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17/11/2014

Le Feu follet, de Louis Malle

Maurice Ronet séduisant, mais fragile

Le Feu follet

Maurice Ronet trouve ici le rôle de sa vie, dans ce film adapté du roman de Drieu La Rochelle. Il joue le personnage d’un ancien alcoolique qui traîne son air maladif dans les rues de Paris. Il a décidé de partir et fait une tournée d’adieu auprès de ses connaissances.

            En 1957, Maurice Ronet tournait dans Ascenseur pour l’échafaud sous la direction de Louis Malle. Six ans plus tard, les deux hommes se retrouvent pour Le Feu follet, adapté du roman de Drieu La Rochelle. En apparence, les deux films sont très différents. Ascenseur pour l’échafaud est un film grand public, très rythmé, qui rappelle les films noirs américains, tandis que Le Feu follet est une œuvre lente et sèche, qui, par sa dureté, ne pouvait devenir un grand succès populaire. Et pourtant, par certains aspects, Le Feu follet donne l’impression d’être le prolongement d’Ascenseur pour l’échafaud. Le décor est le même, le Paris des années soixante ; et surtout, Maurice Ronet campe à nouveau un personnage d’homme séduisant, ancien baroudeur, et malgré tout fragile, terriblement fragile.

   le feu follet,louis malle,maurice ronet,alexandra stewart,jeanne moreau,jacques sereys,ascenseur pour l’échafaud         Alain Leroy, personnage interprété par Maurice Ronet, suit une cure de désintoxication dans une clinique privée, sise dans un hôtel particulier de Versailles. Au bout de trois mois, le médecin qui le soigne le juge guéri de l’alcool et lui annonce son intention de le libérer. Mais Maurice Ronet veut au contraire rester. Il déclare que s’il sort il rechutera immédiatement. Il le sait, il le sent. Quand le médecin objecte qu’il ne peut le garder indéfiniment, Maurice Ronet lui répond : « Vous serez débarrassé de moi avant la fin de la semaine. » En fait, iI garde en cachette un pistolet dans le tiroir de sa table de nuit.

            Maurice Ronet a décidé de partir. Il se rend à Paris faire sa tournée d’adieu. Il visite une dernière fois ses amis, ou du moins ses connaissances. Il s’aperçoit qu’un mur le sépare des autres. Dans la rue il se heurte même aux passants, comme s’il ne les voyait pas. Il semble déjà ailleurs, plongé qu’il est dans ses pensées.

            C’est un blessé de la vie qui promène son air maladif dans les rues de Paris. Il a raté sa vie, du moins le croit-il. Il avait trois buts dans l’existence : les femmes, l’argent et l’action. Sur aucun de ces points il n’a trouvé satisfaction. Lui l’ancien baroudeur, héros de guerres perdues, s’ennuie dans le désœuvrement. L’alcool aura servi à combler la vacuité de son existence. Une fois désintoxiqué, il se rend compte du vide qu’il a en face de lui. Derrière le masque de fêtard se cachait une angoisse existentielle. Il voit avec dégoût l’un de ses anciens camarades engourdi dans le confort de la vie bourgeoise.

            Il n’aura pas réussi non plus à faire fortune. Il l’a l’air riche, mais ne l’est pas. Il est très élégant dans son costume trois boutons avec pochette, mais il n’est pas celui qu’on croit. Il vit aux crochets d’une riche américaine pendant que son épouse se désintéresse de lui.

            Sa tournée d’adieu lui aura permis de vérifier que, dans la vie, il aura toujours dépendu des autres, sans que cela n’empêche ses relations de rester superficielles. Finalement, il n’aura pas réussi à prendre sa vie en main.

            La situation est sans issue.

            L’acteur Maurice Ronet aura trouvé ici le rôle de sa vie. Comme le font remarquer ses biographes, contrairement à ce que l’on croit parfois, Maurice Ronet n’a pas fini ses jours en imitant le personnage du Feu follet. Il est mort d’un cancer en 1983, à l’âge de cinquante-six ans.

 

Le Feu follet, de Louis Malle, 1963, avec Maurice Ronet, Alexandra Stewart, Jeanne Moreau et Jacques Sereys, DVD Arte Editions.

10/11/2014

Jules Ferry, la liberté et la tradition, de Mona Ozouf

L’un des pères de l’identité française

Jules Ferry,

la liberté et la tradition

En 2012, François Hollande a placé son quinquennat sous la bannière de Jules Ferry père de l’école publique, tout en renvoyant dans les ténèbres Ferry le colonisateur. Piquée au vif, l’historienne Mona Ozouf veut rétablir Jules Ferry dans son unité en montrant la cohérence de sa pensée. De nombreuses réformes qu’il a mises en place ont traversé le temps et nous paraissent aujourd’hui naturelles.

