02/06/2014
Révélations (The Insider), de Michael Mann
Une leçon de journalisme
Révélations (The Insider)
Un producteur de la célèbre émission 60 Minutes obtient un témoignage explosif sur les pratiques des industriels du tabac. Mais, sous la pression des lobbies, la direction de la chaîne veut censurer le sujet. Tiré d’une histoire vraie, le film est bâti comme un thriller. Il égratigne au passage la figure de Mike Wallace, qui fut pendant des décennies un pilier du journalisme d’investigation.
En 1992, 60 Minutes, émission phare de la chaîne américaine CBS, diffusa un reportage choc qui révéla au grand public les pratiques de l’industrie du tabac : les producteurs de cigarettes usent de procédés secrets pour rendre les fumeurs dépendants à la nicotine. Pourtant, quelques mois auparavant, devant les caméras de télévision, les industriels du tabac avaient prétendu le contraire, alors qu’ils déposaient devant une commission d’enquête du Congrès. Non seulement ils trafiquaient le produit depuis des années, mais en plus ils avaient menti sous serment. 60 Minutes établissait ses révélations sur la base du témoignage de Jeffrey Wigand, ancien vice-président de Brown&Williamson Tobacco corporation. Le retentissement fut énorme.
Le film Révélations (The Insider) a tout d’abord une valeur documentairequi fait découvrir au spectateur les coulisses du scoop. Il s’intéresse moins au scandale du tabac lui-même qu’à l’affaire dans l’affaire, à savoir que CBS, dans un premier temps, renonça à la diffusion du reportage. Le personnage principal s’appelle Lowell Bergman, l’un des producteurs de 60 Minutes. Le film montre le rôle important tenu par le producteur dans ce type d’émission. Il reste invisible du grand public, mais c’est lui qui détermine l’angle du sujet ; il va en repérage préparer le tournage, il rencontre les témoins et évalue leur contribution. C’est en quelque sorte le scénariste et le réalisateur du sujet. Il laboure le terrain pour le journaliste-reporter, en l’occurrence Mike Wallace, le complice de Bergman depuis des années.
Mike Wallace fut une grande vedette de la télévision américaine, à la longévité exceptionnelle. Il officia de 1949 à 2008 et fut, en 1968, l’un des fondateurs de 60 Minutes. Les téléspectateurs américains se souviennent de ses interviews musclées. En pleine révolution iranienne, à Téhéran, il osa affronter l’ayatollah Khomeney en lui posant des questions qui fâchent. Mais là, dans Révélations,Mike va flancher pour la première fois.
Le grand Mike Wallace cède face aux censeurs
Au début du film, nous voyons Mike Wallace en reportage au Liban ne pas se démonter face à un responsable du Hezbollah. Puis nous le voyons toujours aussi offensif quand il prend connaissance des révélations de l’ancien responsable de Brown&Williamson, Jeffrey Wigand.
Wallace joue d’abord la carte du scoop et montre le visage que les téléspectateurs lui ont toujours connu, celui d’un homme soucieux de faire triompher la vérité. Mais les services juridiques de CBS interviennent et mettent en garde les dirigeants de la chaîne : Jeffrey Wigand a signé une clause de non-divulgation qui le lie à son ex-employeur ; s’il trahissait son engagement, CBS, reconnue complice, pourrait être condamnée à verser de lourdes pénalités, ce qui mettrait en péril l’avenir de la chaîne. Et là, pour la première fois, nous voyons le grand Mike Wallace, pilier du journalisme d’investigation, capituler face aux exigences des propriétaires de CBS. Il accepte de censurer les passages clés de l’interview. Serait-il donc plus facile de risquer sa vie en allant en reportage dans le Liban en guerre, que d’affronter les puissants lobbies industriels et financiers de la plus grande démocratie du monde ?
Révélations nous raconte les événements qui vont obliger CBS à revenir sur sa décision de censure. Le film est long, près de 2h40, mais il est bâti comme un thriller. Lors de la sortie en salles en 1999, Mike Wallace, le vrai, contesta le rôle ambigu que lui prêtait le film, et assura qu’il s’était opposé à la volonté de censure.
Mike Wallace est interprété par le vétéran Christopher Plummer, qui fait preuve ici d’un étonnant mimétisme. Quant à Lowell Bergman, il est incarné par Al Pacino, qui, comme d’habitude, joue très bien.
Révélations (The Insider), de Michael Mann (1998), avec Al Pacino, Russel Crowe et Christopher Plummer, DVD Touchstone Home Vidéo.
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19/05/2014
Ascenseur pour l'échafaud, de Louis Malle
Film noir à la française
Ascenseur pour l’échafaud
Ascenseur pour l’échafaud est un suspense brillamment réalisé par Louis Malle, dans la tradition des films noirs d’Hollywood. Maurice Ronet, bloqué dans un ascenseur, et Jeanne Moreau, qui erre dans Paris à sa recherche, sont inoubliables. La musique de Miles Davis marque le spectateur.
