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12/01/2015

Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville

Archétype du film de gangsters signé Melville

Le Deuxième Souffle

Lino Ventura joue le personnage de Gu, un gangster sur le retour. Il s’associe à des truands qui préparent l’attaque d’un fourgon de la Banque de France, et prévoit d’abattre de sang-froid les deux motards d’escorte. Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters tel que le conçoit Melville. Le temps s’écoule lentement, l’image est froide, mais le spectateur finit par s’attacher aux personnages.

            De film en film, Jean-Pierre Melville a su créer un style qui lui soit propre. Certes il a emprunté des éléments aux films noirs américains, mais s’est bien gardé de réaliser de simples pastiches. Il a réussi à construire une œuvre originale, qui, depuis, a inspiré d’autres cinéastes, notamment américains, dans une espèce de mouvement d’aller et retour de part et d’autre de l’Atlantique.

   le deuxième souffle,jean-pierre melville,lino ventura,paul meurisse,raymond pellegrin,christine fabrega,paul frankeur,michel constantin,marcel bozzuffi         Le Deuxième Souffle est bâti autour du personnage de Gu, truand sur le retour qui s’évade de prison. Dans sa cavale, il entre en contact avec les membres d’un gang qui cherchent un homme sûr et loyal pour les aider à monter un coup. Ils ont pour objectif d’intercepter et de dévaliser un fourgon de la Banque de France. Ils cooptent Gu, qui, fort de son expérience, doit tenir un rôle essentiel à la réussite du coup. Gu sera donc de la partie, mais, comme il est fatigué et a déjà beaucoup donné, il décide que cette participation sera la dernière avant son retrait définitif.

            Le Deuxième Souffle représente l’archétype du film de gangsters signé Melville. Dès les premières images, une atmosphère lugubre s’installe : c’est l’hiver, il fait froid, la nuit est tombée, il n’y a pas un bruit, de hauts murs apparaissent, Gu est en train de s’évader. Dans le film, les gangsters sont habillés en gangsters, avec gabardines et chapeaux mous, et ils roulent dans de grosses américaines. On pourrait se croire en Amérique ; ainsi l’attaque du fourgon sur une petite route déserte à flanc de colline, rappelle les attaques de diligence dans le Far-West. Mais l’action se situe bien en France, en Provence pour l’essentiel. Ici, ce n’est pas la Provence de Pagnol et de Raimu qui est montrée, il fait froid dans les rues de Marseille et aucun personnage ne parle avec l’accent du Midi.

            Les truands ont une morale très particulière. Lorsqu’ils attaquent le fourgon bancaire, ils abattent de sang-froid les deux motards d’escorte. Cela n’amuse nullement Gu d’agir ainsi, mais il dit ne pas pouvoir faire autrement. En revanche, il ne transige pas avec le code d’honneur du milieu et refuse, après son arrestation, de livrer le nom de ses complices. On en arrive même à une bizarrerie quand Gu décide de liquider le haut-fonctionnaire qui a donné le « tuyau » sur le fourgon, car, précise Gu, quelqu’un qui vend ses hommes et les envoie à la mort, n’est pas digne de confiance.

Le spectateur est en proie

à un sentiment ambivalent

            Au moment crucial du film, Melville fait monter la tension ; il dilate le temps à son maximum dans la scène qui précède l’attaque du fourgon. Les minutes s’écoulent lentement et, pendant ce temps, le spectateur est en proie à un sentiment ambivalent. D’un côté il est mal à l’aise en pensant aux deux motards d’escorte qui vont mourir, et de l’autre il souhaite la réussite du coup, car il a fini par s’attacher et s’identifier au personnage du Gu.

            Lino Ventura incarne Gu. Avec son pardessus, son chapeau, sa moustache et ses lunettes, il annonce le personnage qu’il jouera trois ans plus tard dans L’Armée des ombres du même Melville. Dans Le Deuxième Souffle, il est une silhouette, presqu’un spectre. On retrouve ici un thème récurrent dans l’œuvre de Melville : l’homme condamné d’avance, qui ne peut échapper à son implacable destin.

            Le film oppose deux policiers aux styles et aux méthodes opposés. Paul Meurisse joue un commissaire qui se comporte en gentleman avec les gangsters et leurs maîtresses ; il est digne de respect, tandis que Paul Frankeur incarne un policier aux méthodes plus directes et plus brutales. Là aussi, une forme de morale très particulière finira par triompher.

