Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/10/2014

Le Père Goriot, de Balzac

Derrière toute grande fortune se cache un crime

Le Père Goriot

Le jeune Eugène de Rastignac monte à Paris et prend une chambre dans une pension de famille. Il y rencontre le père Goriot, un homme très riche qui vit pourtant misérablement. Après enquête, Rastignac découvrira le secret du vieillard. Dans ce roman, Balzac nous démontre, preuve à l’appui, que le travail ne paie pas, la plupart des gens fortunés étant des héritiers. Le livre prend une dimension supplémentaire de nos jours, alors que la société actuelle s’interroge sur la fin de vie. A travers l’exemple de l’agonie de Goriot, Balzac nous renseigne sur la frontière entre la vie et la mort.

            Le Père Goriot suscite actuellement un regain d’intérêt depuis que l’économiste Thomas Piketty y fait référence dans son livre Le Capital au XXIème siècle, best-seller en France et aux Etats-Unis.

            Ce n’est pas le roman de Balzac le plus difficile d’accès, mais ce n’est pas pour autant le plus facile. Le livre est d’une longueur raisonnable, mais le texte n’est pas aéré, il ne bénéficie pas de divisions en chapitres et certains paragraphes font plus d’une page. Le lecteur se doit d’être attentif aux trente premières pages environ, qui sont des pages d’exposition au cours desquelles Balzac présente les personnages un à un. Si le lecteur sait être patient, alors il sera largement récompensé en entrant peu à peu dans une histoire dont il voudra savoir le dénouement.

 le père goriot,balzac,la comédie humaine,rastignac,vautrin           « All is true » nous dit, en anglais dans le texte, Balzac dans son ouverture du Père Goriot. Il précise que son livre n’est ni un roman ni une fiction. Le héros en est Eugène de Rastignac. C’est un garçon de vingt-et-un ans qui a quitté son Angoulême natale pour monter à Paris y suivre des études de droit. C’est encore un cœur pur plein d’illusions sur la vie. Il trouve pension à la Maison-Vauquer, tenue par madame Vauquer (prononcez Vauquère). Les pensionnaires sont des gens de condition modeste qui ne font pas de folie et se révèlent, dans l’ensemble, assez médiocres. Par exemple, ils pratiquent un humour à deux sous. Ainsi, en 1819, date à laquelle se déroule l’histoire, le diorama est une invention toute récente qui fait parler d’elle, si bien, que, pour plaisanter, les pensionnaires de la maison ont pris l’habitude de décliner les mots qu’ils utilisent dans la conversation, en leur ajoutant la terminaison rama. Ainsi, au cours du dînerama l’un des convives évoque sa santérama. Cet usage donne lieu à une discussion très savante pour savoir s’il faut dire froidorama, le mot froid se terminant par la lettre d, ou plutôt froitorama, suivant la règle qui veut que l’on dise : « J’ai froit aux pieds. »

            Pendant les repas pris en commun, les pensionnaires font de l’un des leurs leur souffre-douleur : monsieur Goriot, le doyen de la maison, est l’objet de leurs moqueries. Goriot, que l’on appelle sans égard le père Goriot, est un être bien mystérieux. Rastignac apprend que c’est un ancien négociant qui a fait fortune dans la farine. Dans ce cas, comment expliquer qu’un homme qui a gagné beaucoup d’argent mène une vie aussi modeste dans un tel endroit ? La vérité est simple à comprendre, Goriot n’a qu’une seule passion dans la vie, ses deux filles. Il a réussi à conclure pour elles des mariages « heureux » : l’aînée est devenue comtesse de Restaud et la cadette, baronne de Nucingen. Mais, peu de temps après leurs mariages, ses filles et ses gendres eurent honte de lui. Comprenant la situation nouvelle et refusant de constituer une gêne pour ses enfants, le vieux Goriot accepta de se sacrifier et de se retirer en toute discrétion dans la modeste pension qu’est la Maison-Vauquer.

Goriot aime ses filles

comme un amant aime

passionnément sa maîtresse

            Rastignac se prend de curiosité pour la personne de Goriot. Il se lie avec lui. Goriot le pousse à devenir l’amant de la baronne de Nucingen, espérant ainsi, par son intermédiaire, se rapprocher de sa fille cadette. Peu à peu, Rastignac découvre la personnalité de Goriot : le vieil homme aime ses filles au point de s’oublier lui-même, il les aime comme un amant peut passionnément aimer sa maîtresse, au-delà de toute raison. Goriot a gâté ses filles et a abîmé leur caractère. Aux yeux des deux sœurs, leur père n’a d’existence que par rapport à elles. Toutes deux se montrent bien ingrates avec lui.