En 1957, Miles Davis séjournait à Paris quand il fut contacté par un garçon de vingt-trois ans, Louis Malle. Le jeune homme, déjà réalisateur du Monde du silence, lui demanda de composer la musique du film qu’il venait de tourner. Miles Davis visionna Ascenseur pour l’échafaud et improvisa un accompagnement. Depuis, sa musique est devenue célèbre au pont de connaitre une existence autonome.
Cependant on ne saurait réduire Ascenseur pour l’échafaud à sa musique, qui d’ailleurs se fond très bien dans le film. Ascenseur pour l’échaffaud est d’abord un suspense brillamment réalisé dans la tradition des films noirs américains. Le film est court (un peu moins d’une heure trente) et rythmé.
Florence Carala est l’épouse d’un grand industriel qu’elle trompe avec l’un de ses collaborateurs, Julien Tavernier. Les deux amants diaboliques décident de se débarrasser de l’encombrant mari. Un samedi après-midi, au siège de l’entreprise, après la sortie des bureaux, Julien a rendez-vous avec M. Carala qui est resté travailler au dernier étage. Julien tue l’industriel avec le pistolet de ce dernier, et maquille le crime en suicide.
Une demi-heure plus tard, Julien revient sur les lieux du crime récupérer un objet compromettant qu’il a oublié sur place. Il monte en ascenseur quand, tout à coup, l’engin s’arrête. Le gardien, qui a fini sa journée, vient de couper l’électricité. Julien est condamné à rester bloqué dans son ascenseur jusqu’à lundi matin, sauf s’il trouve le moyen d’en sortir d’ici là. Pendant ce temps, Florence Carala, qui a rendez-vous avec lui, reste sans nouvelle de sa part et erre dans Paris à sa recherche. Par ailleurs, deux très jeunes gens, Louis et Véronique « empruntent » la voiture de Julien, qu’il avait laissée en stationnement dans la rue. Ils partent pour une virée au cours de laquelle ils vont tuer deux touristes allemands, avec l’arme de Julien.
Louis Malle réussit à mener de front trois actions simultanées
Très habilement, alors que l’entreprise est a priori périlleuse, Louis Malle réussit à mener de front trois actions simultanées : Julien Tavernier bloqué dans son ascenseur ; Florence Carala qui erre de bar en bar ; Louis et Véro embarqués dans leur folle équipée. L’intrigue est ramassée dans le temps, il se passe moins de vingt-quatre heures de la sortie des bureaux le samedi après-midi à la fin de l’enquête policière dans la journée du dimanche. Comme dans les films noirs, les décors urbains, de préférence la nuit, font partie intégrante de l’histoire. Louis Malle nous montre un panorama de Paris et de sa région à la fin des années 50 : un building de bureaux tout neuf, des bars, une chambre de bonne, les premiers kilomètres d’autoroutes construits en France avec l’entrée de l’autoroute de l’Ouest au pont de Saint-Cloud (autoroutes sur lesquelles se pratique le culte de la vitesse), et même un motel comme dans les films hollywoodiens.
L’intérêt du film repose aussi sur le contraste entre les deux couples d’amants. Julien et Florence sont des bourgeois installés dans la vie qui planifient froidement leur crime, tandis que Louis et Véro sont deux jeunes un peu paumés qui tuent sans préméditation, dans un geste impulsif.
Jeanne Moreau, vingt-neuf ans, joue Florence Carla. Le film s’ouvre au son de sa voix dont le phrasé est si particulier. Son amant, Julien Tavernier, est interprété par Maurice Ronet, trente ans. Héros de guerre au physique avantageux, il est élégant et séduisant. Son timbre de voix un peu perché peut surprendre.
Louis Malle dirigera à nouveau Maurice Ronet et Jeanne Moreau six ans plus tard, dans Le Feu follet, adaptation du livre de Drieu La Rochelle. Maurice Ronet y trouvera le rôle de sa vie, un peu comme si Ascenseur pour l’échafaud avait été pour lui un marchepied pour Le Feu follet.
Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle (1957), avec Jeanne Moreau, Maurice Ronet, Georges Poujouly et Lino Ventura, DVD Arte Editions.
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28/04/2014
Le Juge Fayard dit le Shérif
Le juge assassiné
Le Juge Fayard dit le Shérif
Patrick Dewaere joue le rôle du juge Fayard dans ce film inspiré de l’assassinat du juge Renaud. Yves Boisset met en cause le Sac, Service d’action civique. Son film est engagé, mais sa réalisation est efficace.