            Ce livre n’est pas une biographie de Jules Ferry, mais un court essai cherchant à cerner l’homme et ses idées. Mona Ozouf considère que l’exemple de Ferry peut, de nos jours, éclairer le débat qui a lieu, au sein de la société française, sur l’identité nationale. L’auteur estime que Ferry fut un artisan de cette identité. Il est l’auteur de nombreuses réformes qui ont traversé le temps et qui aujourd’hui nous paraissent naturelles. Il est bien sûr le père de l’école publique, mais, en tant que président du Conseil, il fut aussi à l’origine de la loi sur la liberté de la presse et de la loi sur la liberté de réunion. C’est encore lui qui a fait voter la loi municipale prévoyant, non plus la nomination, mais l’élection des maires, et dotant chaque commune d’un hôtel de ville et d’une mairie. Et puis, il est aussi à l’origine de l’institution du mariage civil.

            Malgré l’importance de son legs, il fut haï de son vivant. Mona Ozouf nous rappelle que Ferry eut notamment contre lui :

            - la droite catholique, opposée à son école sans Dieu ;

            - la gauche radicale, avec à sa tête Clemenceau ;

            - le peuple de Paris, qui se souvenait qu’il avait été maire de la ville sous la Commune ;

            - et de nombreux patriotes qui l’accusaient de sacrifier les provinces perdues au profit de sa politique coloniale.

            Pour couronner le tout, Ferry ne pouvait se glorifier d’actions héroïques, à la manière de Gambetta qui avait organisé la défense héroïque de 1870 contre l’envahisseur prussien.

  jules ferry,la liberté et la tradition,mona ozouf          De nos jours, Jules Ferry a trouvé une certaine popularité, mais il existe une fâcheuse tendance à vouloir le couper en deux. Ainsi, n’hésite-t-on pas à opposer le bon Ferry, père de l’école publique, au mauvais Ferry, dont l’action extérieure a eu pour résultat de soumettre des peuples lointains qui n’avaient rien demandé à personne. Même François Hollande, quand il a placé son quinquennat sous sa bannière après son élection en 2012, a cru nécessaire de renvoyer aux ténèbres son action coloniale, comme si la politique de Ferry ne formait pas un tout cohérent. Et pourtant, ainsi que le montre Mona Ozouf, Ferry avait beaucoup réfléchi et avait mûri ses projets politiques.

Un héritier respectueux de la tradition,

qui ne croit pas en la politique de la table rase

            Jules Ferry, bien qu’épris de liberté, est un héritier respectueux de la tradition. Il ne croit ni en la politique de la table rase, ni en l’avènement d’un homme nouveau. Jules Ferry est un homme enraciné dans sa Lorraine natale. Il a souvent parcouru sa province à pied, muni d’un carnet de croquis, à la recherche d’un cloître ou d’une ruine. Il est respectueux des saisons et sait qu’il faut faire preuve de patience avant de récolter le fruit de sa semence. Il est admiratif des paysans… et des prêtres, qui, dans leur majorité, sont « des fils de la charrue et des sillons ». Enfant, Jules Ferry « avait même fait une si bonne première communion », soupirait l’abbé Voizelat, qui s’était occupé de lui ; mais, devenu jeune homme, il s’était détaché de la religion. Cependant il continuait de considérer la France comme un pays dont le catholicisme fait partie des racines. Devenu président du Conseil, il se montre hostile à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et reste favorable au concordat… qui permet au gouvernement de nommer les évêques.

            D’une manière générale, Ferry se montre hostile aux changements radicaux. Il fait partie du groupe dit des Opportunistes, qui pratique une politique de petits pas pour installer progressivement la République et y rallier la majorité de la population, notamment la bourgeoisie et les catholiques, qu’il ne veut pas effrayer.

            Mona Ozouf ne manque pas de passer au crible la très contestée politique coloniale de Jules Ferry. Son grand adversaire Clemenceau railla son discours dans lequel il faisait valoir le droit des races supérieures de civiliser les races inférieures. Mona Ozouf remet les choses dans leur contexte et rappelle que le mot « race » était d’usage courant à l’époque. Dans l’esprit de Ferry, la colonisation n’a pas pour but d’asservir les faibles, mais de leur apporter la justice et les lumières. Sur ce dossier, le défenseur de la tradition et de l’enracinement est même logique avec lui-même. Quand, en 1881, il doit fixer le statut de la Tunisie, il ne la transforme pas en départements français, ainsi que l’avaient fait ses prédécesseurs pour l’Algérie ; il choisit le protectorat. Grâce à Ferry, la Tunisie gardera une large autonomie administrative, ainsi que ses traditions.

Ferry, natif de Saint-Dié, n’oublie pas

les provinces perdues

            De nombreux patriotes, dont Clemenceau, déploraient que la politique coloniale de la France fût encouragée par Bismarck, afin de détourner son attention des provinces perdues. Pourtant, Ferry, natif de Saint-Dié, n’oublie pas l’Alsace-Lorraine. Mais il veut d’abord refaire la France et lui redonner toute sa puissance en la dotant d’un empire colonial.

            Pour refaire la France, l’instruction doit occuper une place primordiale. Par l’enseignement qu’ils reçoivent, les enfants doivent apprendre à connaitre la France ; d’où les cartes de géographie qui font leur apparition sur les murs des salles de classe. Ferry n’oublie pas les jeunes filles, à qui il ouvre les portes des écoles. Il les envoie au chef-lieu de canton passer le même certificat d’études que les garçons.

