03/03/2014
Un crime au Paradis, de Jean Becker
Un régal d’humour noir
Un crime au Paradis
Le film de Jean Becker est un régal d’humour noir. Jacques Villeret interprète un cultivateur qui exploite le domaine du Paradis. Il est tyrannisé par sa femme, jouée par Josiane Balasko. Il va la tuer et sera défendu aux assises par un avocat interprété par André Dussolier. Les acteurs sont truculents à souhait.
Fils du grand cinéaste Jacques Becker, Jean Becker est devenu, lui aussi, réalisateur. Il a obtenu un succès public en 1983, avec L’Eté meurtrier. Dans les années 1990 et 2000, il s’est spécialisé dans les films de terroir que ses détracteurs jugent passéistes et franchouillards. Il est vrai que Jean Becker a tendance à nous présenter une France qui n’existe plus. Chez lui, pas de supermarché et guère de grands ensembles. Un crime au paradis, tourné en 2004, n’échappe pas à la règle. L’histoire se passe dans un village « traditionnel » au cœur duquel on trouve une épicerie et des petits commerces. Précisons toutefois que le film est censé se dérouler en 1980 ; le spectateur comprend vite que Becker a choisi cette année-là parce que la peine de mort était encore en vigueur en France.
Jacques Villeret joue le rôle d’un cultivateur. Il exploite un domaine qui s’appelle le Paradis. Sa femme, Josiane Balasko, le tyrannise et fait de sa vie un enfer. Elle lui crève les quatre pneus de sa voiture, prétend avoir uriné dans sa soupe et, un jour, sacrilège, elle jette au feu le trésor de son mari : sa collection de timbres. Pour Villeret, c’en est trop. Un soir, au journal télévisé, il entend un célèbre avocat, joué par André Dussolier, qui s’est fait un nom en obtenant l’acquittement de ses clients accusés de meurtres.
Villeret le rencontre en consultation et, lors de l’entretien, fait mine d’avoir déjà tué sa femme. Dussolier le presse de questions, il lui demande des détails sur les circonstances du crime, afin de savoir si un acquittement est envisageable (Dussolier : « Vous avez tué votre femme avec un couteau ? […] Bien, vous l’auriez empoisonnée, il y aurait eu préméditation. »). En réalité, Villeret adapte ses réponses en fonction de ce que l’avocat veut entendre. Dussolier définit la stratégie à suivre sans savoir qu’il est en train de renseigner son client sur un crime qu’il n’a pas encore commis. Fort des conseils de son avocat, obtenus sur un malentendu, Villeret rentre au Paradis et passe à l’acte.
Ce film, nouvelle version de celui de Sacha Guitry intitulé La Poison, est un régal. Le spectateur s’amuse beaucoup, à condition de ne pas être rétif à l’humour noir. Les acteurs sont truculents à souhait, ce qui est devenu rare dans le cinéma contemporain. Villeret est on ne peut plus naïf, Balasko est délicieusement odieuse, Suzanne Flon, dans le rôle de la maîtresse (d’école), est la douceur même, et Dussolier donne l’impression d’avoir été avocat toute sa vie. A l’audience de la cour d’assises, il a fort à faire dans le duel qui l’oppose à Daniel Prévost, très sérieux dans son rôle d’avocat général qui requiert, « sans haine mais sans faiblesse », la peine capitale pour l’accusé. Le tribunal ressemble à un cirque dans lequel les numéros d’artistes se succèdent. Dussolier nous donne une leçon : devant la Justice, la victoire revient à la partie qui bluffe le mieux.
Un crime au Paradis, de Jacques Becker (2004), avec Jacques Villeret, Josiane Balasko, André Dussolier, Suzanne Flon et Daniel Prevost, DVD Paramount.