Il n’est guère exagéré de dire qu’encore aujourd’hui le juge Renaud fait figure à la fois de mythe et de martyre aux yeux de bien des adhérents du Syndicat de la magistrature. François Renaud fut assassiné un soir d’été 1975, à Lyon. Il venait de sortir de son véhicule et, avec sa compagne, il allait entrer dans son immeuble quand une voiture s’arrêta à sa hauteur. Des hommes cagoulés firent feu et le tuèrent.
Le juge Renaud était une forte personnalité. En 1968, dans la foulée des événements de mai, il avait été l’un des fondateurs du Syndicat de la magistrature. Pour la première fois de l’histoire de la République, des juges se constituaient en syndicat et entendaient faire valoir leur conception de la justice, avec un ancrage à gauche affiché.
A Lyon, dans les années 70, le juge Renaud ne passe pas inaperçu. Surnommé le shérif, il est l’adepte de méthodes musclés et ne se laisse pas intimider par les truands. Ses détracteurs l’accusent d’abuser de la prison préventive. Renaud enquête sur le gang des Lyonnais. Ces malfaiteurs, très professionnels, ont braqué la poste de Strasbourg sans avoir tiré un seul coup de feu. Le plus étonnant est qu’ils ont réussi à échapper aux très nombreux barrages de police aussitôt mis en place. Ils ont passé entre les mailles du filet comme s’ils étaient très bien renseignés. Bientôt il se murmure que les gangsters sont proches du Sac (Service d’action civique). Le produit du braquage serait destiné au financement d’un important parti politique.
Le juge Renaud a donc été assassiné en 1975. Pour les uns, il a été liquidé par des membres du Sac qui s’inquiétaient de voir son enquête progresser dans leur direction. Pour les autres, la vérité est beaucoup plus simple, le juge Renaud a été tué par des truands qu’il avait fait mettre en prison et qui ont voulu se venger.
Un an plus tard, à l’été 1976, quand Yves Boisset tourne son film, il opte pour la thèse politique. Renaud est rebaptisé Fayard, l’action est transposée à Grenoble, le gang des Lyonnais devient le gang des Stéphanois, mais le Sac est clairement mentionné dans la version diffusée de nos jours. Pour être précis, il faut dire que le nom du Sac avait été bipé à la sortie du film, sur décision de justice. Boisset n’a jamais fait mystère de son engagement à gauche, il ne fait pas dans la nuance, mais au moins est-il un cinéaste efficace, à l’américaine pourrait-on dire. Même si on ne saisit pas tous les détails de l’affaire tels qu’ils sont exposés dans le film, on est pris par l’histoire et les personnages.
Le juge Fayard est excessif et incontrôlable, voire déséquilibré
Patrick Dewaere est le juge Renaud, un homme excessif, incontrôlable, voire déséquilibré, qui va au-devant des ennuis. Il doit composer avec le procureur joué par Jean Bouise, dont le caractère est à l’opposé. Jean Bouise, rosette à la boutonnière, a des airs de chanoine ; il allie onctuosité et autorité.
Il est piquant de voir dans la mise en scène de Boisset comment la disposition des individus et du mobilier dans un bureau permet d’établir une relation de dépendance :
- Quand le procureur reçoit le juge, il est assis dans un large fauteuil derrière un imposant bureau ; normal, puisque c’est le procureur ;
- Quand le même procureur reçoit le juge pour le tancer, le dispositif est le même, avec, à côté du procureur, le président du tribunal assis dans un aussi large fauteuil ;
- Quand le juge fait comparaître un suspect dans son cabinet (plus petit, bien sûr, que celui du procureur), il est assis derrière son bureau ; normal, puisque c’est le juge. Et quand il fait comparaître une personnalité, en l’occurrence un élu de la nation, le procureur assiste à l’entretien, assis dans un large fauteuil disposé sur le côté, pour bien montrer qu’il se situe hors de la relation de dépendance sous laquelle le juge place le justiciable ;
- Et quand le procureur veut faire « copain-copain » avec le juge, dans le cadre d’une opération séduction destinée à ramener l’élément incontrôlable à un comportement plus raisonnable, il se déplace lui-même jusqu’au bureau du juge et lui demande l’autorisation de s’asseoir en face de lui, comme n’importe quel justiciable, pour faire un brin de causette.
Quarante après l’assassinat du juge Renaud, le mystère reste entier. Entretemps le Sac a disparu du paysage. Sa dissolution fut ordonnée par les pouvoirs publics suite à la tuerie d’Auriol en 1981.
Le Juge Fayard dit le Shérif, d’Yves Boisset (1976), avec Patrick Dewaere, Aurore Clément, Jean Bouise, Marcel Bozzuffi, Michel Auclair, Philippe Léotard et Jean-Marc Thibault, DVD Jupiter Films.
08:23 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le juge fayard dit le shérif, yves boisset, patrick dewaere, aurore clément, jean bouise, marcel bozzuffi, michel auclair, philippe léotard, jean-marc thibault | Lien permanent | Commentaires (1)