01/09/2014
La France occupée, d'August von Kageneck
L’Occupation vue par un Allemand
La France occupée
Le livre est un écrit posthume d’August von Kageneck, ancien officier de la Whermacht. Il offre au lecteur français un point de vue allemand sur l’Occupation. Bien qu’inachevé, La France occupée est un livre d’un intérêt certain.
Pendant la seconde guerre mondiale, August von Kageneck fut officier de la Whermacht et combattit sur le front russe. La paix revenue, il se reconvertit dans le journalisme, s’installa à Paris, puis épousa la veuve d’un officier français tué à la guerre d’Algérie.
Sur le tard, en 1994, Kageneck publia Lieutenant de panzers, autobiographie de ses jeunes années. Le livre rencontra son public, si bien que l’auteur poursuivit sur sa lancée et écrivit d’autres ouvrages, parmi lesquels Examen de conscience, dans lequel il posait la question de la participation de la Whermacht à des actions criminelles. L’intérêt des livres de Kageneck est double : il parle de ce qu’il a vécu, et surtout il dépasse le cadre du factuel pour inciter le lecteur à la réflexion.
La France occupée a été publié en 2012. C’est un livre posthume qui reste inachevé, l’auteur étant mort avant d’avoir terminé son manuscrit. Son récit s’arrête en 1942. Néanmoins, même inachevé, le livre est d’un intérêt certain. Il permet au lecteur français de vivre la guerre, et en particulier l’Occupation, du côté allemand.
Kageneck n’était pas personnellement en France à l’époque, mais, pour écrire ce livre, il a interrogé beaucoup de ses anciens camarades. Il a aussi consulté les journaux de marche tenus par les uns et par les autres, qu’ils soient officiers ou soldats. C’est à travers tous les témoignages qu’il a accumulés que Kageneck retrace la campagne de France de mai-juin 1940.
Le premier chapitre intitulé Une victoire éclair est peut-être le plus fort. Le lecteur rencontre des militaires allemands étonnés, au printemps 1940, de la facilité avec laquelle ils défont l’armée française, en l’espace de seulement quelques semaines. Eux-mêmes n’arrivent pas à y croire. Tout cela est si rapide qu’ils en sont presqu’inquiets. Il faut dire que rien n’était écrit d’avance. Les Allemands ont eu aussi des déboires. Ainsi ils pensaient que les Panzers allaient désintégrer les chars français, deux fois moins lourds que les leurs. Mais ce ne fut pas le cas, car le blindage des chars français était plus résistant. Kageneck croit utile de nous rappeler que cette courte campagne de 1940 ne fut pas une promenade de santé et fit de nombreux morts des deux côtés.
Le général von Stulpnagel gonfle les chiffres d’exécutions
dans ses rapports envoyés à Hitler
L’auteur fait vivre au lecteur l’entrée des Allemands à Paris, il fait part de l’émerveillement de certains devant les monuments d’une ville qu’ils visitent pour la première fois. Une feuille de route distribuée aux unités informe les soldats qu’ils vont découvrir dans toutes les provinces de France des châteaux et des monuments historiques d’une extraordinaire valeur culturelle. Ladite feuille rappelle l’obligation qu’il y a à respecter de tels édifices.
Si, d’un point de vue allemand bien sûr, les premiers mois d’occupation se passent plutôt bien, peu à peu les relations se tendent entre occupants et occupés. La résistance gagne du terrain et les actes de sabotage se multiplient. Croyant pouvoir les arrêter, les Allemands se lancent dans une politique de répression et d’exécution d’otages. Kageneck évoque les cas de conscience qui rongèrent le général Otto von Stulpnagel, commandant militaire en France. En vieux soldat prussien, Stulpnagel se veut sévère mais juste. Réaliste, il sait que si Berlin n’envoie pas des signaux positifs aux Français, ceux qui demeurent attentistes risquent de devenir favorables aux Anglais. Le général critique la politique de Berlin et réclame davantage de libérations de soldats français prisonniers en Allemagne. Parallèlement, face aux attentats perpétrés contre des officiers allemands, il n’hésite pas à faire fusiller des otages ; ensuite, dans ses rapports envoyés à Berlin, il se permet de gonfler le nombre d’exécutions auxquelles il a fait procéder, afin de complaire au Führer. Découragé, en désaccord sur la politique qui lui est imposée, Otto von Stulpnagel démissionne en 1942. Son cousin Carl-Heinrich von Stulpnagel lui succède.
Homme doux et raffiné, le nouveau commandant militaire en France est horrifié de la barbarie nazie, ce qui le conduira à participer à l’attentat du 20 juillet 1944. Mais Carl-Heinrich von Stulpnagel est un personnage ambigu, comme le montre Kageneck. Bien que résolu à sauvegarder son honneur de soldat et à ne pas se salir les mains, il se montre franchement antisémite dans ses déclarations.