            Il encourage la lecture chez l’enfant. Ses adversaires s’inquiètent alors des ravages moraux que pourrait provoquer un accès généralisé aux livres. Ferry leur répond que le contenu du livre importe peu, puisque l’acte de lire est en lui-même émancipateur. Pour cette raison, il ne rechigne pas à ce que des filles apprennent à lire dans L’Imitation de Jésus-Christ.

            Mona Ozouf parvient à rendre toute sa cohérence à la pensée et à la politique de Ferry. Il fut ce pendant la proie de quelques contradictions. Ainsi, d’un côté, il voulut débarrasser l’enseignement du discours latin afin de faire plus de place à l’enseignement des sciences, de façon à ce que la France soit une grande puissance industrielle. Mais, d’un autre côté, l’homme enraciné qu’il était, restait attaché au latin et craignait qu’il n’y ait quelques dangers à se couper de la tradition des humanités.

 

Jules Ferry, la liberté et la tradition, de Mona Ozouf, 2014, éditions Gallimard.

03/11/2014

Le Juge et l'assassin, de Tavernier

Noiret fait passer Galabru aux aveux

Le Juge et l’assassin

Le film de Tavernier se passe en pleine affaire Dreyfus. Dans une petite ville de province, le juge Rousseau, brillamment interprété par Philippe Noiret, enquête sur une série de crimes horribles. Il croit tenir l’assassin en la personne de Bouvier, un chemineau joué par Michel Galabru. Le juge va utiliser des méthodes très personnelles pour atteindre la vérité.

            Sorti en 1976, Le Juge et l’assassin est le troisième film réalisé par Bertrand Tavernier. Tavernier a coutume de dire que dans ses films il montre des gens dans leur travail au quotidien, qu’ils soient policiers, professeurs ou ministres. Dans Le Juge et l’assassin, le spectateur suit un juge dans l’instruction d’une affaire criminelle.

     le juge et l'assassin,tavernier,philippe noiret,galabru,jean-claude brialy,caussimon       L’action démarre en 1895, dans le contexte de l’affaire Dreyfus et des tensions croissantes entre cléricaux et anticléricaux. Le juge Rousseau est en poste dans une petite ville de province du sud de la France. Confronté à une série de meurtres dont des jeunes filles et des enfants sont les victimes, il progresse très vite dans son travail d’enquête. Il suspecte un dénommé Bouvier, un chemineau qui s’est toujours trouvé à proximité du lieu du crime au moment où il était commis.

            Même si les apparences sont contre Bouvier et même si de lourdes présomptions pèsent sur lui, cela ne suffit pas au juge Rousseau. Il veut des éléments matériels et des aveux circonstanciés, afin que son travail soit complet et ne souffre nulle contestation. A priori le juge est une âme pure qui se met au service de la vérité, sauf qu’il va utiliser des méthodes très personnelles. Il se met à l’écoute de Bouvier, passe beaucoup de temps avec lui et se montre très compréhensif à son égard. Il lui promet que, s’il collabore, il sera déclaré fou et échappera à l’échafaud. En réalité, il ne s’agit là que d’une manœuvre destinée à obtenir des aveux. Car, au même moment, Rousseau déclare à d’autres qu’il est persuadé que Bouvier est sain d’esprit. Très moderne dans ses méthodes, il n’hésite pas à médiatiser l’affaire et à utiliser la presse. Le juge n’est pas regardant sur la nature des moyens quand il s’agit d’atteindre la vérité.

            Le juge Rousseau est brillamment interprété par Philippe Noiret, l’assassin par Michel Galabru. Quant à Jean-Claude Brialy, il incarne un ancien magistrat, M. de Villedieu, qui donne au juge sa vision de l’affaire : qu’importe que Bouvier soit coupable ou innocent, puisqu’il appartient au vagabondage, c'est-à-dire au désordre et à l’anarchie. Villedieu fait sien le propos d’Octave Mirbeau qui a dit : « Nous sommes tous des meurtriers en puissance et ce besoin de meurtre, nous le concilions par des moyens légaux : l’industrie, le commerce colonial, la guerre, l’antisémitisme. »

            A la fin du film, le spectateur découvrira qu’il arrive au juge d’avoir un comportement guère éloigné de celui de l’assassin.

            La reconstitution de la France de 1895 est réussie. Le décor nous fait plonger en pleine affaire Dreyfus ; ainsi, au début et à la fin du film, la caméra nous montre, accolé à un mur, un placard publicitaire qui proclame : « Lisez La Croix, le journal le plus antisémite de France. » Des chants patriotiques sont entonnés dans des salons bourgeois, tandis que la rue fait entendre des chansons ouvrières. Jean-Roger Caussimon interprète une ballade spécialement écrite sur l’affaire Bouvier.

            Malgré le côté scabreux des crimes, le Juge et l’assassin est un film agréable à regarder. Le film est long : un peu plus de deux heures, comme souvent chez Tavernier.

 

Le Juge et l’assassin, de Bertrand Tavernier, 1976, avec Philippe Noiret, Michel Galabru, Jean-Claude Brialy et Isabelle Hupert, DVD StudioCanal.