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09/03/2015

Avant l'aube, de Raphaël Jacoulot

Entre Simenon et Chabrol

Avant l’aube

Sorti en 2011, Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, renoue avec une certaine tradition du film policier, qui semblait à jamais perdue. Il n’y a quasiment pas de scène violente, le rythme n’est pas précipité, et pourtant le spectateur ne s’ennuie pas. On pourrait presque croire que ce film est l’adaptation d’un roman de Simenon, réalisée par Claude Chabrol.

            Pendant plus de cinquante ans le cinéma français produisit de nombreux films policiers. A la fin des années 80, le genre disparut quasi-complètement des grands écrans, la télévision prenant le relais. Ce fut l’époque des Navarro, Julie Lescaut et Cordier, qui assurèrent des succès d’audience à la chaîne qui les diffusait. Dans les années 2000, le film policier fit son retour, mais sous une forme renouvelée. La société étant devenue plus violente et la police s’étant beaucoup transformée, les œuvres produites se voulurent plus proches de la réalité, d’où à l’écran des scènes et des dialogues crus, combinés à une violence exacerbée, le tout soutenu par un rythme rapide.

  avant l’aube,raphaël jacoulot,jean-pierre bacri,vincent rottiers,ludmila mikaël,sylvie testud,céline sallette,xavier robic          Avant l’aube, sorti en 2011, semble renouer avec une certaine tradition qui semblait à jamais perdue. Le réalisateur Raphaël Jacoulot prend le temps d’exposer les personnages et le décor de  son film, qui ne contient presqu’aucune scène de violence. On pourrait presque croire, bien que cela ne soit pas le cas, qu’Avant l’aube est l’adaptation d’un roman de Simenon réalisée par Claude Chabrol. Ainsi, comme souvent chez Simenon et chez Chabrol, l’histoire se passe dans une famille de la bourgeoisie.

            Jacques Couvreur, un quinquagénaire peu agréable, est le propriétaire d’un grand hôtel, situé à flanc de montagne, quelque part en Savoie. Il ne s’entend pas très bien avec son fils Arnaud, un jeune homme qui approche de la trentaine. Une nuit, sur une route enneigée, Arnaud provoque un accident mortel de la circulation. Désemparé, il alerte son père, qui arrive aussitôt sur les lieux. Les deux hommes font face, ils se débarrassent du cadavre et font disparaitre toute trace de l’accident. Il n’y a plus de raison qu’Arnaud soit inquiété. Sauf que Frédéric, un jeune portier stagiaire qui assurait son service cette nuit-là, a tout compris des événements. Et, de son côté, Jacques Couvreur comprend que Frédéric a compris. Si le garçon se met à table devant les enquêteurs, Arnaud est perdu.

            Dans le film, le personnage de Jacques Couvreur ne fait aucun effort pour susciter la sympathie et se montre autoritaire, y compris à l’égard de sa famille. Il ne déborde pas d’amour et de tendresse dans ses faces-à-faces avec son fils Arnaud. Seul Frédéric bénéficie de ses faveurs.

            Malgré son jeune âge, Frédéric traîne un lourd passé qu’il vaut mieux ne pas connaitre. Son stage constitue une chance unique d’insertion professionnelle. Mais, dans cet hôtel, il est presqu’à contre-emploi. Alors que les clients sont bien éduqués, parlent correctement et respectent la forme interrogative dans leurs questions, lui-même se montre à peine poli avec eux, en murmurant des phrases telles que : « C’est quoi votre nom ? » ou « Ben, j’sais pas… ».

            Jacques Couvreur fait tout ce qu’il faut pour se montrer agréable avec Frédéric. Mais il ne faut pas se méprendre, il n’a qu’une idée en tête : sauver son hôtel et sa réputation. L’altruisme n’est pas son fort. Dans le film, on le voit essayer de mener en bateau l’inspecteur de police, une jeune femme qui donne l’impression de mener son enquête avec beaucoup de détachement et qui prend ses aises dans les salons de l’hôtel.

            Avant l’aube est un film qui procure du plaisir aux nostalgiques d’une certaine forme de cinéma. Le rythme et le montage ne sont pas précipités, les plans sont relativement longs, mais le film n’est pas du tout ennuyeux. Jean-Pierre Bacri se montre très désagréable dans le rôle de Jacques Couvreur, le propriétaire de l’hôtel. Frédéric est interprété par Vincent Rottiers, dont les silences sont éloquents. Quant à Sylvie Testud, elle incarne l’inspecteur de police, et son côté quelque peu casse-pieds finit par irriter Jean-Pierre Bacri.

 

Avant l’aube, de Raphaël Jacoulot, 2011, avec Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël, Sylvie Testud, Céline Sallette et Xavier Robic, DVD TF1 Vidéo.

02/03/2015

La Symphonie pastorale, de Gide

Le pasteur et la jeune aveugle

La Symphonie pastorale

Un pasteur protestant passe sa vie à faire le bien. Un jour, il recueille une jeune aveugle orpheline et l’adopte. Mais au bout d’un moment, sa femme finit par trouver pesante la présence de la fillette. Le pasteur, épris de charité, juge sévèrement le comportement de sa femme et lui reproche d’avoir une attitude qui n’est pas évangélique.

