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14/04/2014

La Maison Nucingen, de Balzac

Histoire d’un banquier goinfre

La Maison Nucingen

Balzac nous raconte comment le baron de Nucingen fit fortune dans la banque sur le dos des épargnants tout en respectant la législation en vigueur. Le livre vaut surtout par les commentaires faits par les personnages, qui nous renseignent sur la société de l’époque. Bien des remarques restent d’actualité au XXIème siècle. Très avisé, Balzac nous rappelle ainsi qu’en bourse, pour limiter les risques, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

            La Maison Nucingen, par sa brièveté (moins de cent pages), est plus une nouvelle qu’un roman. Le mode de construction est original. Le narrateur retranscrit une conversation qu’il a surprise dans un cabaret. Un soir, il dîne en galante compagnie, quand par derrière une cloison il entend quatre convives évoquer la personne du baron de Nucingen et l’histoire singulière de sa fortune. Le narrateur laisse la parole aux quatre interlocuteurs : Finot, Blondet, Couture, et surtout Bixiou qui semble en savoir plus long que les trois autres.

 la maison nucingen,balzac,la comédie humaine,bixiou           Disons le tout net, il vaut mieux être un familier de La Comédie humaine pour se repérer dans La Maison Nucingen, de très nombreux personnages apparaissant dans le récit. Balzac en est conscient : il écrit que Bixiou se vante, à un moment, d’introduire un vingt-neuvième personnage dans son histoire du baron de Nucingen. Par ailleurs, il n’est pas donné à tout le monde de comprendre les mécanismes précis de la filouterie mise en place par le banquier pour assurer sa fortune. Nous retenons cependant, et c’est là le plus important, qu’il a construit sa fortune sur le dos des autres, et cela en toute légalité. Nous le voyons plumer des épargnants et s’attribuer la fameuse part à goinfre que se réservaient au XIXème siècle de nombreux fondateurs de société par actions. La part à goinfre, ce sont tout simplement des actions gratuites que s’attribue ici le baron de Nucingen, et que l’ensemble des actionnaires paient pour lui. A l’époque, le procédé était légal.

            Ce qui confère au livre toute sa richesse, ce sont les remarques diverses et variées sur la société de l’époque, que Balzac a placées dans la bouche des quatre convives. Ces commentaires restent le plus souvent d’actualité :

            - Pour faire fortune en bourse, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et répartir les risques. Couture précise : « Vous avez dix mille francs, vous prenez dix actions de chacune mille dans dix entreprises différentes. Vous êtes volé neuf fois… [….] Une seule affaire réussit ! (par hasard ! – D’accord ! – On ne l’a pas fait exprès ! – Allez ! blaguez ?) Eh ! bien, le ponte assez sage pour diviser ainsi ses masses, rencontre un superbe placement, comme l’ont trouvé ceux qui ont pris les actions des mines de Wortschin. »

            - Mieux vaut voler des millions à des milliers de petits épargnants que cinq mille francs à un seul individu. Dans le premier cas, on ne vous reproche rien, mais dans le second cas il en est tout autrement, dit Blondet : « vous prenez cinq mille francs dans mon secrétaire, on vous envoie au bagne. »

            - Il vaut mieux un homme d’Etat pas très honnête mais efficace, plutôt qu’un ministre vertueux mais imbécile : « Un Premier ministre qui prend cent millions et qui rend la France grande et heureuse, n’est-il pas préférable à un ministre enterré aux frais de l’Etat, mais qui a ruiné son pays ? »

            - A Lyon, les impôts locaux, en fait les fameux octrois perçus à l’entrée de la cité, sont élevés, parce que la ville veut accéder au rang de capitale, selon Blondet : « Lyon veut bâtir des théâtres et devenir capitale, de là des octrois insensés. »

            - Une réforme de la fiscalité est chose impossible en France, déclare le même Blondet. Bixiou lui répond : « Blondet ! Tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la Fiscalité qui a ôté plus de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre. Dans le ministère [où j’ai travaillé], il y avait un employé, homme de talent, qui avait résolu de changer tout le système des finances… ah ! bien, nous l’avons joliment dégommé. »

            Une fois le livre terminé, le lecteur est tenté de se dire qu’il sera bon de le relire à tête reposé, afin de saisir toute la signification du propos de Balzac.

 

La Maison Nucingen, de Balzac (1839), collection Folio.

10/02/2014

Mont-Oriol, de Maupassant

Lecture à éviter avant d'aller en cure

Mont-Oriol

Maupassant s’attaque au thermalisme, alors en plein boom en cette fin du XIXème siècle. William Andermatt, banquier de son état, lance une ville d’eau qu’il baptise Mont-Oriol. Il rallie à son projet des médecins plus préoccupés de leur carrière que de l’honneur de la médecine. Le thermalisme, selon Maupassant, est d’abord une affaire d’argent.

