25/08/2014
La Vérité, de Clouzot
BB innocente
La Vérité
Clouzot dirige Brigitte Bardot dans un film aux dialogues mordants. L’actrice est poignante dans le rôle de Dominique, une fille facile qui comparait aux assises pour le meurtre de son amant. Le président de la cour, Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. Les avocats, Charles Vanel et Pau Meurisse rivalisent en effets de manche.
La vérité, qui donne son nom au film, est celle que doit établir la cour d’Assises de la Seine. Il s’agit donc de la vérité judiciaire. Les jurés ont à se prononcer sur l’accusation qui pèse sur la jeune Dominique Marceau, qui comparait pour le meurtre de Gilbert Tellier, son amant, mais aussi le fiancé de sa sœur. Si, comme les faits semblent le montrer, Dominique a froidement tué Gilbert parce qu’elle était jalouse de sa sœur, alors elle risque une très lourde peine, sachant que nombre d’éléments laissent supposer la préméditation. En revanche, si Dominique arrive à établir qu’elle était sincèrement amoureuse de Gilbert et qu’elle a agi par dépit et sans réfléchir, alors ses avocats pourront plaider le crime passionnel et faire valoir les circonstances atténuantes. Autrement dit, la cour doit examiner la nature du sentiment qui unissait Dominique et Gilbert, elle doit donc se livrer à un exercice très subjectif.
La Vérité est ce qu’on appelle un film de procès. Le spectateur suit l’audience en quasi-simultané. Dominique est interprétée par Brigitte Bardot et, au bout d’un moment, le spectateur ne sait plus très bien si la cour est chargée de juger Dominique ou la vraie Brigitte Bardot, tant les deux semblent se confondre dans l’amoralisme qui leur est reproché. Dominique est une fille facile. Elle passe le plus clair de son temps au lit dans sa chambre à Saint-Germain-des-Prés, et se donne au premier venu. Lorsqu’à l’audience le portrait de l’accusée est tracé, le président, choqué et presque dégoûté, insiste sur le fait qu’elle a lu du Simone de Beauvoir. Bref, qu’elle soit coupable ou non des faits qui lui sont reprochés, Dominique sape l’ordre établi. En conséquence, la société doit se protéger d’elle.
Par contraste, sa sœur, jouée par Marie-José Nat, est une fille travailleuse et rangée. Elle honore son père et sa mère. La victime, Gilbert Tellier, interprété par Sami Frey, est un jeune homme brillant, bien élevé, qui porte une cravate la plupart du temps. Mais la cour ne voit pas que derrière les apparences de civilité qu’affichait Gilbert, se cachait un amant volage, possessif et colérique.
Les avocats sont presqu’interchangeables
Le président de la cour, superbement interprété par Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. A plusieurs reprises, il juge que Dominique sort de la bienséance dans ses déclarations, il lui coupe sèchement la parole et la tance en lui lançant : « Votre comportement est intolérable ! ». Il est par ailleurs piquant de voir la justice reformuler des déclarations faites dans un langage cru, afin de leur donner une forme présentable.
Les avocats sont presqu’interchangeables. Charles Vanel défend Dominique, tandis que Paul Meurisse, pour la partie civile, représente la mère de Gilbert. Ils n’hésitent pas à isoler quelques mots d’une phrase, à les sortir de leur contexte, du moment que cela sert la cause qu’ils défendent. Les faits sont têtus, dit-on, mais un même fait peut recevoir deux interprétations complètement opposées, comme s’évertuent à le montrer les deux ténors du barreau qui s’affrontent. Paul Meurisse multiplie les effets de manche et Charles Vanel procède lui aussi de la sorte pour casser les effets produits par son confrère.
A travers Dominique, la cour fait le procès d’une jeunesse dépravée. Clouzot n’épargne pas cette justice aux accents moralisateurs, mais il n’est pas tendre non plus pour le milieu de Saint-Germain-des-Prés. On peut estimer que sa peinture de la jeunesse manque de nuances, c’est ce que déplora Les Cahiers du cinéma à la sortie du film en 1960. La revue dénonça également le caractère académique de la mise en scène et la fameuse « qualité française » dont elle entendait se débarrasser.
