08/09/2014
Mayerling, de Litvak
Le drame d’un amour impossible
Mayerling
Le film d’Anatole Litvak retrace les événements qui ont conduit au double suicide de l’archiduc Rodolphe et sa maîtresse Marie Vetsera. Le spectateur est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal. Mayerling, qui rencontra le succès à sa sortie en 1936, est servi par deux acteurs exceptionnels, Charles Boyer et Danielle Darrieux.
En général, les films inspirés de faits historiques célèbres ont une fâcheuse tendance à être ennuyeux, tant ils essayent de coller à la réalité. Mayerling, d’Anatole Litvak, fait exception. Le film, qui rencontra le succès international à sa sortie en 1936, est avant tout une tragédie contant l’histoire d’un amour impossible entre un prince et une jeune femme.
L’archiduc Rodolphe, héritier des deux couronnes d’Autriche et de Hongrie, épouse la princesse Stéphanie de Belgique. Ce mariage lui a été imposé par son père l’empereur François-Joseph. Mais un jour, lors d’une rencontre fortuite, Rodolphe fait la connaissance de Marie Vetsera, une jeune fille de la noblesse, dont il tombe aussitôt amoureux. L’empereur apprend la liaison et somme son fils de la rompre. Rodolphe déclare à son père qu’il a demandé à Rome l’annulation de son mariage, pour être libre d’épouser Marie. L’empereur est furieux.
Le spectateur connait d’avance la fin du film, et pourtant il est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal qui empêchera à jamais leur union d’être brisée par autrui. En attendant le dénouement inéluctable, on chante et on danse beaucoup dans Mayerling. Les concerts et les bals sont nombreux dans la Vienne impériale, mais la tragédie plane.
Les deux acteurs principaux sont exceptionnels. Charles Boyer interprète Rodolphe comme rarement un acteur aura joué le rôle d’un prince, tant il fait preuve de distinction. Même saoul au sortir d’une orgie, il continue d’en imposer. Il est nerveux tout au long du film, c’est un agité, mais un agité distingué. Mayerling contribua à la célébrité internationale de Charles Boyer, à qui Hollywood avait ouvert ses portes. Maurice Chevalier mis à part, Charles Boyer aura été le seul acteur français à réussir sa carrière américaine.
Danielle Darrieux, dans le rôle de Marie Vetsera, offre la fraicheur de ses dix-neuf ans. Précédemment, elle avait montré sa capacité à jouer les jeunes filles espiègles dans des comédies alertes, telle Mauvaise Graine, de Billy Wilder. Cette fois elle montre sa capacité à interpréter un rôle grave. Elle est une Marie Vetsera qui réussit en même temps à être ingénue et lucide. On comprend que Rodolphe ait succombé à son charme. Plus tard dans sa carrière, Danielle Darrieux montra sa capacité à accepter les années qui passent, en jouant des femmes d’âge mûr souvent calculatrices ; on peut penser à Madame de…, de Max Ophuls, dans lequel, en 1953, elle retrouva Charles Boyer.
Les dialogues sont de Kessel
Les rôles secondaires sont aussi très bien interprétés. Jean Dax est un empereur François-Joseph à l’esprit étroit et borné. Suzy Prim est l’entremetteuse, dans le rôle de la comtesse Larish. Quant à Jean Debucourt, il est un premier ministre obséquieux et sournois.
Le film est rythmé. La musique est enivrante et les décors sont somptueux. On se croirait vraiment dans la Vienne impériale. Les dialogues sont signés de Joseph Kessel, dont Litvak venait d’adapter, avec succès, le roman L’Equipage. Après la sortie de Mayerling, Litvak quitta la France pour l’Amérique. Il revint en Europe dans les années soixante, pour y tourner La Nuit des généraux, film policier singulier qui se déroulait en pleine seconde guerre mondiale.
Il existe une version en couleur et en cinémascope de Mayerling. Elle fut tournée par Terence Young en 1968, avec Omar Sharif et Catherine Deneuve. Bien qu’ayant tendance à être ennuyeuse, elle reste regardable, mais fait pâle figure à côté de la version de Litvak.
Mayerling, d’Anatole Litvak (1936), avec Charles Boyer, Danielle Darrieux, Jean Debucourt, Suzy Prim et Jean Dax, DVD StudioCanal.
07:30 Publié dans Drame, Film, Histoire | Tags : mayerling, litvak, charles boyer, danielle darrieux, jean debucourt, suzy prim, jean dax, kessel | Lien permanent | Commentaires (0)
01/09/2014
La France occupée, d'August von Kageneck
L’Occupation vue par un Allemand
La France occupée
Le livre est un écrit posthume d’August von Kageneck, ancien officier de la Whermacht. Il offre au lecteur français un point de vue allemand sur l’Occupation. Bien qu’inachevé, La France occupée est un livre d’un intérêt certain.
Pendant la seconde guerre mondiale, August von Kageneck fut officier de la Whermacht et combattit sur le front russe. La paix revenue, il se reconvertit dans le journalisme, s’installa à Paris, puis épousa la veuve d’un officier français tué à la guerre d’Algérie.