            Publié en 1919, La Symphonie pastorale est un court récit, presqu’une nouvelle. Ici, Gide est à des années-lumière de l’invention et de la fantaisie dont il a fait preuve dans Les Caves du Vatican. Le livre est rigoureux et austère, à l’image du pasteur protestant qui en est le narrateur.

       la symphonie pastorale,gide     L’histoire se passe à la fin du XIXe siècle, dans les Alpes suisses. En une phrase, le décor est planté : « La neige qui n’a cessé de tomber depuis trois jours, bloque les routes. » Le narrateur se rappelle comment un soir il a été envoyé chercher, pour se rendre dans un village auprès d’une vieille femme qui se meurt. Arrivé à son chevet, il découvre accroupie dans un coin une fillette d’une quinzaine d’années, à l’allure un peu sauvage. L’enfant, qui est la nièce de la vieille femme, est aveugle. Devenue orpheline, elle est condamnée à l’hospice. Mais, dans un élan de charité, le pasteur décide qu’il ne peut l’abandonner. Il ressent un appel, c’est la Providence qui lui a envoyé l’orpheline : « Il m’apparut soudain que Dieu plaçait sur ma route une sorte d’obligation et que je ne pouvais pas sans quelque lâcheté m’y soustraire. »

            La fillette, qui n’avait pas de prénom jusque là, est baptisée Gertrude et est adoptée par la famille du pasteur. Mais au bout d’un moment, Amélie, l’épouse du narrateur, trouve la présence de la petite bien pesante. Son mari lui consacre beaucoup de temps ; un soir, il l’emmène même au concert écouter la symphonie Pastorale, de Beethoven, alors qu’il n’a jamais pris le temps d’emmener au spectacle sa propre famille. A leur retour du concert, Amélie, irritée, déclare froidement à son mari : « Tu fais pour elle ce que tu n’aurais jamais fait pour aucun des tiens. »

            Face à la réaction de sa femme, le pasteur se sent victime d’une injustice, et le lecteur a tendance à se ranger de son côté. L’homme est d’une haute rectitude morale ; dans la tradition protestante, il est imprégné des saintes Ecritures et se désole de la scène de jalousie que lui fait sa femme, incapable de comprendre qu’en fêtant Gertrude il « fête l’enfant qui revient […] comme le montre la parabole. » L’arrivée de Gertrude dans la famille est donc comparable au retour de l’enfant prodigue parmi les siens. Certes, mais en blâmant sa femme, le pasteur n’est-il pas en train de céder à une passion aveugle qui le pousse vers Gertrude ?

Le pasteur se plaint du manque d’affection

de ses proches à son égard

            Au fil du récit, le regard du lecteur évolue et cela rend le livre captivant. Au départ, le pasteur apparaît comme une âme généreuse. C’est un être charitable, désintéressé, tourné vers les autres. Puis, peu à peu, il apparaît sous un autre visage, celui d’un homme sûr de lui, peu sympathique, péremptoire dans ses jugements, et assez irritant par son discours moralisateur. Il ne cesse de faire la leçon à son entourage, et au lecteur du même coup, tellement il est convaincu de détenir la vérité. Par sa connaissance des Ecritures, lui seul sait où est le bien et où est le mal.

            L’être charitable que semblait être le pasteur se révèle un être possessif et jaloux, qui a fait de Gertrude sa chose. Il ne supporte pas que d’autres, surtout son fils, approchent d’elle sans son autorisation expresse. Centré sur lui-même, le pasteur va jusqu’à se plaindre d’un manque d’affection de ses proches à son égard. Quand le soir il rentre à la maison, il aimerait que sa femme et ses enfants soient plus chaleureux avec lui : « Lorsqu’après une journée de lutte, visites au pauvres, aux malades, aux affligés, je rentre à la nuit tombée, harassé parfois, le cœur plein d’un exigeant besoin de repos, d’affection, de chaleur, je ne trouve le plus souvent à mon foyer que soucis, récriminations, tiraillements, à quoi mille fois je préfèrerais le froid, le vent et la pluie du dehors. » En résumé, sa femme et ses enfants devraient se mettre, tous les soirs, au service de M. le pasteur, qui revient de ses épuisantes journées passées à semer le bien sur sa route.

            La Symphonie pastorale est un livre qui se lit assez vite, même si certains lecteurs peuvent trouver que le style de Gide manque un peu de fluidité. En outre, l’auteur prend quelques libertés avec la langue ; ainsi, à plusieurs reprises, il écrit « malgré que », tournure qui n’est pas recommandée en bon français.

            A travers le récit du pasteur, le lecteur est amené à réfléchir sur le sens de la charité chrétienne et l’interprétation des Ecritures. Il est par exemple question de la place de saint Paul dans l’établissement de la doctrine chrétienne. Ainsi le pasteur remarque que « nombre des notions dont se composent la foi chrétienne relèvent non des paroles du Christ mais des commentaires de saint Paul. »

 

La Symphonie pastorale, d’André Gide, 1919, collections Le Livre de poche (épuisé) et Folio.