09:10 Publié dans Comédie, Film | Tags : un crime au paradis, jacques becker, villeret, balasko, dussolier, suzanne flon, daniel prevost | Lien permanent | Commentaires (0)
17/02/2014
Sous le ciel de Paris, de Julien Duvivier
Vingt-quatre heures au cœur du peuple de Paris
Sous le ciel de Paris
Julien Duvivier offre une plongée d’une journée au cœur de Paris. Pendant vingt-quatre heures des gens simples vont voir leur destin s’entrecroiser et leur vie basculer. Les personnages sont plein de vie, on y entend une célèbre chanson et pourtant le film est sombre
Pour la postérité, Sous le ciel de Paris est d’abord une chanson qui aura été interprétée par les plus grands : Piaf, Montand, Mireille Mathieu, Claveau, les Compagnons de la chanson… Quelques personnes se souviennent peut-être que ce morceau est tiré d’un film de Julien Duvivier, dont le titre complet, indiqué au générique, est Sous le ciel de Paris coule la Seine.
Tourné à l’été 1950, le film nous offre une plongée d’une journée dans la vie de la capitale, du lever au coucher du soleil. Ce ne sont pas les monuments qui intéressent Duvivier, mais les habitants qui font vivre la ville, et de préférence les gens simples. Pendant vingt-quatre heures, nous suivons la destinée d’une jeune fille de province débarquant gare d’Austerlitz ; nous rencontrons son fiancé qui passe ce jour le concours d’internat de médecine à l’Hôtel-Dieu ; au même moment une vieille demoiselle de soixante-et-onze ans cherche dans son quartier de la nourriture pour ses chats ; une petite fille rentre de l’école tremblant de peur à la perspective de montrer à ses parents son médiocre carnet de notes ; un peintre névrosé succombe à ses démons ; quai de Javel, des ouvriers se mettent en grève ; le chanteur Jean Bretonnière leur donne une aubade, il crée la chanson Sous le ciel de Paris à l’intention de l’un des ouvriers dont la famille célèbre l’anniversaire de mariage au cours d’un pique-nique sur les berges de la Seine.
Pendant vingt-quatre heures nous suivons tous ces personnages dont les destins vont s’entrecroiser. Le soleil est là, Paris resplendit, les personnages sont pleins de vie et les enfants sont gouailleurs. Malgré tout, l’histoire virera au tragique, voire au tragi-comique. Il faut dire que les films de Duvivier sont en général sombres et pessimistes. Ici, Duvivier raconte une histoire qui, par sa noirceur, rappelle un autre de ses films : La Belle Equipe, tourné avec Jean Gabin, en plein Front populaire. On y voyait des ouvriers monter une guinguette et, au final, échouer dans leur entreprise.
Sous le ciel de Paris a François Périer pour narrateur. Le commentaire, écrit par Henri Jeanson, est plein d’ironie. Son texte peut paraître lourd au premier abord, mais au fur et à mesure que le film avance, le spectateur est pris par les personnages et se demande comment la journée finira pour chacun d’entre eux. Il n’y a pas de vedette dans ce film ; Duvivier avait préféré miser sur des acteurs inconnus. Seuls Brigitte Auber, qui tournera sous la direction d’Hitchcock, et Paul Frankeur feront carrière.
Sous le ciel de Paris, de Julien Duvivier (1951), avec Brigitte Auber, Paul Frankeur et la voix de François Périer, DVD René Chateau Vidéo.
09:14 Publié dans Comédie dramatique, Etude de moeurs, Film | Tags : sous le ciel de paris, duvivier, brigitte auber, paul frankeur, françois périer, jeanson | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2014
Rio Bravo, de Hawks
Grand classique du western
Rio Bravo
Dans Rio Bravo, John Wayne incarne un shérif assez maladroit qui s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Il est entouré d’adjoints, joués par Dean Martin et Walter Brennan, qui se montrent encore moins à la hauteur que lui. Ce western fait aujourd’hui référence et pourtant on n’y trouve pas de scène d’action spectaculaire.
En 1952, le western Le Train sifflera trois fois (High Noon), de Fred Zinnemann, rencontra un immense succès. Pourtant, un homme n’aima pas le film : le réalisateur Howard Hawks fut révulsé de voir à l’écran la lâcheté des habitants d’une petite ville américaine. Le shérif, joué par Gary Cooper, attendait une bande de hors-la-loi venus se venger. Il était abandonné de tous, y compris de sa femme jouée par Grace Kelly. En réaction, Howard Hawks réalisa Rio Bravo, un western plus conforme à l’esprit américain tel qu’il le concevait.