Même inachevé, La France occupée permet de mieux comprendre la période de l’Occupation. Néanmoins, on conseillera au lecteur qui n’aurait jamais lu d’ouvrages écrits par Kageneck de commencer par Lieutenant de panzers ou Examen de conscience.
La France occupée, d’August von Kageneck (2012), éditions Perrin.
07:30 Publié dans Essai, document, Essai, document, biographie, mémoires..., Histoire, Livre | Tags : la france occupée, august von kageneck, stulpnagel | Lien permanent | Commentaires (0)
25/08/2014
La Vérité, de Clouzot
BB innocente
La Vérité
Clouzot dirige Brigitte Bardot dans un film aux dialogues mordants. L’actrice est poignante dans le rôle de Dominique, une fille facile qui comparait aux assises pour le meurtre de son amant. Le président de la cour, Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. Les avocats, Charles Vanel et Pau Meurisse rivalisent en effets de manche.
La vérité, qui donne son nom au film, est celle que doit établir la cour d’Assises de la Seine. Il s’agit donc de la vérité judiciaire. Les jurés ont à se prononcer sur l’accusation qui pèse sur la jeune Dominique Marceau, qui comparait pour le meurtre de Gilbert Tellier, son amant, mais aussi le fiancé de sa sœur. Si, comme les faits semblent le montrer, Dominique a froidement tué Gilbert parce qu’elle était jalouse de sa sœur, alors elle risque une très lourde peine, sachant que nombre d’éléments laissent supposer la préméditation. En revanche, si Dominique arrive à établir qu’elle était sincèrement amoureuse de Gilbert et qu’elle a agi par dépit et sans réfléchir, alors ses avocats pourront plaider le crime passionnel et faire valoir les circonstances atténuantes. Autrement dit, la cour doit examiner la nature du sentiment qui unissait Dominique et Gilbert, elle doit donc se livrer à un exercice très subjectif.
La Vérité est ce qu’on appelle un film de procès. Le spectateur suit l’audience en quasi-simultané. Dominique est interprétée par Brigitte Bardot et, au bout d’un moment, le spectateur ne sait plus très bien si la cour est chargée de juger Dominique ou la vraie Brigitte Bardot, tant les deux semblent se confondre dans l’amoralisme qui leur est reproché. Dominique est une fille facile. Elle passe le plus clair de son temps au lit dans sa chambre à Saint-Germain-des-Prés, et se donne au premier venu. Lorsqu’à l’audience le portrait de l’accusée est tracé, le président, choqué et presque dégoûté, insiste sur le fait qu’elle a lu du Simone de Beauvoir. Bref, qu’elle soit coupable ou non des faits qui lui sont reprochés, Dominique sape l’ordre établi. En conséquence, la société doit se protéger d’elle.
Par contraste, sa sœur, jouée par Marie-José Nat, est une fille travailleuse et rangée. Elle honore son père et sa mère. La victime, Gilbert Tellier, interprété par Sami Frey, est un jeune homme brillant, bien élevé, qui porte une cravate la plupart du temps. Mais la cour ne voit pas que derrière les apparences de civilité qu’affichait Gilbert, se cachait un amant volage, possessif et colérique.
Les avocats sont presqu’interchangeables
Le président de la cour, superbement interprété par Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. A plusieurs reprises, il juge que Dominique sort de la bienséance dans ses déclarations, il lui coupe sèchement la parole et la tance en lui lançant : « Votre comportement est intolérable ! ». Il est par ailleurs piquant de voir la justice reformuler des déclarations faites dans un langage cru, afin de leur donner une forme présentable.
Les avocats sont presqu’interchangeables. Charles Vanel défend Dominique, tandis que Paul Meurisse, pour la partie civile, représente la mère de Gilbert. Ils n’hésitent pas à isoler quelques mots d’une phrase, à les sortir de leur contexte, du moment que cela sert la cause qu’ils défendent. Les faits sont têtus, dit-on, mais un même fait peut recevoir deux interprétations complètement opposées, comme s’évertuent à le montrer les deux ténors du barreau qui s’affrontent. Paul Meurisse multiplie les effets de manche et Charles Vanel procède lui aussi de la sorte pour casser les effets produits par son confrère.
A travers Dominique, la cour fait le procès d’une jeunesse dépravée. Clouzot n’épargne pas cette justice aux accents moralisateurs, mais il n’est pas tendre non plus pour le milieu de Saint-Germain-des-Prés. On peut estimer que sa peinture de la jeunesse manque de nuances, c’est ce que déplora Les Cahiers du cinéma à la sortie du film en 1960. La revue dénonça également le caractère académique de la mise en scène et la fameuse « qualité française » dont elle entendait se débarrasser.