Sur le tard, en 1994, Kageneck publia Lieutenant de panzers, autobiographie de ses jeunes années. Le livre rencontra son public, si bien que l’auteur poursuivit sur sa lancée et écrivit d’autres ouvrages, parmi lesquels Examen de conscience, dans lequel il posait la question de la participation de la Whermacht à des actions criminelles. L’intérêt des livres de Kageneck est double : il parle de ce qu’il a vécu, et surtout il dépasse le cadre du factuel pour inciter le lecteur à la réflexion.
La France occupée a été publié en 2012. C’est un livre posthume qui reste inachevé, l’auteur étant mort avant d’avoir terminé son manuscrit. Son récit s’arrête en 1942. Néanmoins, même inachevé, le livre est d’un intérêt certain. Il permet au lecteur français de vivre la guerre, et en particulier l’Occupation, du côté allemand.
Kageneck n’était pas personnellement en France à l’époque, mais, pour écrire ce livre, il a interrogé beaucoup de ses anciens camarades. Il a aussi consulté les journaux de marche tenus par les uns et par les autres, qu’ils soient officiers ou soldats. C’est à travers tous les témoignages qu’il a accumulés que Kageneck retrace la campagne de France de mai-juin 1940.
Le premier chapitre intitulé Une victoire éclair est peut-être le plus fort. Le lecteur rencontre des militaires allemands étonnés, au printemps 1940, de la facilité avec laquelle ils défont l’armée française, en l’espace de seulement quelques semaines. Eux-mêmes n’arrivent pas à y croire. Tout cela est si rapide qu’ils en sont presqu’inquiets. Il faut dire que rien n’était écrit d’avance. Les Allemands ont eu aussi des déboires. Ainsi ils pensaient que les Panzers allaient désintégrer les chars français, deux fois moins lourds que les leurs. Mais ce ne fut pas le cas, car le blindage des chars français était plus résistant. Kageneck croit utile de nous rappeler que cette courte campagne de 1940 ne fut pas une promenade de santé et fit de nombreux morts des deux côtés.
Le général von Stulpnagel gonfle les chiffres d’exécutions
dans ses rapports envoyés à Hitler
L’auteur fait vivre au lecteur l’entrée des Allemands à Paris, il fait part de l’émerveillement de certains devant les monuments d’une ville qu’ils visitent pour la première fois. Une feuille de route distribuée aux unités informe les soldats qu’ils vont découvrir dans toutes les provinces de France des châteaux et des monuments historiques d’une extraordinaire valeur culturelle. Ladite feuille rappelle l’obligation qu’il y a à respecter de tels édifices.
Si, d’un point de vue allemand bien sûr, les premiers mois d’occupation se passent plutôt bien, peu à peu les relations se tendent entre occupants et occupés. La résistance gagne du terrain et les actes de sabotage se multiplient. Croyant pouvoir les arrêter, les Allemands se lancent dans une politique de répression et d’exécution d’otages. Kageneck évoque les cas de conscience qui rongèrent le général Otto von Stulpnagel, commandant militaire en France. En vieux soldat prussien, Stulpnagel se veut sévère mais juste. Réaliste, il sait que si Berlin n’envoie pas des signaux positifs aux Français, ceux qui demeurent attentistes risquent de devenir favorables aux Anglais. Le général critique la politique de Berlin et réclame davantage de libérations de soldats français prisonniers en Allemagne. Parallèlement, face aux attentats perpétrés contre des officiers allemands, il n’hésite pas à faire fusiller des otages ; ensuite, dans ses rapports envoyés à Berlin, il se permet de gonfler le nombre d’exécutions auxquelles il a fait procéder, afin de complaire au Führer. Découragé, en désaccord sur la politique qui lui est imposée, Otto von Stulpnagel démissionne en 1942. Son cousin Carl-Heinrich von Stulpnagel lui succède.
Homme doux et raffiné, le nouveau commandant militaire en France est horrifié de la barbarie nazie, ce qui le conduira à participer à l’attentat du 20 juillet 1944. Mais Carl-Heinrich von Stulpnagel est un personnage ambigu, comme le montre Kageneck. Bien que résolu à sauvegarder son honneur de soldat et à ne pas se salir les mains, il se montre franchement antisémite dans ses déclarations.
Même inachevé, La France occupée permet de mieux comprendre la période de l’Occupation. Néanmoins, on conseillera au lecteur qui n’aurait jamais lu d’ouvrages écrits par Kageneck de commencer par Lieutenant de panzers ou Examen de conscience.
La France occupée, d’August von Kageneck (2012), éditions Perrin.
07:30 Publié dans Essai, document, Essai, document, biographie, mémoires..., Histoire, Livre | Tags : la france occupée, august von kageneck, stulpnagel | Lien permanent | Commentaires (0)
25/08/2014
La Vérité, de Clouzot
BB innocente
La Vérité
Clouzot dirige Brigitte Bardot dans un film aux dialogues mordants. L’actrice est poignante dans le rôle de Dominique, une fille facile qui comparait aux assises pour le meurtre de son amant. Le président de la cour, Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. Les avocats, Charles Vanel et Pau Meurisse rivalisent en effets de manche.
