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13/04/2015

Les Invités de mon père, d'Anne Le Ny

Le vieillard et la sans-papiers

Les Invités de mon père

Un retraité aisé, militant antiraciste, héberge une jeune étrangère sans-papiers avec qui il envisage un mariage blanc, de façon à lui permettre de rester en France. Ses deux enfants ne savent pas quoi penser et se demandent si leur père n’est pas manipulé. Le film d’Anne Le Ny traite d’un sujet de société sensible sans faire la leçon à quiconque.

            Lucien Paumelle a toujours eu le sens de l’engagement. Pendant la guerre, il a été résistant. Puis, pendant des années, en tant que médecin, il n’a pas hésité à effectuer des avortements clandestins. C’est un homme qui a toujours cherché à mettre en accord ses actes avec ses convictions d’homme de gauche. Aujourd’hui Lucien Baumelle est en retraite. Depuis la mort de sa femme, il vit seul. Mais son sens de l’engagement reste intact. Il milite au sein d’une association de défense des sans-papiers et s’apprête à héberger une famille dans son appartement.

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            Alors qu’il s’attend à accueillir une famille sénégalaise, au lieu de cela, il est chargé d’héberger une Ukrainienne, Tatiana, et sa fille Sorina, une enfant d’une dizaine d’années. Tatiana est une jeune femme blonde élancée, aux allures de pin-up. Elle conquiert le cœur de Lucien. Quand elle tient des propos à caractère raciste, lui, le militant antiraciste, ferme les yeux et lui trouve des circonstances atténuantes, attendu que, venant d’un pays qui a été soumis au totalitarisme, elle ne peut avoir les mêmes facultés de discernement que les Français. Il va jusqu’à envisager de contracter un mariage blanc pour lui éviter d’être expulsée.

            Les Invités de mon père traite d’un sujet de société sensible, le problème des sans-papiers et des mariages blancs, et, au-delà, il pose la question des personnes qui, du fait de l’âge, semblent perdre leur lucidité. Arnaud et Babette sont désemparés, confrontés qu’ils sont à une situation qui n’est pas simple. Ils ne savent pas très bien quoi penser. Tatiana est-elle sincère ? Est-elle vraiment une jeune maman en détresse, qu’il faut aider ? ou n’est-elle pas plutôt une manipulatrice décidée à extorquer leur père ? Si c’est effectivement le cas, comment peuvent-ils espérer lui ouvrir les yeux avant que ses comptes en banque soient complètement à sec ? A chaque instant, ils risquent le faux-pas.

            Un matin, Lucien Baumelle invite, ou plutôt convoque, ses deux enfants à son domicile. Dans un préambule il leur fait remarquer qu’ils vivent dans l’aisance et leur déclare qu’il vaut mieux « que l’argent aille à ceux qui en ont vraiment besoin. » En conséquence, il veut faire de Tatiana son unique héritière. Quand son fils lui indique qu’il n’a pas le droit de déshériter ses enfants, Lucien répond qu’il en est pleinement conscient. Il leur demande donc de renoncer d’eux-mêmes à leur part d’héritage et leur soumet un document préparé par le notaire, qu’il leur demande de signer. Arnaud et Babette s’exécutent et paraphent ledit document, mais le vivent très mal. Babette, qui a toujours soutenu son père, repart en pleurs. Ce n’est pas une question d’argent, ni l’un ni l’autre n’en manquent, mais ils ont l’impression d’être reniés. De fil en aiguille, c’est toute la famille qui finit par être déstabilisée.

            Les Invités de mon père est très bien interprété, notamment par Michel Aumont dans le rôle de Lucien Paumelle. Fabrice Luchini, qui interprète Arnaud, est égal à lui-même. Karin Viard joue Babette, la fille qui a épousé les idées de son père et qui aura bien des désillusions ; on l’entend tenir quelques propos crus. La réalisatrice Anne Le Ny fait bien ressortir les contradictions qui tiraillent les personnages, mais elle ne juge pas et ne fait la leçon à personne.

 

Les Invités de mon père, d’Anne Le Ny, 2010, avec Fabrice Luchini, Karin Viard, Michel Aumont, Valérie Benguigui et Veronika Novak, DVD TF1 Vidéo.

