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22/09/2014

La Mort aux trousses (North by northwest), d'Hitchcock

Plus qu’un exercice de style

La Mort aux trousses

(North by northwest)

Le film constitue un spectacle familial par lequel les plus jeunes peuvent entrer dans l’œuvre d’Hitchcock. La Mort aux trousses est très distrayant et sans temps mort. La scène de l’avion pulvérisateur est inoubliable. Pendant sept minutes d’affilé, on voit Cary Grant courir au milieu d’un champ de maïs pour échapper aux tueurs qui, de leur avion, essayent de le canarder.

            La Mort aux trousses (North by northwest) n’est peut-être pas le meilleur film d’Hitchcock, mais c’est probablement le plus accessible au grand public. C’est par La Mort aux trousses qu’un adolescent, ou même un enfant, peut entrer dans l’œuvre du cinéaste. Les spectateurs rétifs aux vieux films en noir et blanc découvrent ici un film tourné en couleurs et en cinémascope, très distrayant, sans temps mort et, faut-il l’ajouter ? sans crime scabreux comme dans Psychose. De fait, La Mort aux trousses peut être qualifié de spectacle familial.

la mort aux trousses,north by northwest,hitchcock,cary grant,eva marie-saint,james mason,martin landau            L’histoire est très simple. A la suite d’une erreur, Roger Thornhill, publicitaire new-yorkais, est pris, à tort, pour un agent du contre-espionnage nommé Kaplan. Des agents étrangers essayent de le faire disparaitre, persuadés qu’ils sont d’avoir à faire au vrai Kaplan. Thornhill fait tout pour leur échapper et est amené à traverser une bonne partie de l’Amérique. Très vite, le spectateur, puis Thornhill lui-même, apprennent que Kaplan n’a jamais existé. Il s’agit d’un personnage factice inventé par les services américains pour tromper l’ennemi et, ainsi, le « promener ».

            Dans son livre d’entretiens avec Hitchcock, François Truffaut déclare au maître que La Mort aux trousses est le résumé de sa période américaine, de la même manière que Les Trente-neuf Marches (The Thirty-Nine Steps) avait été, dans les années trente, un résumé de sa période britannique. Aujourd’hui, on peut considérer qu’à sa façon La Mort aux trousses constitue un témoignage sur l’Amérique des années cinquante. Le spectateur se balade de New-York au mont Rushmore en passant par Chicago, et a un aperçu du patrimoine architectural et naturel des Etats-Unis. C’est grâce à ce film que de nombreux spectateurs ont découvert Grand Central Terminal, grande gare de New-York, qui sert de décor à une scène mémorable. Une autre séquence fameuse montre l’immeuble des Nations-Unies, dont la salle d’attente a été entièrement reconstituée en studio.

            Hitchcock n’a pas du tout choisi, dans ce film, de respecter la vieille règle de l’unité de lieu. L’action change régulièrement de décor, mais les scènes s’enchaînent parfaitement. Le spectateur n’est jamais dérouté et ne décroche, à aucun moment, du film. La scène de poursuite en voitures, qui fait appel au procédé des transparences, a certes mal vieilli, mais la scène de l’avion reste saisissante. Pendant sept minutes d’affilé tournées sans aucun dialogue, Cary Grant, dans le rôle de Thornhill, court au milieu d’un champ de maïs, pour échapper à un avion pulvérisateur à bord duquel des tueurs tentent de le canarder.

Hitchcock casse un cliché propre au film noir

            Revenant sur ce grand moment de cinéma, Hitchcock expliqua à Truffaut qu’il avait voulu s’attaquer aux clichés. Dans un film noir qui se respecte, il fait nuit, le pavé est mouillé, un chat noir court le long d’un mur, un homme seul attend dans le halo d’un réverbère, une voiture ralentit à sa hauteur et l’on tire sur lui. Ici, c’est tout le contraire. La scène de l’avion est filmée en plein désert et en plein jour. Le ciel est bleu et le soleil brille. Cette scène est devenue mythique, mais c’est une scène entièrement gratuite ; c’est une idée de réalisateur qui n’apporte rien à l’histoire et qu’un scénariste n’aurait jamais eue, car elle ne contient aucun dialogue et ne fait pas avancer l’intrigue. Les contempteurs de l’œuvre d’Hitchcock lui reprochent son inutilité et n’y voient qu’un pur exercice de style proche de l’esbroufe. Pourtant, il faut toujours avoir en tête qu’Hitchcock a toujours revendiqué une pratique religieuse de l’absurde.