23/02/2015

Le Dernier Métro, de Truffaut

Le film aux dix Césars

Le Dernier Métro

A Paris, sous l’Occupation, Marion Steinert dirige le théâtre Montmartre. Bernard Granger, un jeune acteur qui lui donne la réplique, la trouve froide et distante, comme si elle avait quelque chose à cacher. Dans ce film, les deux rôles principaux sont tenus par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Truffaut, qui les dirige, s’est plu à recréer l’atmosphère de l’époque. Le Dernier Métro fut couvert de récompenses à la cérémonie des Césars de 1981.

            Paris, 1942. La vie culturelle est intense. Pour échapper à la noirceur du temps, la population fait le plein des salles de spectacle. Le dernier métro, qui donne au film son titre, est celui que les Parisiens ne doivent surtout pas manquer le soir, s’ils veulent être rentrés chez eux avant le couvre-feu.

            Le jeune acteur Bernard Granger obtient un rôle dans la pièce que prévoit de monter le théâtre Montmartre. Son directeur, Lucas Steinert, ayant pris la fuite, c’est son épouse, Marion, qui assure l’intérim. Au fil des répétitions, Bernard Granger apprend à connaître Marion Steinert, à qui il donne la réplique. Il est intrigué par son comportement qu’il trouve froid et distant, comme si elle avait quelque chose à cacher.

 le dernier métro,truffaut,deneuve,depardieu,poiret,heinz bennent,jean-louis richard,andréa ferréol,paulette dubost,maurice risch,sabine haudepin           Dans ce film, François Truffaut a su recréer l’atmosphère de l’Occupation. Il ne force pas sur le côté sombre de l’époque et ne montre pas de scène violente. Il cherche à rassurer le spectateur en le faisant profiter du cocon que représente le théâtre, l’essentiel du film se déroulant entre ses quatre murs. Le lieu sert d’échappatoire, il semble situé à des années-lumière du fracas des armes. L’ambiance est apaisée et apaisante. Le calme est seulement troublé par des coupures intempestives de courant et des alertes aériennes. Comme si de rien n’était, les comédiens vivent leur vie et leurs amours, et font leur métier. Ils sont quand même soumis aux aléas du ravitaillement et doivent remettre un certificat d’aryanité pour pouvoir travailler. Comme à toutes les époques, certains cherchent la réussite à tout prix ; ainsi une jeune actrice affirme qu’il faut tout accepter pour se faire remarquer. Dans son cas, sous l’Occupation, « tout accepter » nécessite de sortir en compagnie d’un officier allemand.

            Certains épisodes sont authentiques. Quand le jeune Bernard Granger gifle le critique du journal Je suis partout, cela renvoie à la correction donnée par Jean Marais à un journaliste qui avait écrit sur Cocteau des choses déplaisantes. Quand, à la Libération, un metteur en scène réputé est arrêté en robe de chambre puis libéré, cela fait référence aux multiples déboires que connut Sacha Guitry à cette période. Et quand un acteur échappe à l’arrestation dans une église, l’épisode en question est directement inspiré d’une histoire vécue par un oncle de Truffaut.

            Le film se passant dans un théâtre, il a un côté théâtre que l’on peut qualifier d’assumé. Le film et la pièce que jouent les comédiens finissent par se confondre dans un tout. Catherine Deneuve joue Marion Steinert et n’a pas de mal à se montrer froide et distante, les autres comédiens la vouvoient et l’appellent « Madame ». Gérard Depardieu interprète Bernard Granger avec la sobriété qui pouvait être la sienne à l’époque.

            Dans ce film très « théâtre », les dialogues donnent l’impression d’être soigneusement écrits. Si l’on voulait, on pourrait ironiser sur l’aspect « qualité française » du film. Petite explication : Truffaut, quand il était un critique redouté, n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ses aînés, tels Jean Delannoy ou Autant-Lara, auxquels il reprochait leur académisme. Il leur opposait les maîtres de la série B hollywoodienne et leur sens du rythme.

            Ici, dans Le Dernier Métro, nous sommes loin de la série B, le rythme étant assez lent. Le spectateur est invité à prendre son temps pour profiter de la qualité du jeu des acteurs et de la reconstitution. Visiblement, Truffaut s’est plu à donner un caractère rétro à son film. C’est lui qui a sorti de l’oubli la chanson Mon amant de Saint-Jean, bien avant que le rétro devienne « tendance » au cinéma et dans la variété.

            En 1981, Le Dernier Métro fut couvert de Césars. Il gagna dix des douze récompenses attribuées cette année-là.

 

Le Dernier Métro, de François Truffaut, 1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Jean Poiret, Heinz Bennent, Jean-Louis Richard, Andréa Ferréol, Paulette Dubost, Maurice Risch et Sabine Haudepin, DVD MK2.