23/03/2015

La Femme modèle (Designing Woman), de Minnelli

Gregory Peck, à contre-emploi, fait rire à ses dépens

La Femme modèle

(Designing Woman)

Ce film est rempli de gags dont le très sérieux Gregory Peck est la victime. Il est traité de haut par Lauren Bacall, qui joue le rôle de son épouse. Minnelli, en les opposant tous les deux, crée un véritable comique de situation. La femme modèle est un exemple type de la comédie américaine de la grande époque.

            A ses débuts au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Gregory Peck eut du mal à convaincre les producteurs et les réalisateurs qu’il possédait un réel talent d’acteur. Sa carrure et son allure avantageuse lui permirent de décrocher des rôles, mais son jeu fut considéré comme froid, inexpressif et inconsistant. Avec son physique d’armoire à glace et son impassibilité apparente, il  semblait incapable de susciter la moindre émotion chez le spectateur.

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            Par la suite, contre toute attente, Gregory Peck montra qu’il était capable de jouer la comédie. Ce fut Vacances romaines (Roman Holidays), dans lequel il donnait la réplique à Audrey Hepburn, puis La Femme modèle (Designing Woman), de Minnelli.

            Dans ce film, Gregory Peck joue le rôle d’un journaliste qui fait la connaissance d’une modéliste interprétée par Lauren Bacall. C’est le coup de foudre. Ils se marient très vite, sans vraiment se connaitre l’un et l’autre. Or ils évoluent dans des univers très différents. Leurs milieux professionnels, leurs fréquentations et leurs goûts n’ont rien de commun. Gregory Peck s’intéresse surtout aux sports - qu’il suit pour son journal – et s’épanouit dans l’atmosphère enfumée des salles de boxe, son seul loisir consistant à jouer aux cartes avec des camarades. De son côté, Lauren Bacall est plus intellectuelle et plus raffinée, elle travaille dans le milieu de la mode et fréquente des artistes, notamment un maître de ballet que son mari trouve bien efféminé. Elle est sûre d’elle-même, affiche une certaine supériorité intellectuelle et regarde son mari de haut. Elle habite un vaste appartement décoré avec goût, tandis que lui vit dans un deux-pièces qui ressemble à un fourbi à l’intérieur duquel règne un désordre innommable. Il n’est pas question pour elle d’habiter chez lui, il devra emménager chez elle et s’adapter à ses habitudes.

            Mais ce n’est pas tout, Gregory Peck a omis de préciser un point de détail. Il n’a pas informé son épouse de la liaison qu’il a eue avec une jeune femme. Au bout de quelques temps, Lauren Bacall finit par avoir des soupçons. Mais lui n’a pas le courage de dire la vérité et de reconnaitre l’existence de cette relation, qui pourtant appartient au passé. Il nie l’évidence et finit par s’enferrer dans ses mensonges. Or, elle n’aime pas être menée en bateau et n’entend pas jouer le rôle d’épouse bafouée. La confrontation est inéluctable.

            Dans La Femme modèle, Minnelli arrive à créer un véritable comique de situation. Le film est rempli de gags dont le très sérieux Gregory Peck est la victime ; ces gags sont « tarte à la crème » au sens propre comme au sens figuré. Gregory Peck, avec ses problèmes de pantalon, fait rire à ses dépens. Sa prétendue impassibilité devient un atout et renforce le comique de situation. Si le film, avec ses qui-propos, a des allures de vaudeville, aucune scène n’est de mauvais goût. Dans cette comédie burlesque, il y a quelques bagarres ; Gregory Peck est poursuivi par des gangsters, mais ils ne font pas vraiment peur. Et puis, Minnelli n’oublie pas qu’il est le réalisateur d’Un Américain à Paris (An American in Paris), il a une manière particulière de filmer les bagarres. Chez lui, elles sont réglées comme des ballets. On peut presque dire qu’il développe ici une esthétique de la bagarre.

            Tourné en cinémascope et en couleurs, La Femme modèle est un exemple type de la comédie américaine de la grande époque, faite d’un bon scénario, de bons acteurs et de décors soignés. Selon les canons du genre, l’homme et la femme se rencontrent, se chamaillent et prennent conscience qu’ils sont devenus inséparables.

 

La Femme modèle (Designing Woman), de Vincente Minnelli, 1957, avec Gregory Peck, Lauren Bacall, Dolores Gray, Sam Levene et Tom Helmore, DVD Warner Bros.

09/03/2015

Avant l'aube, de Raphaël Jacoulot

Entre Simenon et Chabrol

Avant l’aube

Sorti en 2011, Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, renoue avec une certaine tradition du film policier, qui semblait à jamais perdue. Il n’y a quasiment pas de scène violente, le rythme n’est pas précipité, et pourtant le spectateur ne s’ennuie pas. On pourrait presque croire que ce film est l’adaptation d’un roman de Simenon, réalisée par Claude Chabrol.