            Rastignac, qui cherche encore sa voie, comprend que le comportement de Goriot, qui s’est donné à ses filles, conduit à une impasse. Un autre pensionnaire lui montre un tout autre exemple. Cet autre pensionnaire, c’est monsieur Vautrin. Vautrin est le négatif de Goriot. Autant Goriot est un être effacé, morose, qui dégage une impression de tristesse, autant Vautrin est une forte personnalité, c’est un être truculent, jouisseur, qui respire la joie de vivre. Il est souvent de bonne humeur, trouve le mot pour rire, et sait parler aux dames (en dépit de ses inclinations.) Il connaît la réalité de la vie et, en face de Rastignac, il met les points sur les i. Pour avoir un train de vie conforme à son goût, Rastignac a besoin d’une fortune d’un million par an, or jamais l’étudiant en droit n’arrivera à accumuler une telle somme par le produit de son travail, même après une brillante carrière dans la magistrature. Vautrin, qui entend se transformer en grand marionnettiste, dit crûment à Rastignac à quoi pourrait ressembler son parcours professionnel : « Il faudra […] commencer […] par devenir le substitut de quelque drôle, dans un trou de ville où le gouvernement vous jettera quelques milles francs d’appointements, comme on jette une soupe à un dogue de boucher. […] Si vous n’avez pas de protection, vous pourrirez dans votre tribunal de province. Vers trente ans, vous serez juge à douze cents francs par an, si vous n’avez pas encore jeté la robe aux orties. Quand vous aurez atteint la quarantaine, vous épouserez quelque fille de meunier, riche d’environ six mille livres de rente. Ayez des protections, vous serez procureur du roi à trente ans, avec mille écus d’appointements, et vous épouserez la fille du maire. Si vous faites quelques-unes de ces petites bassesses politiques, […] vous serez à quarante ans procureur général, et vous pourrez devenir député. […] J’ai l’honneur de vous faire observer de plus qu’il n’y a que vingt procureurs généraux en France, et que vous êtes mille aspirants à ce grade, parmi lesquels il se trouve des farceurs qui vendraient leur famille pour monter d’un cran. […] Une rapide fortune est le problème que se proposent de résoudre en ce moment cinquante mille jeunes gens qui se trouvent dans votre position. » Bref, explique Vautrin, le travail ne paie pas. Après tout, si les filles Goriot sont si riches, elles, c’est parce qu’elles sont des héritières.

            Vautrin, dont le lecteur ne tardera pas à connaître la véritable identité, connaît le moyen de faire rapidement fortune et veut l’enseigner à Rastignac. Il se transforme en mauvais génie en lui proposant un chemin bien singulier. Vautrin conclue son propos ainsi : « Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu’il a été proprement fait. »

            Par la bouche de Vautrin, c’est bien sûr Balzac qui parle. Et pour achever de convaincre le lecteur, Balzac raconte comment Goriot, un homme apparemment honnête et désintéressé, a pu gagner autant d’argent au cours de sa vie. Même la fortune de ce brave Goriot a été bâtie sur la base d’une malhonnêteté.

Le rôle primordial

du cerveau

            Comme l’ensemble de l’œuvre de Balzac, Le Père Goriot est un livre très riche qui aborde de nombreux sujets. De nos jours, il prend encore une dimension nouvelle à l’heure où notre société s’interroge sur la fin de vie et les limites entre la vie et la mort. Un être humain est-il encore vivant en l’absence de toute activité cérébrale ? Balzac fournit des éléments de réponse à travers l’exemple de l’agonie de Goriot. Lorsque le vieillard est à l’article de la mort, allongé sur son lit de douleur, Rastignac le veille et obtient d'un ami étudiant en médecine, Bianchon, qu'il lui donne un coup de main. Bianchon, très curieux d’approfondir ses connaissances médicales, demande à Rastignac de surveiller l’agonie du malade et de bien noter ses déclarations : « s’il s’occupe de matérialités ou de sentiment ; s’il calcule, s’il revient sur le passé », car, poursuit Bianchon, il arrive que « le cerveau recouvre quelques unes de ses facultés, et la mort est plus lente à se déclarer ».