            Les contempteurs du maître déplorent aussi que, très vite, le spectateur est mis dans  la confidence : l’agent Kaplan n’est que le produit d’une mystification. Il eût peut-être été plus astucieux de conserver le mystère plus longtemps. Mais, là encore, Hitchcock reste fidèle à ses choix, il a toujours revendiqué qu’il préfère le suspense au mystère. Dans la plupart de ses réalisations, le spectateur est très tôt mis au courant des dessous de l’intrigue afin qu’il passe l’essentiel du film à se demander comment le héros va se tirer de la situation dans laquelle il s’est mis.

            La grande qualité de l’œuvre d’Hitchcock est son souci constant du spectateur. Quelque soit la gratuité ou le vide supposés de ses réalisations, le cinéaste a toujours cherché à accrocher l’attention du public et à faire en sorte qu’elle ne faiblisse pas en cours de film. Dans La Mort aux trousses, pendant plus de deux heures, le spectateur reste collé à l’écran, il s’identifie à Cary Grant et tremble pour lui avec plaisir.

 

La Mort aux trousses (North by northwest), d’Alfred Hitchcock (1959), avec Cary Grant, Eva Marie-Saint, James Mason et Martin Landau, DVD Warner.

15/09/2014

La Curée, de Zola

Le roman de l’expropriation

La Curée

Le roman a pour décor le Paris du Second Empire, remodelé par les travaux d’Haussmann. Aristide Saccard, un affairiste, fait fortune en profitant des largesses de l’Etat qui s’est lancé dans une coûteuse politique d’expropriation. La débauche d’argent qui se manifeste dans La Curée est inséparable de la débauche tout court..

            La Curée est le deuxième volume du cycle des Rougon-Macquart, la grande œuvre romanesque de Zola. Publié en 1871, il offre l’avantage d’être quasi-contemporain des événements qu’il évoque. L’histoire se déroule sous le Second Empire et a Paris pour décor. On pourrait presque dire que la capitale en est le personnage principal. Zola fait revivre la destruction du vieux Paris et la naissance du nouveau Paris, fruit des grands travaux du baron Hausmann. En l’espace de quelques années, le visage de la capitale change radicalement. De vieilles maisons sont détruites pour laisser la place à de larges boulevards qui remodèlent la capitale et l’aèrent. La fièvre s’empare alors des spéculateurs qui se disent que, dans cet immense chantier au budget faramineux, il y a beaucoup d’argent à gagner. Zola fait passer le lecteur à l’arrière du décor à travers le personnage d’Aristide Saccard.

  la curée,zola,les rougon-macquart          Aristide Saccard, de son vrai nom Aristide Rougon, monte à Paris, décidé à faire fortune. Il obtient une entrevue avec son frère, Son Excellence Eugène Rougon, ministre de Sa Majesté l’empereur. Eugène se dit prêt à aider Aristide, il veut bien lui mettre le pied à l’étrier, mais lui demande, afin de ne pas se gêner mutuellement, de changer de nom. Arisitde abandonne le patronyme de Rougon et adopte celui de Saccard.

            Saccard obtient un poste de commissaire voyer adjoint à l’hôtel de ville. La place et le traitement y afférant sont médiocres. Il est déçu. Cependant, très vite il s’aperçoit que sa position peut se révéler stratégique. En tant qu’agent voyer, c'est-à-dire agent chargé de la voirie, il dispose d’un accès privilégié au projet du nouveau Paris. Avant tout le monde, il sait où passeront les voies nouvelles, ces boulevards qui redessinent l'agglomération. S’il disposait d’un capital, il pourrait vite le faire fructifier en acquérant des immeubles promis à l’expropriation, sachant que la Ville lui paiera par la suite un bon prix, afin de ne pas ralentir la campagne de travaux. La fortune lui sourit quand sa sœur, jouant le rôle d’entremetteuse, lui fait rencontrer une vieille dame dont la nièce risque le déshonneur. Or, la jeune fille, Renée, est riche et possède des biens immobiliers à Paris. Il donne son accord et épouse la jeune fille.