            Le film est long, il dure plus de deux heures, il est lent, et l’image en noir et blanc est froide. Certains spectateurs préfèreront « un bon vieux Jean Gabin » dialogué par Audiard, dans lequel les répliques fusent, si bien qu’on ne risque pas de s’ennuyer. Ici, il n’y a pas de bons mots, pas de dialogues inutiles, les personnages ne parlent que quand ils ont quelque chose à dire. Il n’y a pas de lourdeur non plus. Le Deuxième Souffle peut déstabiliser le jeune spectateur qui serait dopé au rythme trépidant des réalisations contemporaines. Mais, s’il se montre patient, il finira par s’attacher aux personnages et découvrira peu à peu des qualités insoupçonnées à l’œuvre de Melville.

 

Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville, 1966, avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Raymond Pellegrin, Christine Fabrega, Paul Frankeur, Michel Constantin et Marcel Bozzuffi, DVD René Château Vidéo.

15/12/2014

Le Voyage en Italie, de Rossellini

Le miracle de Rossellini

Le Voyage en Italie

Un couple se délite sous les yeux du spectateur. A l’occasion d’un voyage en Italie, M. et Mme Joyce en sont réduits à un tête-à-tête difficilement supportable. Ils échangent des propos aigres-doux et ne cessent de se disputer, même si en gens bien élevés ils n’élèvent jamais la voix. Seul un miracle pourrait sauver leur union. Dans ce film regardé aujourd’hui comme un chef-d’œuvre, Rossellini dirige Ingrid Bergman et George Sanders.

            Un couple de Britanniques, M. et Mme Joyce, fait un voyage en Italie suite au décès de leur oncle. Ils ont hérité de sa villa de Capri et se rendent sur place pour procéder à la vente. Très vite le spectateur s’aperçoit que M. et Mme Joyce ne s’aiment pas beaucoup. Leur entente n’est que de façade, elle est uniquement destinée au monde extérieur. Quand ils sont tous les deux, leur conversation se limite à l’échange de propos aigres-doux. Leur couple est en train de se déliter.

           le voyage en italie,rossellini,ingrid bergman,george sanders Le spectateur est invité à partager leur vie quotidienne et, de fait, pourrait se sentir comme un étranger. Après tout, c’est une situation qui met mal à l’aise que d’assister à des scènes de ménage. Pourtant le spectateur s’attache à M. et Mme Joyce. Transformé en psychothérapeute de salon, il essaye d’analyser les déboires du couple et veut comprendre comment ils ont pu en arriver là.

            M. et Mme Joyce sont d’âge mûr. M. Joyce est bien bâti et distingué. Madame Joyce, malgré la quarantaine approchant, reste belle et n’a pas encore perdu toute sa fraicheur. Ils n’ont pas de problème d’argent : ils roulent en Rolls-Royce et la perspective de prendre l’avion – nous sommes en 1954 - leur parait naturelle. Vis-à-vis du monde extérieur, en face de leurs amis notamment, ils sont très posés et donnent l’image d’un couple uni.

            Mais M. et Mme Joyce sont partis pour l’Italie sans leurs amis. Après huit ans de mariage, ce voyage constitue l’une des rares fois où ils sont condamnés à être tous les deux seuls, ils en sont réduits à un tête-à-tête difficilement supportable. Ils sont étrangers l’un pour l’autre et s’aperçoivent qu’ils n’ont aucun centre d’intérêt en commun. Mme Joyce est intellectuelle, elle a un côté romantique qui fait ricaner son mari, elle est férue de poésie et aime visiter les musées. Lui, déteste les musées ; il prétend s’y ennuyer. Il préfère une bonne bouteille de vin, la compagnie de jolies filles, et, dit-il, l’action.

            Le couple n’a pas d’enfant. D’où une souffrance de Mme Joyce qui trouve si beaux les enfants italiens. Ils n’ont qu’une seule voiture, objet de dispute. Un matin, alors que Monsieur continue de dormir, Madame emprunte la Rolls pour faire un tour en ville. A son retour, elle trouve son mari furieux qu’elle ne lui ait pas demandé si cela le gênait qu’elle prenne la voiture. Mais, comme les Joyce sont des gens bien élevés, jamais ils n’élèvent la voix. Toujours ils gardent leur sang-froid, la colère est intérieure. Cette dispute est l’incident de trop. Ils envisagent le divorce.

            Seul un miracle pourrait sauver le couple.

            Mme Joyce est interprétée par Ingrid Bergman, la compagne de Rossellini. Quant à M. Joyce, il est incarné par George Sanders. Le rôle semble avoir été écrit pour lui. Il est désabusé et traîne son ennui à travers l’Italie. Seul un verre de vin ou le sourire d’une jolie fille le sortent de sa torpeur. La version originale est en anglais ; ce qui permet au spectateur de profiter de la voix chaude et onctueuse de George Sanders, et de l’accent scandinave d’Ingrid Bergman.

            De nos jours, Le Voyage en Italie est regardé comme un chef d’œuvre de Rossellini. La scène finale du film permet de comprendre pourquoi le réalisateur fut considéré par certains comme un cinéaste d’inspiration catholique.

