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27/01/2014

Le Salaire de la peur, d'Henri-Geroges Clouzot

La mort au tournant

Le Salaire de la peur

Grand succès à sa sortie en 1953, Le Salaire de la peur est devenu au fil des ans un classique du cinéma français. Henri-Georges Clouzot a réalisé un suspense très efficace, donnant à Yves Montand l’un de ses meilleurs rôles. Le duo qu’il forme avec Charles Vanel est inoubliable.

            Le film Le Salaire de la peur est adapté du roman de Georges Arnaud. L’action se passe en Amérique Latine. Un puits de pétrole prend feu. Les responsables de la compagnie américaine qui l’exploite décident d’utiliser la nitroglycérine pour éteindre l’incendie. Mais il faut l’acheminer sur place, or la nitroglycérine est très dangereuse à manipuler. Des chauffeurs as du volant et dotés d’un grand sang-froid sont nécessaires pour conduire les camions à bon port. Quatre chauffeurs, soit deux binômes, sont recrutés pour conduire deux camions. Parmi eux, Jo, un vieux bourlingueur, et Mario, son cadet d’une trentaine d’années, prêts à risquer leur vie pour 10 000 dollars.

  le salaire de la peur,clouzot,montand,vanel,véra clouzot          Ce qui frappe en premier lieu dans Le Salaire de la peur, c’est le long prologue de trois quart d’heure qui précède le suspense à proprement parler. Ce prologue permet à Clouzot de planter le décor et de présenter les personnages de façon à ce que nous puissions nous familiariser avec eux. Dans le « couple » Jo-Mario, Charles Vanel joue le rôle de l’aîné. C’est un véritable caïd : il roule des mécaniques, n’a pas froid aux yeux et se pose en mentor du jeune Mario, joué par Yves Montand. Dans un premier temps. Mario est impressionné par la personnalité de Jo dont il devient l’inséparable compagnon.

Puis, à partir du moment où l’épreuve du voyage commence, Jo se laisse envahir par la crainte de l’accident, et celui que nous pensions être un dur se révèle un être tremblant de peur. Bref, le caïd apparaît lâche. En fait, Jo est trop vieux pour une mission aussi dangereuse, dans le sens qu’il est prisonnier de sa trop grande expérience. Sa conscience du danger finit par le paralyser, tandis que Mario, dans l’aveuglement de la jeunesse, n’imagine pas qu’un accident puisse survenir. Alors, peu à peu, nous voyons le rapport entre Jo et Mario s’inverser : dorénavant c’est Vanel qui devient l’être dominé, subissant l’ascendant exercé par Montand. On voit leur relation presque virer au sadomasochisme : Mario pousse Jo à des efforts extrêmes, allant jusqu’à le battre pour le faire avancer, et Jo, réduit à l’état de loque, se laisse faire.

Chez Clouzot, les acteurs paient de leur personne

.           Au-delà de sa dimension psychologique, Le Salaire de la peur comporte une critique sociale ; l’impérialisme et le capitalisme ne sont pas épargnés. On y voit les Américains qui ont colonisé un territoire d’Amérique latine, épuiser ses ressources naturelles tandis que les populations locales sont réduites à l’état de pauvreté. Les autochtones et les Européens qui vivent sur place ne trouvent pas de travail et sont réduits à l’oisiveté, tout en étant blâmés par ceux qui soutiennent que quand on veut travailler on peut. Clouzot nous montre bien un maçon italien besogneux, mais nous apprenons qu’il est condamné par la médecine, ses poumons ayant respiré trop de ciment. Le seul travail bien payé qui se présente à tous est de conduire les deux camions de nitroglycérine.

            On ne peut être que fasciné par la mise en scène de Clouzot, surtout quand on sait que ce film, censé se passer en Amérique Latine, a été entièrement tourné en France. Les acteurs paient de leur personne. Chez Clouzot, ils sont même priés de ne pas simuler. Quand Vanel donne une gifle à un autre acteur, on peut être sûr qu’il lui donne une vraie claque. Lorsque le même Vanel se débat dans une grosse mare, avec du liquide jusqu’aux épaules, il n’est bien sûr pas doublé. D’où une certaine authenticité dans le film. Quant à Montand, il aura peut-être trouvé ici son meilleur rôle. Si dans Etoile sans lumière, tourné en 1945, il se montre encore hésitant, ici dans Le Salaire de la peur, sept ans plus tard, son jeu atteint sa pleine maturité. Montand se montre un acteur confirmé qui finit par tenir tête à Vanel. Le Salaire de la peur est un film qu’on ne peut se lasser de revoir, notamment pour repérer, avec précision, le moment de bascule dans les rapports entre Vanel et Montand.

