre, DVD Wild Side Video.

18/04/2016

Le Bon Plaisir, de Francis Girod

Le Président a un enfant caché

Le Bon Plaisir

Le président de la République use des services de l’Etat pour garder secrète l’existence d’un enfant né hors-mariage. Jean-Louis Trintignant est cassant et autoritaire dans le rôle du chef de l’Etat. Le spectateur de ce film sorti en 1984 ne pouvait se douter que, dix ans plus tard, la fiction serait rejointe par la réalité.

            Le président de la République garde cachée l’existence d’un enfant adultérin. Ni son épouse légitime ni le pays ne sont au courant. Cependant, un intellectuel bien renseigné envisage de divulguer l’information auprès du grand public. Une telle révélation pourrait déstabiliser la présidence. Le sommet de l’Etat met alors en branle les services de renseignement, qui reçoivent mission, dans le plus grand secret, de neutraliser celui qui menace de ternir la réputation du chef de l’Etat.

        Le Bon Plaisir, francis girod, deneuve, serrault, trintignant, michel auclair,hippolyte girardot,     Racontés ainsi, les faits semblent relatifs à la vie privée du président Mitterrand, l’enfant pouvant être Mazarine Pingeot, et l’intellectuel Jean Edern-Hallier. En réalité, les lignes qui précèdent résument un film de fiction intitulé Le Bon Plaisir. Francis Girod en est le réalisateur, et Françoise Giroud en a écrit le scénario, ne faisant qu’adapter au cinéma son propre roman, publié – cela ne s’invente pas – aux éditons Mazarine ! En voyant ce film de nos jours, il faut garder en mémoire qu’au moment de sa sortie, en 1984, les spectateurs ignoraient tout de l’existence de la fille de Mitterrand.

            Dans la distribution, Catherine Deneuve interprète la mère de l’enfant et Michel Serrault le ministre de l’Intérieur, ami de trente ans du chef de l’Etat. C’est Jean-Louis Trintignant qui incarne le président de la République. Son travail de composition marque le spectateur. Il est autoritaire, cassant et fascinant. A l’époque, il avait déclaré s’être inspiré – on comprend mieux pourquoi aujourd’hui – de MM. Mitterrand et Chirac. On note au passage que le président fait des voyages privés au Japon et que son état de santé nécessite des injections régulières de cortisone.

Le Président confond son intérêt particulier

avec l’intérêt national

            Dans ce film, ce qui reste plus que jamais d’actualité, c’est la fâcheuse tendance du président à confondre son intérêt particulier avec l’intérêt national. Il privatise la police en la mettant au service de sa propre personne, comme si la révélation de l’existence de son enfant mettait en péril la sûreté de l’Etat. Dans ce cadre-là, il envisage des écoutes téléphoniques et délègue tout pouvoir à son ami ministre de l’Intérieur, car il ne veut pas être mêlé à cette affaire, sa main droite ignorant ce que fait sa main gauche.

            Le président ment effrontément et a toujours un calcul politique en tête. Ses réels talents d’acteur l’autorisent à nier les réalités les plus évidentes qui pourraient le gêner. Sa première qualité n’est pas la sincérité, mais l’indifférence.

            Le président déteste son dauphin et n’a qu’une idée en tête, le faire trébucher. Il est une espèce d’autiste qui a perdu toute capacité d’écoute. Ses proches n’osent plus lui dire la vérité et ne sont pas francs avec lui, de peur d’attirer sur eux le présidentiel courroux. L’une des scènes les plus révélatrices du film montre le président, dans un mouvement de colère, s’autoriser à casser un vase appartenant au mobilier national. Mais comme il le fait lui-même observer, il fait ce qu’il veut puisqu’il est le président, d’où le titre du film.

            Le spectateur de 1984 ne pouvait se douter que, dix ans plus tard, la réalité allait rejoindre la fiction. En 1994, pour couper l’herbe sous le pied au journaliste Philippe Alexandre qui s’apprêtait à en faire la révélation dans un livre à paraître, le président Mitterrand autorisa le magazine Paris-Match à publier des photos de Mazarine Pingeot, dévoilant ainsi au grand public l’existence de sa fille.