 

Le Voyage en Italie, de Roberto Rossellini, 1954, avec Ingrid Bergman et George Sanders, DVD Arte Editions.

01/12/2014

Casque d'or

Echec à sa sortie, film mythique aujourd’hui

Casque d’Or

Au fil des rediffusions à la télévision, le film de Jacques Becker a acquis le statut de film mythique. Simone Signoret est resplendissante dans le rôle de Marie. Elle séduit Serge Reggiani qui joue le rôle d’un charpentier nommé Georges Manda. On les voit tous deux danser la valse dans la scène d’ouverture du film, restée mémorable.

            Le film fut un échec commercial. A sa sortie en 1952, un certain nombre de spectateurs furent décontenancés. Ils s’attendaient à un film policier et, au lieu de cela, ils découvraient à l’écran une histoire se déroulant dans le Paris des années 1900. Qui plus est, l’histoire mettait en scène des Apaches, c'est-à-dire les voyous de la Belle Epoque. Les spectateurs ressortirent déçus. Ce n’est que par la suite et avec les années, au fil des ressorties en salles et des diffusions à la télévision, que Casque d’Or acquit sa réputation de film mythique.

          casque d'or,jacques becker,simone signoret,reggiani  La séquence d’ouverture est la plus mémorable. Un beau dimanche d’été, dans une guinguette des bords de Marne, un menuisier nommé Georges Manda finit d’installer une estrade, quand une bande de jeunes gens turbulents vient s’installer à une table. L’une des filles, Marie, dite Casque d’Or du fait de sa coiffure, se montre très aguicheuse. Par provocation, elle fait de l’œil à Manda et lui demande si les charpentiers savent danser. Pour le lui montrer, il l’invite à valser avec lui. Ils dansent ensemble et, au moment de se séparer, ils promettent de se revoir. Mais Manda va se heurter à Félix, protecteur de Marie et chef de la bande d’Apaches.

            Casque d’Or vaut d’abord pour les acteurs. Simone Signoret, dans le rôle de Marie, est moqueuse et étincelante. Elle est âgée de trente ans quand elle tourne le film, et sa beauté est resplendissante sous ses cheveux blonds. De nos jours, le spectateur est d’autant plus ému de la voir ainsi qu’il sait que bientôt les années compteront double pour elle, sa beauté ne tardera pas à se faner et ne sera plus qu’un lointain souvenir.

            Serge Reggiani, dans le rôle de Manda, est presque méconnaissable, tant ses bacchantes à la mode 1900 lui donne un air sombre. Reggiani raconta des années plus tard que Simone ne savait pas danser la valse et qu’il avait dû la lui apprendre à cette occasion. En 1973, il enregistra une chanson intitulée Un menuisier dansait, dédiée à Simone Signoret.

            Claude Dauphin joue le rôle de Félix. Il exige de ses hommes qu’ils portent un chapeau et non une casquette, afin de ne pas se faire remarquer. Il cherche une forme de respectabilité. Ce qui ne l’empêche pas d’être cynique à l’occasion. Ainsi il fait liquider un garçon de café qui avait mouchardé ; pour éloigner les soupçons, il se désole en public de sa mort, et pousse le vice jusqu’à organiser une quête pour aider sa grand-mère.

Les hommes règlent leurs comptes

à coups de couteau

            Becker a reconstitué avec soin l’atmosphère du Paris 1900. On y voit des bourgeois en habit et à haut-de-forme venir s’encanailler dans un caf-conc au milieu des ouvriers à casquette. Ils ne seront pas déçus du déplacement.

            Le film est sombre. Les hommes règlent leurs comptes à coups de couteau, et la vie, pour eux, n’a pas grand prix. Seule l’amitié, comme souvent chez Becker, finit par montrer sa force, ainsi que l’amour. Une séquence insolite détonne dans cette histoire. On y voit Marie et Manda pousser la porte d’une église et s’y attarder quelques minutes pour apercevoir une cérémonie de mariage.

            Jacques Becker fut affecté par l’échec de son film, lui qui rêvait tant du succès. Si bien que, pour son film suivant, il prit le contre-pied de Casque d’Or. Il se décida à réaliser un grand film policier qui aurait les faveurs du public. Après bien des hésitations, il recruta Jean Gabin et cela donna Touchez pas au grisbi, d’après un roman d’Albert Simonin. Et enfin, Becker obtint un succès à la fois public et critique. Touchez pas au grisbi relança la carrière de Gabin qui retrouva la popularité qui avait été la sienne avant la guerre.

 

Casque d’Or, de Jacques Becker, 1952, avec Simone Signoret, Serge Reggiani, Claude Dauphin et Raymond Buissière, DVD StudioCanal.