            Tout au long de l’agonie de Goriot, Balzac se montre très attentif au rôle primordial tenu par le cerveau et parle du « combat qui se livrait entre la mort et la vie dans une machine qui n’avait plus cette espèce de conscience cérébrale d’où résulte le sentiment du plaisir et de la douleur pour l’être humain. » Un peu plus loin, quand Goriot rouvre les yeux, l’une de ses filles, présente à ses côtés, reprend espoir, mais il s’agit d’un simple geste convulsif. Le cerveau a cessé de fonctionner.

            Le Père Goriot nécessiterait, à différents moments de la vie, une relecture régulière, qui seule permettrait d’en saisir toute la portée. A chaque fois, le lecteur y trouverait des éléments d’observation et de réflexion qui lui avaient échappé précédemment.

 

Le Père Goriot, de Balzac, 1835, collections Folio, Garnier et Le Livre de Poche.

 

14/04/2014

La Maison Nucingen, de Balzac

Histoire d’un banquier goinfre

La Maison Nucingen

Balzac nous raconte comment le baron de Nucingen fit fortune dans la banque sur le dos des épargnants tout en respectant la législation en vigueur. Le livre vaut surtout par les commentaires faits par les personnages, qui nous renseignent sur la société de l’époque. Bien des remarques restent d’actualité au XXIème siècle. Très avisé, Balzac nous rappelle ainsi qu’en bourse, pour limiter les risques, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

            La Maison Nucingen, par sa brièveté (moins de cent pages), est plus une nouvelle qu’un roman. Le mode de construction est original. Le narrateur retranscrit une conversation qu’il a surprise dans un cabaret. Un soir, il dîne en galante compagnie, quand par derrière une cloison il entend quatre convives évoquer la personne du baron de Nucingen et l’histoire singulière de sa fortune. Le narrateur laisse la parole aux quatre interlocuteurs : Finot, Blondet, Couture, et surtout Bixiou qui semble en savoir plus long que les trois autres.

 la maison nucingen,balzac,la comédie humaine,bixiou           Disons le tout net, il vaut mieux être un familier de La Comédie humaine pour se repérer dans La Maison Nucingen, de très nombreux personnages apparaissant dans le récit. Balzac en est conscient : il écrit que Bixiou se vante, à un moment, d’introduire un vingt-neuvième personnage dans son histoire du baron de Nucingen. Par ailleurs, il n’est pas donné à tout le monde de comprendre les mécanismes précis de la filouterie mise en place par le banquier pour assurer sa fortune. Nous retenons cependant, et c’est là le plus important, qu’il a construit sa fortune sur le dos des autres, et cela en toute légalité. Nous le voyons plumer des épargnants et s’attribuer la fameuse part à goinfre que se réservaient au XIXème siècle de nombreux fondateurs de société par actions. La part à goinfre, ce sont tout simplement des actions gratuites que s’attribue ici le baron de Nucingen, et que l’ensemble des actionnaires paient pour lui. A l’époque, le procédé était légal.

            Ce qui confère au livre toute sa richesse, ce sont les remarques diverses et variées sur la société de l’époque, que Balzac a placées dans la bouche des quatre convives. Ces commentaires restent le plus souvent d’actualité :

            - Pour faire fortune en bourse, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et répartir les risques. Couture précise : « Vous avez dix mille francs, vous prenez dix actions de chacune mille dans dix entreprises différentes. Vous êtes volé neuf fois… [….] Une seule affaire réussit ! (par hasard ! – D’accord ! – On ne l’a pas fait exprès ! – Allez ! blaguez ?) Eh ! bien, le ponte assez sage pour diviser ainsi ses masses, rencontre un superbe placement, comme l’ont trouvé ceux qui ont pris les actions des mines de Wortschin. »

            - Mieux vaut voler des millions à des milliers de petits épargnants que cinq mille francs à un seul individu. Dans le premier cas, on ne vous reproche rien, mais dans le second cas il en est tout autrement, dit Blondet : « vous prenez cinq mille francs dans mon secrétaire, on vous envoie au bagne. »

            - Il vaut mieux un homme d’Etat pas très honnête mais efficace, plutôt qu’un ministre vertueux mais imbécile : « Un Premier ministre qui prend cent millions et qui rend la France grande et heureuse, n’est-il pas préférable à un ministre enterré aux frais de l’Etat, mais qui a ruiné son pays ? »