La Vérité n’est probablement pas le meilleur film de Clouzot, mais c’est quand même un très bon film. La réalisation est de facture classique : les scènes d’audience sont entrecoupées de retours en arrière qui retracent le drame. Cependant, il faut reconnaître que les différentes séquences s’enchainent bien entre elles. Les dialogues ne laissent pas de place à l’improvisation et peuvent paraitre trop écrits, mais ils sont mordants. Les acteurs sont brillants, notamment Brigitte Bardot qui est poignante et émeut par sa spontanéité. Après l’avoir vue, comment douter qu’elle dit la vérité ?
La Vérité, de Henri-Georges Clouzot (1960), avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Charles Vanel, Paul Meurisse, Louis Seigner et Marie-José Nat, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Drame, Film | Tags : la vérité, clouzot, brigitte bardot, sami frey, vanel, paul meurisse, louis seigner, marie-josé nat | Lien permanent | Commentaires (0)
18/08/2014
Le Diable au corps, de Radiguet
Le récit d’un adultère peu banal
Le Diable au corps
Le roman parut sulfureux à sa publication en 1923. Le narrateur, un jeune garçon, se vante d’avoir entretenu une liaison avec une femme mariée dont le mari est parti à la guerre. Radiguet mourut peu après la sortie du livre, à l’âge de vingt ans.
Sous un titre accrocheur, Le Diable au corps est le récit d’un adultère. Une femme trompe son mari. A priori il n’y a pas de situation plus banale en littérature. Sauf qu’ici l’amant de madame est un jeune garçon à peine sorti de l’enfance. En 1923, à sa sortie, le livre parut sulfureux : un adolescent racontait sans état d’âme la liaison qu’il avait entretenue avec une femme mariée, et, qui plus est, avec une femme mariée dont le mari était parti à la guerre accomplir son devoir patriotique. La situation décrite paraissait vraiment scandaleuse, d’autant plus que l’auteur, Raymond Radiguet, âgé de vingt ans à la publication du livre, donnait l’impression de raconter sa propre histoire.
Le narrateur du Diable au corps se prénomme François. En première page du roman, il se rappelle l’année 1914 et se fait faussement provocateur : « Je vais encourir bien des reproches. Mais qu’y puis-je ? Est-ce ma faute si j’eus douze ans quelques mois avant la déclaration de guerre ? […] Que ceux déjà qui m’en veulent se représentent ce que fut la guerre pour tant de très jeunes garçons : quatre ans de grandes vacances. »
C’est en avril 1917 que le père de François lui fait rencontrer des amis, les Grangier. M. et Mme Grangier ont une fille, Marthe. Marthe est âgée de dix-huit ans et vient de se marier. Son mari est parti à la guerre. François a alors quinze ans et, comme dans un jeu, il tente de la séduire. Tous deux tombent amoureux l’un de l’autre.
L’intérêt du roman repose notamment sur les contrastes. Même si seulement trois ans d’âge les séparent, Marthe est une femme accomplie tandis que François est encore un enfant. D’un côté, l’époux de Marthe risque chaque jour sa vie au front ; de l’autre, les deux amants passent du bon temps ensemble. François n’arrête pas de répéter qu’il est très timide, ainsi il n’ose pas refuser les avances que lui font les femmes, mais par ailleurs il ne cesse de vouloir tirer les ficelles. Il donne son amour à Marthe, mais se révèle très égoïste, surtout soucieux de sa propre personne. Enfin, et c’est là tout le piment du livre, François insiste bien sur le fait qu’il n’est qu’un enfant, certes plus mûr que les autres garçons de son âge, mais encore ignorant de bien des choses. Dans un premier temps, il se considère quasiment comme un jouet entre les mains de Marthe en particulier, et des femmes en général. Ainsi, quand il cherche à tromper Marthe avec une jeune étrangère, il écrit : « Je n’avais jamais déshabillé de femmes ; j’avais plutôt été déshabillé par elles. »
Cela dit, malgré son caractère sulfureux, le roman ne contient aucune scène torride. Le narrateur procède par sous-entendus et laisse le lecteur libre d’imaginer ce qu’il veut.
Vu la maturité de l’œuvre, on a du mal à imaginer que Radiguet n’avait que dix-huit ans quand il écrivit ce livre inspiré, semble-t-il, de sa propre histoire, bien qu’il s’en fût défendu, rappelant qu’il s’agissait d’un roman et parlant d’une fanfaronnade.