 

Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (1952), avec Yves Montand, Charles Vanel et Véra Clouzot, DVD René Chateau Vidéo.

13/01/2014

Welcome, de Philippe Lioret

Une fiction militante mais prenante

Welcome

Welcome est un film militant tout en nuances, qui entend dénoncer le délit d’aide aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy. Vincent Lindon, dans le rôle d’un maître-nageur, entraîne un jeune réfugié kurde qui veut gagner l’Angleterre à la nage.

            Bilal est un Kurde de dix-sept ans. Il a fui son pays et cherche à rejoindre sa fiancée réfugiée à Londres. A Calais, un passeur le fait embarquer dans un camion à destination de l’Angleterre. Bilal est découvert par la police française, mais, venant d’un pays en guerre, il ne peut être expulsé. Le garçon ne renonce pas et se met une idée dans la tête : il va traverser la Manche à la nage. Il prend des cours auprès d’un maître nageur, Simon, homme bourru au grand cœur. Mais en l’aidant, Simon se rend coupable du délit d’aide à personne en situation irrégulière.

            welcome,philippe lioret,vincent lindon,firat ayverdi,audrey danaDisons-le tout net : Welcome est un film militant. Il entend dénoncer le fameux délit de solidarité aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy et aboli depuis. Plutôt que de bâtir un documentaire à base de témoignages ou une fiction démonstrative à la Cayatte (même si Cayatte a signé de bons films), Philippe Lioret nous présente une histoire tout en nuances. Simon, joué par Vincent Lindon, se montre d’abord désagréable à l’encontre de Bilal, il fait tout pour le décourager et lui faire comprendre que c’est folie de vouloir traverser la Manche à la nage. Mais quand il voit que sa femme dont il s’apprête à divorcer a de la sympathie pour la cause des sans-papiers, il se met à voir Bilal sous un autre jour.

            Dans ce film, il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Les policiers ne sont pas stéréotypés, ils ont l’air de vrais policiers. Ils n’ont pas besoin d’élever la voix pour faire preuve d’autorité et ne sont ni sympathiques ni antipathiques. L’inspecteur qui convoque Simon fait son devoir avec conscience et lui déclare froidement : « Moi, on me paye pour que la ville ne devienne pas un camp de réfugiés en situation irrégulière. »

Vicent Lindon bougon tout au long du film

On évaluela difficulté de la situation pour les autorités quand le film nous fait découvrir le camp de réfugiés de Calais, et l’on comprend aussitôt pourquoi il est communément appelé la Jungle. Les réfugiés y sont livrés à eux-mêmes et, malgré les efforts des associations caritatives, la loi du plus fort y est la règle. Même la future ex-épouse de Simon d’abord favorable aux sans-papiers, au lieu d’être ébloui par son comportement, le met en garde en essayant de lui faire prendre conscience des risques qu’il prend. Mais, peut-être par humanité, peut-être par empathie pour Bilal, Simon s’entête. Il persiste à donner des cours de natation au garçon.

            Comme souvent, Vincent Lindon joue très bien, même s’il faut reconnaître qu’il n’est pas l’acteur français à la diction la plus claire. Il se montre bougon tout au long du film, n’hésitant pas à envoyer promener son monde tout en révélant son humanité. Les détracteurs du film trouveront l’émotion un peu forcée et la réalisation académique, les plus cinéphiles de ces détracteurs y verront peut-être des traces de cette fameuse « qualité française », jadis tant décriée par Les Cahiers du cinéma. Disons tout simplement que la mise en scène est classique ; il n’y a pas besoin de multiplier les mouvements de caméra et les effets de lumière pour réaliser un bon film.