            Pendant plus de cinquante ans le cinéma français produisit de nombreux films policiers. A la fin des années 80, le genre disparut quasi-complètement des grands écrans, la télévision prenant le relais. Ce fut l’époque des Navarro, Julie Lescaut et Cordier, qui assurèrent des succès d’audience à la chaîne qui les diffusait. Dans les années 2000, le film policier fit son retour, mais sous une forme renouvelée. La société étant devenue plus violente et la police s’étant beaucoup transformée, les œuvres produites se voulurent plus proches de la réalité, d’où à l’écran des scènes et des dialogues crus, combinés à une violence exacerbée, le tout soutenu par un rythme rapide.

  avant l’aube,raphaël jacoulot,jean-pierre bacri,vincent rottiers,ludmila mikaël,sylvie testud,céline sallette,xavier robic          Avant l’aube, sorti en 2011, semble renouer avec une certaine tradition qui semblait à jamais perdue. Le réalisateur Raphaël Jacoulot prend le temps d’exposer les personnages et le décor de  son film, qui ne contient presqu’aucune scène de violence. On pourrait presque croire, bien que cela ne soit pas le cas, qu’Avant l’aube est l’adaptation d’un roman de Simenon réalisée par Claude Chabrol. Ainsi, comme souvent chez Simenon et chez Chabrol, l’histoire se passe dans une famille de la bourgeoisie.

            Jacques Couvreur, un quinquagénaire peu agréable, est le propriétaire d’un grand hôtel, situé à flanc de montagne, quelque part en Savoie. Il ne s’entend pas très bien avec son fils Arnaud, un jeune homme qui approche de la trentaine. Une nuit, sur une route enneigée, Arnaud provoque un accident mortel de la circulation. Désemparé, il alerte son père, qui arrive aussitôt sur les lieux. Les deux hommes font face, ils se débarrassent du cadavre et font disparaitre toute trace de l’accident. Il n’y a plus de raison qu’Arnaud soit inquiété. Sauf que Frédéric, un jeune portier stagiaire qui assurait son service cette nuit-là, a tout compris des événements. Et, de son côté, Jacques Couvreur comprend que Frédéric a compris. Si le garçon se met à table devant les enquêteurs, Arnaud est perdu.

            Dans le film, le personnage de Jacques Couvreur ne fait aucun effort pour susciter la sympathie et se montre autoritaire, y compris à l’égard de sa famille. Il ne déborde pas d’amour et de tendresse dans ses faces-à-faces avec son fils Arnaud. Seul Frédéric bénéficie de ses faveurs.

            Malgré son jeune âge, Frédéric traîne un lourd passé qu’il vaut mieux ne pas connaitre. Son stage constitue une chance unique d’insertion professionnelle. Mais, dans cet hôtel, il est presqu’à contre-emploi. Alors que les clients sont bien éduqués, parlent correctement et respectent la forme interrogative dans leurs questions, lui-même se montre à peine poli avec eux, en murmurant des phrases telles que : « C’est quoi votre nom ? » ou « Ben, j’sais pas… ».

            Jacques Couvreur fait tout ce qu’il faut pour se montrer agréable avec Frédéric. Mais il ne faut pas se méprendre, il n’a qu’une idée en tête : sauver son hôtel et sa réputation. L’altruisme n’est pas son fort. Dans le film, on le voit essayer de mener en bateau l’inspecteur de police, une jeune femme qui donne l’impression de mener son enquête avec beaucoup de détachement et qui prend ses aises dans les salons de l’hôtel.

            Avant l’aube est un film qui procure du plaisir aux nostalgiques d’une certaine forme de cinéma. Le rythme et le montage ne sont pas précipités, les plans sont relativement longs, mais le film n’est pas du tout ennuyeux. Jean-Pierre Bacri se montre très désagréable dans le rôle de Jacques Couvreur, le propriétaire de l’hôtel. Frédéric est interprété par Vincent Rottiers, dont les silences sont éloquents. Quant à Sylvie Testud, elle incarne l’inspecteur de police, et son côté quelque peu casse-pieds finit par irriter Jean-Pierre Bacri.

 

Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, 2011, avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël, Sylvie Testud, Céline Sallette et Xavier Robic, DVD TF1 Vidéo.