            Deux intrigues se superposent dans Mont-Oriol. En premier lieu, Maupassant fait le récit d’un adultère. Christiane de Ravanel, fille du marquis de Ravanel, a épousé le banquier William Andermatt dans le but que sa fortune arrose toute la famille de Ravanel. Au sein du couple, aucun enfant ne vient. Pour lutter contre la stérilité, Christiane suit une cure, quand elle tombe amoureuse de Paul Brétigny, un aventurier, avec qui elle va tromper son mari. En parallèle de cette première intrigue, Maupassant conte la naissance et le développement de la station thermale de Mont-Oriol. Et c’est ce second récit qui est le plus original et le plus passionnant. Maupassant nous fait vivre en direct la fondation d’une ville d’eaux, et nous fait visiter ses coulisses peu ragoûtantes.

     mont-oriol,maupassant       Au début du roman, le thermalisme n’est qu’à ses balbutiements. Christiane suit son traitement dans la toute petite station d’Enval. Tout de suite nous constatons que Maupassant n’aime pas les médecins. Dès le début du livre, il règle son compte au docteur Bonnefille, inspecteur de la station d’Enval, qui rédige ses ordonnances comme s’il s’agissait d’ordonnances de justice ; selon Maupassant, on croyait lire : « Attendu que M. X… est atteint d’une maladie chronique, incurable et mortelle ; il prendra : 1°) Du sulfate de quinine qui le rendra sourd et lui fera perdre la mémoire ; 2°) Du bromure de potassium qui lui détruira l’estomac […] et fera fétide son haleine […]. »

            Quand Andermatt vient rejoindre sa femme à Enval, il assiste à la découverte d’une source sur les terres du vieux paysan Oriol. Aussitôt, l’homme d’argent et entrepreneur qu’est Andermatt comprend le profit qu’il peut en tirer. Il va fonder, ou plutôt pour reprendre son expression, il va « lancer » une ville d’eaux, car le thermalisme, avant d’être une aventure médicale, est une aventure économique et financière. Andermatt expose son projet à sa belle-famille qui reste dubitative. Devant son beau-frère Gontran de Ravanel, qui décidément n’a pas le sens des affaires, Andermatt s’exclame plein d’enthousiasme : « Ah ! vous ne comprenez pas, vous autres, comme c’est amusant, les affaires, non pas les affaires des commerçants ou des marchands, mais les grandes affaires, les nôtres ! […] Nous sommes les puissants d’aujourd’hui, voilà, les vrais, les seuls puissants ! Tenez, regardez ce village, ce pauvre village ! J’en ferai une ville, moi, une ville blanche, pleine de grands hôtels qui seront pleins de monde, avec des ascenseurs, des domestiques, des voitures, une foule de riche servie par une foule de pauvres […]. »

Il s’agit de vendre l’eau comme n’importe quel produit

            Andermatt lance sa ville d’eau qu’il baptisera Mont-Oriol, et il déclare à son conseil d’administration que c’est grâce à la publicité faite par les médecins que son affaire prospèrera : « La grande question moderne, Messieurs, c’est la réclame ; elle est le dieu du commerce et de l’industrie contemporains. Hors la réclame, pas de salut. […] Nous autres, Messieurs, nous voulons vendre de l’eau. C’est par les médecins que nous devons conquérir le malades. » Et Andermatt se fait plus précis encore : certes non, il ne s’agit pas de corrompre les médecins, mais de se montrer habile pour gagner leurs faveurs.

            Un médecin parisien, le Dr Latonne, est nommé inspecteur des eaux de la toute nouvelle station de Mont-Oriol. Auparavant Latonne n’avait pas de mots assez durs pour critiquer les méthodes du thermalisme, mais maintenant qu’il a accédé à un poste d’importance, il en loue les vertus : « Le docteur Latonne, l’année précédente, médisait les lavages d’estomac préconisés et pratiqués par le docteur Bonnefille dans l’établissement dont il était l’inspecteur. Mais les temps avaient modifié son opinion et la sonde Baraduc était devenue le grand instrument de torture du nouvel inspecteur qui la plongeait dans tous les œsophages avec une joie enfantine. » Sa méthode frise l’imposture et, au fil des pages, en voyant la succes story qu’est le développement de Mont-Oriol, nous aurons l’impression d’assister à une véritable mascarade dont des médecins se font les complices.