Point commun entre les deux films : un shérif s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Dans Rio Bravo, le shérif John T. Chance emprisonne un homme pour meurtre. Mais le frère du détenu est un riche propriétaire et il claironne qu’il va monter une expédition punitive pour le délivrer. C’est là que Rio Bravo prend le contre-pied du Train sifflera trois fois. Si, dans le film de Zinnemann, Gary Cooper est abandonné de tous, dans Rio Bravo le shérif reçoit des propositions d’aide venus de la communauté, qu’il va juger inutiles et décliner l’une après l’autre.
Mais attention, nous sommes dans un film de Hawks, il n’y a pas de super-héros. Le shérif Chance a beau être joué par John Wayne, il ne se montre pas à la hauteur. Il est entouré d’adjoints qui le gênent plus qu’ils ne l’aident. L’un, Dude, joué par Dean Martin, est alcoolique ; l’autre, Stumpy, joué par Walter Brennan, est vieux, susceptible, impulsif, et rate toutes ses cibles. Quand un as de la gâchette, le jeune Colorado, joué par Ricky Nelson, se propose de venir renforcer l’équipe d’adjoints, assez bizarrement le shérif Chance refuse. Et pourtant, Chance se fait surprendre par derrière comme un débutant et ne doit son salut qu’à une entraîneuse de saloon, Feathers, jouée par Angie Dickinson.
Certes, John Wayne se montre maladroit, mais le spectateur ne peut qu’admirer son calme extraordinaire. La force du personnage est dans son caractère : il se montre nonchalant et ne perd jamais son sang-froid.
Un homme n’est rien sans la communauté qui l’entoure
Rio Bravo peut décontenancer le spectateur qui le verrait pour la première fois. Il n’y pas de paysage majestueux, pas de grande chevauchée, pas d’Indien et somme toute peu d’action. Les hommes passent le plus clair de leur temps à attendre l’affrontement avec les hors-la-loi. Alors ils tuent le temps : ils vont de la prison au saloon et du saloon à la prison en passant par le barbier et en surveillant la rue principale. Ils parlent beaucoup (le film peut même paraître un peu bavard) et ils chantent. Dean Martin et Ricky Nelson fredonnent en duo des ballades, sous l’œil de John Wayne. Si Dean Martin apparaît aujourd’hui comme le prototype du crooner, on a oublié Ricky Nelson. Alors âgé de dix-huit ans, il était l’idole des jeunes dans l’Amérique de la fin des années 50, une espèce d’Elvis Presley présentable et acceptable pour les parents.
L’un des moments forts du film est l’interprétation du Deguello, joué une nuit par des musiciens mexicains à la demande du chef des hors-la-loi, pour effrayer le shérif et ses adjoints. Le Deguello est une musique espagnole qui, au XIXème siècle, annonçait qu’il n’y aurait pas de quartier. Il existe une partition historique de ce morceau, mais le compositeur Dimitri Tiomkin la trouva si médiocre qu’il décida de la réécrire pour les besoins du film. John Wayne fut ébloui par la musique de Tiomkin et, un an plus tard, lui demanda l’autorisation de la réutiliser dans son film Alamo.
Rio Bravo peut donc dérouter le spectateur amateur d’action qui le verrait pour la première fois. Mais, au fur et à mesure qu’il le reverra au fil des ans, il lui trouvera à chaque fois des qualités supplémentaires. Il appréciera l’atmosphère et les personnages, et retiendra la leçon donnée par le film : l’homme seul n’est rien, sans la communauté qui l’entoure. Et les nostalgiques du western noteront qu’il s’agit là du dernier rôle de Ward Bond, un vétéran du genre, mort peu de temps après.
Rio Bravo fut tourné en 1959. C’est le dernier western que l’on peut qualifier de grand classique, avant que le genre ne soit remis en cause au cours des années 60, pour ensuite complètement disparaitre des écrans.
Rio Bravo, de Howard Hawks (1959), avec John Wayne, Dean Martin, Ricky Nelson, Angie Dickinson, Walter Brennan et Ward Bond, DVD Warner Home Video Vidéo.
09:29 Publié dans Western | Tags : rio bravo, hawks, john wayne, dean martin, ricky nelson, angie dickinson, walter brennan, ward bond | Lien permanent | Commentaires (0)