La vérité, qui donne son nom au film, est celle que doit établir la cour d’Assises de la Seine. Il s’agit donc de la vérité judiciaire. Les jurés ont à se prononcer sur l’accusation qui pèse sur la jeune Dominique Marceau, qui comparait pour le meurtre de Gilbert Tellier, son amant, mais aussi le fiancé de sa sœur. Si, comme les faits semblent le montrer, Dominique a froidement tué Gilbert parce qu’elle était jalouse de sa sœur, alors elle risque une très lourde peine, sachant que nombre d’éléments laissent supposer la préméditation. En revanche, si Dominique arrive à établir qu’elle était sincèrement amoureuse de Gilbert et qu’elle a agi par dépit et sans réfléchir, alors ses avocats pourront plaider le crime passionnel et faire valoir les circonstances atténuantes. Autrement dit, la cour doit examiner la nature du sentiment qui unissait Dominique et Gilbert, elle doit donc se livrer à un exercice très subjectif.
La Vérité est ce qu’on appelle un film de procès. Le spectateur suit l’audience en quasi-simultané. Dominique est interprétée par Brigitte Bardot et, au bout d’un moment, le spectateur ne sait plus très bien si la cour est chargée de juger Dominique ou la vraie Brigitte Bardot, tant les deux semblent se confondre dans l’amoralisme qui leur est reproché. Dominique est une fille facile. Elle passe le plus clair de son temps au lit dans sa chambre à Saint-Germain-des-Prés, et se donne au premier venu. Lorsqu’à l’audience le portrait de l’accusée est tracé, le président, choqué et presque dégoûté, insiste sur le fait qu’elle a lu du Simone de Beauvoir. Bref, qu’elle soit coupable ou non des faits qui lui sont reprochés, Dominique sape l’ordre établi. En conséquence, la société doit se protéger d’elle.
Par contraste, sa sœur, jouée par Marie-José Nat, est une fille travailleuse et rangée. Elle honore son père et sa mère. La victime, Gilbert Tellier, interprété par Sami Frey, est un jeune homme brillant, bien élevé, qui porte une cravate la plupart du temps. Mais la cour ne voit pas que derrière les apparences de civilité qu’affichait Gilbert, se cachait un amant volage, possessif et colérique.
Les avocats sont presqu’interchangeables
Le président de la cour, superbement interprété par Louis Seigner, est avant tout soucieux de la bonne tenue de l’audience. A plusieurs reprises, il juge que Dominique sort de la bienséance dans ses déclarations, il lui coupe sèchement la parole et la tance en lui lançant : « Votre comportement est intolérable ! ». Il est par ailleurs piquant de voir la justice reformuler des déclarations faites dans un langage cru, afin de leur donner une forme présentable.
Les avocats sont presqu’interchangeables. Charles Vanel défend Dominique, tandis que Paul Meurisse, pour la partie civile, représente la mère de Gilbert. Ils n’hésitent pas à isoler quelques mots d’une phrase, à les sortir de leur contexte, du moment que cela sert la cause qu’ils défendent. Les faits sont têtus, dit-on, mais un même fait peut recevoir deux interprétations complètement opposées, comme s’évertuent à le montrer les deux ténors du barreau qui s’affrontent. Paul Meurisse multiplie les effets de manche et Charles Vanel procède lui aussi de la sorte pour casser les effets produits par son confrère.
A travers Dominique, la cour fait le procès d’une jeunesse dépravée. Clouzot n’épargne pas cette justice aux accents moralisateurs, mais il n’est pas tendre non plus pour le milieu de Saint-Germain-des-Prés. On peut estimer que sa peinture de la jeunesse manque de nuances, c’est ce que déplora Les Cahiers du cinéma à la sortie du film en 1960. La revue dénonça également le caractère académique de la mise en scène et la fameuse « qualité française » dont elle entendait se débarrasser.
La Vérité n’est probablement pas le meilleur film de Clouzot, mais c’est quand même un très bon film. La réalisation est de facture classique : les scènes d’audience sont entrecoupées de retours en arrière qui retracent le drame. Cependant, il faut reconnaître que les différentes séquences s’enchainent bien entre elles. Les dialogues ne laissent pas de place à l’improvisation et peuvent paraitre trop écrits, mais ils sont mordants. Les acteurs sont brillants, notamment Brigitte Bardot qui est poignante et émeut par sa spontanéité. Après l’avoir vue, comment douter qu’elle dit la vérité ?
La Vérité, de Henri-Georges Clouzot (1960), avec Brigitte Bardot, Sami Frey, Charles Vanel, Paul Meurisse, Louis Seigner et Marie-José Nat, DVD René Château Vidéo.
07:30 Publié dans Drame, Film | Tags : la vérité, clouzot, brigitte bardot, sami frey, vanel, paul meurisse, louis seigner, marie-josé nat | Lien permanent | Commentaires (0)