Radiguet mourut à l’âge de vingt ans en 1923, peu de temps après la sortie du livre. Jean Cocteau, qui l’avait pris sous sa protection, se rappela que, quelques jours avant sa mort, il donnait l’impression de s’être rangé. Sans s’en apercevoir, Radiguet, si l’on en croit Cocteau, avait adopté le comportement d’une personne qui s’apprête à mourir, tel qu’il est décrit à la fin du Diable au corps :
« Un homme qui va mourir et ne s’en doute pas met de l’ordre autour de lui. Il classe ses papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Son entourage le félicite. Ainsi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. »
Le Diable au corps, de Raymond Radiguet (1923), collections Le Livre de Poche et Librio.
07:30 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XXe, XXIe siècles | Tags : le diable au corps, radiguet | Lien permanent | Commentaires (0)
07/07/2014
Quatre Etoiles, de Christian Vincent
Comédie sur la Côte
Quatre Etoiles
Cette comédie, réalisée par Christian Vincent, est une bonne surprise. Les situations sont amusantes et les dialogues sont de qualité. Isabelle Carré et José Garcia se chamaillent tout au long du film. Quant à François Cluzet, il interprète un ancien pilote de course dont l’horizon intellectuel ne dépasse pas le capot de ses voitures.
Le réalisateur Christian Vincent s’est fait connaître en 1990 avec le film La Discrète,qui fit de Fabrice Lucchini une vedette. Malgré ce succès, sa carrière, par la suite, a plutôt été discrète, si l’on peut dire. Avec Quatre Etoiles, sorti en 2006, Christian Vincent donne le meilleur de lui-même et montre ses qualités de réalisateur, de dialoguiste et de directeur d’acteurs.
France, que ses amies surnomment Franssou, est une jeune femme d’une trentaine d’années. Sa tante meurt. Elle hérite de 52 000 euros. 52 000 euros, c’est beaucoup et c’est peu à la fois. C’est beaucoup d’argent d’un seul coup, mais c’est trop peu pour entrevoir d’arrêter de travailler. Alors Franssou décide de dépenser son héritage sans attendre, elle descend en solitaire sur la Côte et s’offre la vie de palace pour quelques jours.
Descendue dans un grand hôtel de Cannes, son chemin croise celui de Stéphane, un petit escroc aux minables combines. Stéphane a urgemment besoin de 10 000 euros pour rembourser une dette de jeu. Quand il a connaissance de la somme que Franssou a en sa possession, il se rapproche d’elle. Tout en devenant vite inséparables, Stéphane et Franssou entretiennent des rapports aigres-doux et finissent par se chamailler. Par ailleurs, Stéphane essaye de vendre une villa qui ne lui appartient pas, il croit avoir trouvé un pigeon en la personne de René, un ancien pilote de course qui vit aux milieux de ses voitures. Franssou va lui donner un coup de main dans son escroquerie, en séduisant René.
Quatre Etoiles est vraiment une bonne surprise. Le film rappelle les comédies hollywoodiennes de Lubitsch ou de Hawks, ou encore Désire (Desire), de Borzage. Un homme et une femme se rencontrent fortuitement, ils se chamaillent, ne se quittent plus et tombent amoureux l’un de l’autre. Le décor est somptueux, les couleurs sont chatoyantes, les situations sont amusantes, les répliques fusent, et la direction d’acteurs est maîtrisée.
Isabelle Carré, dans le rôle de Franssou, est une fille délurée pleine de fraicheur ; José Garcia est d’un sans-gêne incroyable dans le rôle de Stéphane ; quant à François Cluzet, il montre encore une fois qu’il est un grand acteur en jouant René, l’homme dont l’horizon intellectuel ne va plus loin que le capot de ses voitures.
C’est à travers le personnage de René que le spectateur peut mesurer la qualité des dialogues écrits par Christian Vincent. Un bon dialoguiste arrive à donner à chaque personnage une identité, de telle façon qu’il parle avec ses propres mots. Dans un film réussi, la manière de s’exprimer ne doit pas être interchangeable entre les acteurs. Ici, René accumule les lieux communs et se trouve incapable de finir ses phrases ; ce qui serait irritant dans la vraie vie devient à l’écran un véritable plaisir.
Quatre Etoiles, de Christian Vincent (2006), avec Isabelle Carré, José Garcia et François Cluzet, DVD StudioCanal.
08:00 Publié dans Comédie, Film | Tags : quatre etoiles, christian vincent, isabelle carré, josé garcia, françois cluzet | Lien permanent | Commentaires (0)