            Saccard dispose maintenant d’un capital de départ. Son plan est simple. Il achète à sa femme Renée l’un de ses immeuble, pour seulement 50 000 francs. Bien sûr il se garde bien de lui faire savoir que ledit immeuble est situé sur le tracé du futur boulevard Malesherbes. Saccard sait que la maison est promise à la démolition, mais il est bien décidé à se faire exproprier à un prix très élevé. En attendant que la Ville lance la procédure d’expropriation, Saccard a le temps de vendre et de racheter plusieurs fois l’immeuble par l’intermédiaire de prête-noms, en prenant soin à chaque fois de gonfler un peu plus le prix d’achat. Il augmente nettement les loyers, mais, afin de ne pas effrayer les locataires, il leur offre une année gratuite de bail en guise de compensation. Avec sa sœur, il installe une boutique de pianos au rez-de-chaussée, et falsifie les livres de compte pour gonfler le chiffre d’affaire de cette activité quasi-fictive. Et quand vient le moment de l’expropriation, Saccard estime la valeur de son immeuble en tenant compte des revenus, réels ou fictifs, que représentaient pour lui les loyers et l’activité de la boutique. Au départ, la commission des indemnités de la Ville évaluait l’immeuble à 200 000 francs, mais Saccard obtient l’arbitrage d’un jury indépendant qui finalement lui accorde 600 000 francs d’indemnité.

Le point d’orgue du roman est un bal travesti,

grand moment de décadence

            Saccard est un affairiste débordant d’imagination dès qu’il s’agit de se remplir les poches. Il est assoiffé d’argent et consomme la dot de sa femme pour parvenir à ses fins. Saccard a aussi un fils, Maxime, né d’un premier mariage. Maxime est un jeune homme d’une grande beauté, aux traits presque féminins, ce qui n’est pas sans rappeler Lucien de Rubempré, le héros d’Illusions perdues, de Balzac. Il sympathise avec Renée, sa belle-mère, qui, après tout, n’a que dix ans de plus que lui. Il sort avec elle et entre dans son cercle d’amies. L’inceste n’est pas loin. La débauche d’argent qui se manifeste dans La Curée est inséparable de la débauche tout court.

            Le point d’orgue du roman est le bal travesti donné par les Saccard dans leur hôtel particulier. Ces dames doivent se déguiser, ou plutôt se dévêtir, pour interpréter Les Amours du beau Narcisse et de la nymphe Echo, poème en trois tableaux, dans lequel Maxime sera Narcisse et Renée, Echo. L’auteur et le metteur en scène en est M. Hupel de la Noue, un préfet qui passe plus de temps à Paris que dans son département. Le compte-rendu de la soirée est effarant, notamment la scène du buffet qui reste un grand moment de gloutonnerie au cours duquel les invités auront descendu pas moins de trois-cents bouteilles de champagne ! Ce moment d’orgie reste gravé dans l’imaginaire du lecteur. La bonne société du Second Empire, dépeinte par Zola, est une société décadente.

            La Curée est un roman qui procure de bons moments au lecteur, à condition qu’il passe l’obstacle du premier chapitre. Comme dans un roman de Balzac, Zola nous présente, dans le premier chapitre, les principaux personnages qui sont fort nombreux, et cette exposition nécessite un effort d’attention du lecteur. Et toujours dans le premier chapitre, la description de l’hôtel particulier des Saccard est, osons le dire, un peu (trop) longue. Mais dans le deuxième chapitre, l’action démarre véritablement. Le lecteur s’identifie alternativement à Renée, à Maxime et, bien sûr, à Saccard, qui réapparaitra dans L’Argent, publié vingt ans plus tard, et qui est peut-être plus abouti que La Curée.

 

La Curée, de Zola (1871), collections Folio, Garnier, Le Livre de Poche et Pocket.

08/09/2014

Mayerling, de Litvak

Le drame d’un amour impossible

Mayerling

Le film d’Anatole Litvak retrace les événements qui ont conduit au double suicide de l’archiduc Rodolphe et sa maîtresse Marie Vetsera. Le spectateur est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal. Mayerling, qui rencontra le succès à sa sortie en 1936, est servi par deux acteurs exceptionnels, Charles Boyer et Danielle Darrieux.