 

Welcome, de Philippe Lioret (2009), avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi et Audrey Dana DVD Warner Home Video.

23/12/2013

Plein Soleil, de René Clément

Le film qui fit de Delon une vedette

Plein Soleil

Alain Delon a vingt-cinq ans quand René Clément lui donne sa chance en lui offrant le premier rôle dans Plein Soleil, un thriller adapté d’un roman de Patricia Higsmith. Le réalisateur exploite la beauté ténébreuse du jeune acteur et fait de lui un criminel diabolique au sourire carnassier, qui jalouse le personnage joué par Maurice Ronet.

            Plein Soleil est le film qui, en 1960, fit d’Alain Delon une vedette. Depuis, l’acteur rend régulièrement hommage au réalisateur René Clément de l’avoir choisi pour le rôle principal ; ce qui allait donner un coup d’accélérateur à sa carrière. Le film est tiré de Monsieur Ripley (The Talented Mr Ripley), un roman de Patricia Highsmith, auteur à succès de thrillers, parmi lesquels L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a train) adapté au cinéma, quelques années auparavant, par Hitchcock.

plein soleil,rené clément,delon,maurice ronet,marie laforêt,romy schneiderPlein Soleil est d’abord un beau spectacle. Chose rare pour un film français de l’époque qui ne soit pas une reconstitution en costumes, il a été tourné en couleurs. Le Technicolor nous offre des couleurs vives et éclatantes ; il nous permet de mieux ressentir la chaleur de l’été en Italie, où se déroule l’action. La couleur met aussi en valeur le physique d’Alain Delon. L’acteur a alors vingt-cinq ans, et René Clément, apparemment convaincu que sa jeunesse et sa beauté crèveront l’écran, nous le montre allègrement torse nu, tenant la barre d’un yacht au milieu des flots, sous un ciel bleu azur.

Sur le plan physique, Delon est en compétition avec son grand ami dans la vie, Maurice Ronet, son aîné de quelques années. Ronet joue le rôle de Philip Greenleaf, un fils à papa, fortuné et séducteur, que Delon, dans le rôle de Tom Ripley, doit ramener à la maison à la demande de son père. Mais Tom convoite la fortune et la fiancée de Philip. Il le jalouse au point de passer à l’acte. Plein Soleil c’est un peu l’histoire de Caïn et Abel. Il est d’ailleurs troublant de savoir que Delon et Ronet retrouveront les mêmes types de personnages et de situation, huit ans plus tard, dans La Piscine de Jacques Deray. Marie Laforêt joue le rôle de la fiancée de Philipp, tandis que Romy Schneider, qui vit alors une idylle avec Alain Delon, fait une courte apparition au début du film.

Le prétendu manque de style de René Clément

Les Cahiers du cinéma, François Truffaut en tête, reprochaient à Clément son manque de style. Il est vrai qu’on n’identifie pas immédiatement un film de Clément, alors que par exemple on reconnaît du premier coup un film de Jean-Pierre Melville à son style dépouillé à la limite de l’épure. Mais, qu’importe ! Plein Soleil est un film très efficace et c’est ce qui compte. Par ailleurs on ne peut qu’admirer la maîtrise dont Clément fait preuve dans la réalisation et dans la direction d’acteurs.

L’image est soignée, elle est belle à regarder ; et Clément a compris, au-delà de l’aspect physique, le potentiel qu’il y avait dans le jeu de Delon. Avant Plein Soleil, l’acteur était déjà un jeune premier du cinéma, mais il n’était pas encore une vedette pleine et entière. Et surtout, il paraissait destiné aux rôles de jeune héros romantique, comme dans Christine de Gaspard-Huit. Avec Clément, il montre que sa beauté ténébreuse et son sourire carnassier lui permettent d’incarner des personnages d’une autre dimension. Monsieur Ripley est un criminel, mais il est jeune, beau, séduisant et élégant, de telle sorte que le spectateur peut s’identifier à lui ; il y a là quelque chose de presque diabolique. Le personnage de Tom Ripley annonce les rôles que Delon jouera plus tard pour Visconti, Melville ou Losey.

 

Plein Soleil de René Clément (1960), avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, DVD Studio Canal.