La Vérité n’est probablement pas le meilleur film de Clouzot, mais c’est quand même un très bon film. La réalisation est de facture classique : les scènes d’audience sont entrecoupées de retours en arrière qui retracent le drame. Cependant, il faut reconnaître que les différentes séquences s’enchainent bien entre elles. Les dialogues ne laissent pas de place à l’improvisation et peuvent paraitre trop écrits, mais ils sont mordants. Les acteurs sont brillants, notamment Brigitte Bardot qui est poignante et émeut par sa spontanéité. Après l’avoir vue, comment douter qu’elle dit la vérité ?
La Vérité, de Henri-Georges Clouzot (1960), avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Charles Vanel, Paul Meurisse, Louis Seigner et Marie-José Nat, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Drame, Film | Tags : la vérité, clouzot, brigitte bardot, sami frey, vanel, paul meurisse, louis seigner, marie-josé nat | Lien permanent | Commentaires (0)
18/08/2014
Le Diable au corps, de Radiguet
Le récit d’un adultère peu banal
Le Diable au corps
Le roman parut sulfureux à sa publication en 1923. Le narrateur, un jeune garçon, se vante d’avoir entretenu une liaison avec une femme mariée dont le mari est parti à la guerre. Radiguet mourut peu après la sortie du livre, à l’âge de vingt ans.
Sous un titre accrocheur, Le Diable au corps est le récit d’un adultère. Une femme trompe son mari. A priori il n’y a pas de situation plus banale en littérature. Sauf qu’ici l’amant de madame est un jeune garçon à peine sorti de l’enfance. En 1923, à sa sortie, le livre parut sulfureux : un adolescent racontait sans état d’âme la liaison qu’il avait entretenue avec une femme mariée, et, qui plus est, avec une femme mariée dont le mari était parti à la guerre accomplir son devoir patriotique. La situation décrite paraissait vraiment scandaleuse, d’autant plus que l’auteur, Raymond Radiguet, âgé de vingt ans à la publication du livre, donnait l’impression de raconter sa propre histoire.
Le narrateur du Diable au corps se prénomme François. En première page du roman, il se rappelle l’année 1914 et se fait faussement provocateur : « Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de guerre ? […] Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »
C’est en avril 1917 que le père de François lui fait rencontrer des amis, les Grangier. M. et Mme Grangier ont une fille, Marthe. Marthe est âgée de dix-huit ans et vient de se marier. Son mari est parti à la guerre. François a alors quinze ans et, comme dans un jeu, il tente de la séduire. Tous deux tombent amoureux l’un de l’autre.
L’intérêt du roman repose notamment sur les contrastes. Même si seulement trois ans d’âge les séparent, Marthe est une femme accomplie tandis que François est encore un enfant. D’un côté, l’époux de Marthe risque chaque jour sa vie au front ; de l’autre, les deux amants passent du bon temps ensemble. François n’arrête pas de répéter qu’il est très timide, ainsi il n’ose pas refuser les avances que lui font les femmes, mais par ailleurs il ne cesse de vouloir tirer les ficelles. Il donne son amour à Marthe, mais se révèle très égoïste, surtout soucieux de sa propre personne. Enfin, et c’est là tout le piment du livre, François insiste bien sur le fait qu’il n’est qu’un enfant, certes plus mûr que les autres garçons de son âge, mais encore ignorant de bien des choses. Dans un premier temps, il se considère quasiment comme un jouet entre les mains de Marthe en particulier, et des femmes en général. Ainsi, quand il cherche à tromper Marthe avec une jeune étrangère, il écrit : « Je n’avais jamais déshabillé de femmes ; j’avais plutôt été déshabillé par elles. »
Cela dit, malgré son caractère sulfureux, le roman ne contient aucune scène torride. Le narrateur procède par sous-entendus et laisse le lecteur libre d’imaginer ce qu’il veut.
Vu la maturité de l’œuvre, on a du mal à imaginer que Radiguet n’avait que dix-huit ans quand il écrivit ce livre inspiré, semble-t-il, de sa propre histoire, bien qu’il s’en fût défendu, rappelant qu’il s’agissait d’un roman et parlant d’une fanfaronnade.
Radiguet mourut à l’âge de vingt ans en 1923, peu de temps après la sortie du livre. Jean Cocteau, qui l’avait pris sous sa protection, se rappela que, quelques jours avant sa mort, il donnait l’impression de s’être rangé. Sans s’en apercevoir, Radiguet, si l’on en croit Cocteau, avait adopté le comportement d’une personne qui s’apprête à mourir, tel qu’il est décrit à la fin du Diable au corps :
« Un homme qui va mourir et ne s’en doute pas met de l’ordre autour de lui. Il classe ses papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Son entourage le félicite. Ainsi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. »
Le Diable au corps, de Raymond Radiguet (1923), collections Le Livre de Poche et Librio.
07:30 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XXe, XXIe siècles | Tags : le diable au corps, radiguet | Lien permanent | Commentaires (0)