            - A Lyon, les impôts locaux, en fait les fameux octrois perçus à l’entrée de la cité, sont élevés, parce que la ville veut accéder au rang de capitale, selon Blondet : « Lyon veut bâtir des théâtres et devenir capitale, de là des octrois insensés. »

            - Une réforme de la fiscalité est chose impossible en France, déclare le même Blondet. Bixiou lui répond : « Blondet ! Tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la Fiscalité qui a ôté plus de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre. Dans le ministère [où j’ai travaillé], il y avait un employé, homme de talent, qui avait résolu de changer tout le système des finances… ah ! bien, nous l’avons joliment dégommé. »

            Une fois le livre terminé, le lecteur est tenté de se dire qu’il sera bon de le relire à tête reposé, afin de saisir toute la signification du propos de Balzac.

 

La Maison Nucingen, de Balzac (1839), collection Folio.

01/12/2013

La Banquière, de Francis Girod

Romy reine de la finance des Années folles

La Banquière

 

C’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider. Elle joue un personnage inspiré de Marthe Hanau, la banquière des Années folles. La reconstitution est soignée et la distribution prestigieuse. Le spectateur passe un agréable moment.

            Il est des films que l’on a plaisir à voir et à revoir. La Banquière est de ceux-là. Francis Girod s’est directement inspiré de la vie de Marthe Hanau, « la banquière des Années folles », qui ruina des milliers de petits épargnants en mettant en place une pyramide dite de Ponzi. Comme Madoff bien des années plus tard, elle servait des taux d’intérêt très élevés à ses clients, en l’occurrence 8% ; mais, en réalité, elle les rémunérait avec l’argent des nouveaux souscripteurs.

     la banquière,francis girod,romy schneider,trintignant,jean-claude brialy,marie-france pisier,jean carmet,claude brasseur,jacques fabbri,daniel mesguich,georges conchon,morricone       La Banquière, sorti en 1980, est l'un des meilleurs films de Francis Girod. Sa réalisation oscille entre le roman-feuilleton et l’histoire illustrée. La reconstitution de la France de l’entre-deux-guerres est soignée, elle offre des décors somptueux de palaces et d’hôtels particuliers, dans lesquels la queue-de-pie ou le smoking sont de rigueur. Les chapitres de ce film roman-feuilleton, si l’on peut parler de chapitres, s’enchaînent  avec harmonie et sont suffisamment courts pour que nous n’ayons pas le temps de nous ennuyer. Le scénario de Georges Conchon rappelle celui qu’il avait écrit deux ans plus tôt pour Le Sucre de Jacques Rouffio. Inspiré lui aussi d’une histoire vraie, ce film racontait la spéculation sur le sucre qui avait ruiné des petits épargnants. Les professionnels de la finance n’y étaient pas épargnés, ils ne le sont pas non plus dans La Banquière. On nous y martèle que les banques servent 1% d’intérêt, au mieux 1,5%, ce qui paraît peu.

            La Banquière fait aussi penser à L’Affaire Stavisky d’Alain Resnais, sorti en 1974, qui racontait une affaire similaire, également dans une reconstitution somptueuse de la France de l’entre-deux-guerres, avec une distribution éclatante, Jean-Paul Belmondo en tête. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du film de Francis Girod. On y revoit avec beaucoup de plaisir le défilé d’acteurs qu’il nous offre. Marthe Hanau, rebaptisée Emma Eckhert, est interprétée par Romy Schneider. On sent que l’actrice s’est reconnue dans ce personnage rebelle, atypique, aux amours libres, qui se heurte à son milieu et à la bonne société ; Emma Eckert est entourée d’hommes qu’elle mène par le bout du nez. On voit apparaître d’autres acteurs fameux, dont certains sont aujourd’hui disparus : Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Jacques Fabbri…

Dans cette ambiance Années folles, la musique d’Ennio Morricone enveloppe l’œuvre d’un charme discret. Une fois le film fini, le spectateur n’a pas forcément compris tous les ressorts de la finance, mais, malgré quelques scènes pénibles, il a passé un agréable moment et c’est là l’essentiel.

 

La Banquière de Francis Girod (1980), avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Claude Brasseur, Jacques Fabbri et Daniel Mesguich, DVD Studio Canal.