            En général, les films inspirés de faits historiques célèbres ont une fâcheuse tendance à être ennuyeux, tant ils essayent de coller à la réalité. Mayerling, d’Anatole Litvak, fait exception. Le film, qui rencontra le succès international à sa sortie en 1936, est avant tout une tragédie contant l’histoire d’un amour impossible entre un prince et une jeune femme.

           mayerling,litvak,charles boyer,danielle darrieux,jean debucourt,suzy prim,jean dax,kessel L’archiduc Rodolphe, héritier des deux couronnes d’Autriche et de Hongrie, épouse la princesse Stéphanie de Belgique. Ce mariage lui a été imposé par son père l’empereur François-Joseph. Mais un jour, lors d’une rencontre fortuite, Rodolphe fait la connaissance de Marie Vetsera, une jeune fille de la noblesse, dont il tombe aussitôt amoureux. L’empereur apprend la liaison et somme son fils de la rompre. Rodolphe déclare à son père qu’il a demandé à Rome l’annulation de son mariage, pour être libre d’épouser Marie. L’empereur est furieux.

            Le spectateur connait d’avance la fin du film, et pourtant il est pris par l’histoire et se demande par quel chemin les deux amants vont arriver au geste fatal qui empêchera à jamais leur union d’être brisée par autrui. En attendant le dénouement inéluctable, on chante et on danse beaucoup dans Mayerling. Les concerts et les bals sont nombreux dans la Vienne impériale, mais la tragédie plane.

            Les deux acteurs principaux sont exceptionnels. Charles Boyer interprète Rodolphe comme rarement un acteur aura joué le rôle d’un prince, tant il fait preuve de distinction. Même saoul au sortir d’une orgie, il continue d’en imposer. Il est nerveux tout au long du film, c’est un agité, mais un agité distingué. Mayerling contribua à la célébrité internationale de Charles Boyer, à qui Hollywood avait ouvert ses portes. Maurice Chevalier mis à part, Charles Boyer aura été le seul acteur français à réussir sa carrière américaine.

            Danielle Darrieux, dans le rôle de Marie Vetsera, offre la fraicheur de ses dix-neuf ans. Précédemment, elle avait montré sa capacité à jouer les jeunes filles espiègles dans des comédies alertes, telle Mauvaise Graine, de Billy Wilder. Cette fois elle montre sa capacité à interpréter un rôle grave. Elle est une Marie Vetsera qui réussit en même temps à être ingénue et lucide. On comprend que Rodolphe ait succombé à son charme. Plus tard dans sa carrière, Danielle Darrieux montra sa capacité à accepter les années qui passent, en jouant des femmes d’âge mûr souvent calculatrices ; on peut penser à Madame de…, de Max Ophuls, dans lequel, en 1953, elle retrouva Charles Boyer.

Les dialogues sont de Kessel

            Les rôles secondaires sont aussi très bien interprétés. Jean Dax est un empereur François-Joseph à l’esprit étroit et borné. Suzy Prim est l’entremetteuse, dans le rôle de la comtesse Larish. Quant à Jean Debucourt, il est un premier ministre obséquieux et sournois.

            Le film est rythmé. La musique est enivrante et les décors sont somptueux. On se croirait vraiment dans la Vienne impériale. Les dialogues sont signés de Joseph Kessel, dont Litvak venait d’adapter, avec succès, le roman L’Equipage. Après la sortie de Mayerling, Litvak quitta la France pour l’Amérique. Il revint en Europe dans les années soixante, pour y tourner La Nuit des généraux, film policier singulier qui se déroulait en pleine seconde guerre mondiale.

            Il existe une version en couleur et en cinémascope de Mayerling. Elle fut tournée par Terence Young en 1968, avec Omar Sharif et Catherine Deneuve. Bien qu’ayant tendance à être ennuyeuse, elle reste regardable, mais fait pâle figure à côté de la version de Litvak.

 

Mayerling, d’Anatole Litvak (1936), avec Charles Boyer, Danielle Darrieux, Jean Debucourt, Suzy Prim et Jean Dax, DVD StudioCanal.