            Comme souvent chez Maupassant, les personnages se montrent cyniques et égoïstes, préoccupés seulement par le devenir de leur petite personne. Certains lecteurs seront peut-être atterrés de son ardeur à démolir le thermalisme et l’honneur de la médecine. Peut-être Maupassant est-il injuste, mais il sait raconter une histoire et nous apprend à ne pas être crédules.

 

Mont-Oriol de Maupassant (1886), collection Folio.

25/09/2013

Une ténébreuse affaire, de Balzac

Révélations sur un scandale d’Etat

Une ténébreuse affaire

 

Dans Une ténébreuse affaire, Balzac s’inspire d’une histoire vraie : l’enlèvement mystérieux d’un sénateur, sous le Consulat. Au terme d’un récit riche en rebondissements, Balzac fait la lumière sur cette affaire et met en cause de hautes personnalités.

Un jour de 1800, vers 3 heures de l’après-midi, alors qu’une partie de sa famille est absente, le sénateur Clément de Ris se trouve seul dans son château de Beauvais près de Tours, quand six hommes armés font irruption, s’emparent de ses valeurs et l’obligent à les suivre. L’affaire secoue l’opinion. Qui sont les ravisseurs ? Quelles sont leurs intentions ? Fouché, ministre de la Police, dirige l’enquête. Au bout de vingt jours, des policiers retrouvent Clément de Ris dans la forêt et mettent en fuite ses ravisseurs. Le sénateur est vivant et en bonne santé. L’affaire finit bien, sauf que la victime ayant eu les yeux bandés, elle ne peut guère aider à capturer ses ravisseurs. Des hommes sont arrêtés et condamnés, mais sans que leur responsabilité et leur mobile soient clairement établis.

        balzac,une ténébreuse affaire,la comédie humaine,rené guise,fouché    Jamais la lumière ne fut faite, jusqu’à la publication du roman de Balzac. Lorsqu’en 1843 il écrit Une ténébreuse affaire, Balzac dit clairement s’inspirer de ce fait divers. L’action est transposée dans le département de l’Aube et Clément de Ris est rebaptisé du nom de Malin. Nous allons vivre son enlèvement, sa libération et le procès de ses ravisseurs supposés. A la toute fin du roman, Balzac nous livrera la clé de l’énigme et nous le verrons mettre en cause de hautes personnalités de l’époque.

Un roman riche en rebondissements

            Il est souvent considéré qu’Une ténébreuse affaire est l’un des premiers romans policiers jamais publiés. Pour ma part, je dirais que ce livre est fait de deux livres successifs ; le premier ressemble à un thriller et le second fait penser à ces films à procès qui se déroulent dans une salle d’audience. Cette seconde partie est haletante ; nous y voyons les accusés lutter pour sauver leur tête. L’ensemble est riche en rebondissements, mais au-delà, Balzac nous invite à la réflexion. Sur le fonctionnement de la Justice, il est sans illusion et nous met en garde si nous croyons que l’accusé a autant de moyens à sa disposition que ses juges. Balzac donne la parole à l’un des avocats, Bordin : « Depuis que les sociétés ont inventé la justice, elles n’ont jamais trouvé le moyen de donner à l’innocence accusée un pouvoir égal à celui dont le magistrat dispose contre le crime. La justice n’est pas bilatérale. La Défense qui n’a ni espions (espions=policiers, NDLA], ni police, ne dispose pas en faveur de ses clients de la puissance sociale. L’innocence n’a que le raisonnement pour elle […] ».

            Comme le fait remarquer René Guise en introduction de l’édition Folio de 1973, l’action commence dès les premières pages d’Une ténébreuse affaire, ce qui est rare chez Balzac. La scène d’ouverture, dans la forêt d’Arcis, est forte et eût pu être imaginée pour le cinéma. Bien sûr, nous trouverons en cours de route de longues descriptions, telles que les affectionnait Balzac, des descriptions qui, selon René Guise, agaçaient déjà les lecteurs de l’époque. Mais en même temps, elles rendent l’ensemble vivant et font des personnages des êtres de chair et de sang. Pour cette édition Folio, René Guise a eu l’heureuse idée de rétablir la division en chapitres voulue par Balzac, ce qui rend la lecture plus aisée, d’autant plus que les chapitres se terminent souvent par un cliffhanger. Et puis, dans ses notes, pas trop nombreuses afin de ne pas ralentir la lecture, René Guise n’hésite pas à donner une version plus claire de quelques phrases mal tournées par Balzac.

            Quand on a refermé le livre, on ne peut que regretter que Balzac soit mort avant d’avoir achevé Le Député d’Arcis,qui devait prolonger Une ténébreuse affaire.

 

Une ténébreuse affaire, de Balzac (1841), édition de René Guise (1973), dans la collection Folio.