            Aujourd’hui, ce n’est pas sans ironie que l’on peut lire, dans le générique de fin du Bon Plaisir, la mention reprise ici textuellement : « Tout est imaginaire dans cette histoire. Donc : toute ressemblance, etc, etc… »

 

Le Bon Plaisir, de Francis Girod, 1984, avec Catherine Deneuve, Michel Serrault, Jean-Louis Trintignant, Michel Auclair et Hippolyte Girardot, DVD Gaumont.

04/04/2016

Médecin de campagne, de Thomas Lilti

Eloge du médecin à l’ancienne

Médecin de campagne

Dans Médecin de campagne, François Cluzet interprète un généraliste à l’ancienne, qui ne cherche pas à faire du chiffre et qui prend le temps d’écouter ses patients. Marianne Denicourt joue le médecin appelé à le seconder en vue d’un remplacement. Le film de Thomas Lilti défend une certaine idée de la médecine.

            Dans son précédent film, Hippocrate, Thomas Lilti décrivait le monde de l’hôpital ; deux ans après, il revient avec un nouveau film médical, dans lequel, comme son titre l’indique, il fait le portrait d’un médecin de campagne. Le spectateur suit le docteur Jean-Pierre Werner dans son quotidien fait de consultations à son cabinet et de visites aux malades. Dès le début du film, Jean-Pierre Werner apprend qu’il est atteint d’une tumeur. Il prend auprès de lui le docteur Nathalie Delezia, afin que, dans un premier temps, elle le seconde, en vue, à terme, de le remplacer.

        Médecin de campagne,thomas lilti,françois cluzet,marianne denicourt    Le film prend la forme d’une chronique. A la manière de Huysmans qui, dans ses romans, voulait se débarrasser de l’intrigue traditionnelle, Thomas Lilti prend prétexte de son scénario, qui est squelettique, pour montrer différentes situations auxquelles un médecin peut être confronté.

            Le Dr Werner est un médecin à l’ancienne, il ne cherche pas à faire du chiffre et prend le temps d’écouter ses patients. Comme autrefois, il reçoit chez lui, dans sa maison, sans rendez-vous ; et il fait sa tournée à travers les villages et les fermes du pays.

            Médecin de campagne délivre un certain nombre de messages dont ceux-ci :

  • Le patient a intérêt à être concis et précis quand il décrit au médecin les symptômes qu’il ressent, car il est établi qu’en moyenne un médecin coupe la parole à son patient toutes les vingt-deux secondes, alors que, dans 90% des cas, le diagnostic est contenu dans les propos du patient ;
  • Il faut faire preuve de discernement avant de décider d’hospitaliser une personne âgée, car le remède peut être pire que le mal ; le vieillard risque d’être désorienté et d’être plus affaibli à sa sortie de l’hôpital qu’il ne l’était avant ;
  • Le médecin est là pour réparer les erreurs de la nature, qui produit de belles choses, mais aussi des choses laides, car il y a une forme de barbarie dans la nature, si bien que la médecine est par essence contre-nature ;
  • L’informatique ne fait pas gagner au médecin autant de temps qu’on le croit, et souvent le gain est illusoire ;
  • Il faut se méfier des projets de maisons de santé et autres pôles médicaux, qui visent à regrouper des professionnels de santé sous un même toit, car ces projets obéissent bien souvent à des motifs financiers et sont avant tout des opérations immobilières ne répondant pas strictement à un besoin d’ordre médical ;
  • Etre médecin de campagne est un sacerdoce, à un point tel que, si le médecin prend trop à cœur son métier, il risque l’épuisement professionnel ;
  • Le médecin est un patient comme les autres, il se croit immortel et irremplaçable, mais ne l’est pas ; quand il tombe malade, il est traversé par les mêmes doutes et les mêmes angoisses que le commun des mortels.

            Dans ce film, c’est donc une certaine idée de la médecine que défend Thomas Lilti, lui-même ancien médecin.

            Médecin de campagne est remarquablement interprété par François Cluzet et Marianne Denicourt, lui dans le rôle du médecin titulaire et elle dans le rôle du médecin remplaçant. Il la rabroue et ils se chamaillent de temps en temps, comme dans les comédies américaines d’antan.

 

Médecin de campagne, de Thomas Lilti, 2016, avec Fraçois Cluzet et Marianne Denicourt, actuellement en salles.