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13/01/2014

Welcome, de Philippe Lioret

Une fiction militante mais prenante

Welcome

Welcome est un film militant tout en nuances, qui entend dénoncer le délit d’aide aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy. Vincent Lindon, dans le rôle d’un maître-nageur, entraîne un jeune réfugié kurde qui veut gagner l’Angleterre à la nage.

            Bilal est un Kurde de dix-sept ans. Il a fui son pays et cherche à rejoindre sa fiancée réfugiée à Londres. A Calais, un passeur le fait embarquer dans un camion à destination de l’Angleterre. Bilal est découvert par la police française, mais, venant d’un pays en guerre, il ne peut être expulsé. Le garçon ne renonce pas et se met une idée dans la tête : il va traverser la Manche à la nage. Il prend des cours auprès d’un maître nageur, Simon, homme bourru au grand cœur. Mais en l’aidant, Simon se rend coupable du délit d’aide à personne en situation irrégulière.

            welcome,philippe lioret,vincent lindon,firat ayverdi,audrey danaDisons-le tout net : Welcome est un film militant. Il entend dénoncer le fameux délit de solidarité aux sans-papiers, médiatisé sous les années Sarkozy et aboli depuis. Plutôt que de bâtir un documentaire à base de témoignages ou une fiction démonstrative à la Cayatte (même si Cayatte a signé de bons films), Philippe Lioret nous présente une histoire tout en nuances. Simon, joué par Vincent Lindon, se montre d’abord désagréable à l’encontre de Bilal, il fait tout pour le décourager et lui faire comprendre que c’est folie de vouloir traverser la Manche à la nage. Mais quand il voit que sa femme dont il s’apprête à divorcer a de la sympathie pour la cause des sans-papiers, il se met à voir Bilal sous un autre jour.

            Dans ce film, il n’y a pas d’un côté les gentils et de l’autre les méchants. Les policiers ne sont pas stéréotypés, ils ont l’air de vrais policiers. Ils n’ont pas besoin d’élever la voix pour faire preuve d’autorité et ne sont ni sympathiques ni antipathiques. L’inspecteur qui convoque Simon fait son devoir avec conscience et lui déclare froidement : « Moi, on me paye pour que la ville ne devienne pas un camp de réfugiés en situation irrégulière. »

Vicent Lindon bougon tout au long du film

On évaluela difficulté de la situation pour les autorités quand le film nous fait découvrir le camp de réfugiés de Calais, et l’on comprend aussitôt pourquoi il est communément appelé la Jungle. Les réfugiés y sont livrés à eux-mêmes et, malgré les efforts des associations caritatives, la loi du plus fort y est la règle. Même la future ex-épouse de Simon d’abord favorable aux sans-papiers, au lieu d’être ébloui par son comportement, le met en garde en essayant de lui faire prendre conscience des risques qu’il prend. Mais, peut-être par humanité, peut-être par empathie pour Bilal, Simon s’entête. Il persiste à donner des cours de natation au garçon.

            Comme souvent, Vincent Lindon joue très bien, même s’il faut reconnaître qu’il n’est pas l’acteur français à la diction la plus claire. Il se montre bougon tout au long du film, n’hésitant pas à envoyer promener son monde tout en révélant son humanité. Les détracteurs du film trouveront l’émotion un peu forcée et la réalisation académique, les plus cinéphiles de ces détracteurs y verront peut-être des traces de cette fameuse « qualité française », jadis tant décriée par Les Cahiers du cinéma. Disons tout simplement que la mise en scène est classique ; il n’y a pas besoin de multiplier les mouvements de caméra et les effets de lumière pour réaliser un bon film.

 

Welcome, de Philippe Lioret (2009), avec Vincent Lindon, Firat Ayverdi et Audrey Dana DVD Warner Home Video.

23/12/2013

Plein Soleil, de René Clément

Le film qui fit de Delon une vedette

Plein Soleil

Alain Delon a vingt-cinq ans quand René Clément lui donne sa chance en lui offrant le premier rôle dans Plein Soleil, un thriller adapté d’un roman de Patricia Higsmith. Le réalisateur exploite la beauté ténébreuse du jeune acteur et fait de lui un criminel diabolique au sourire carnassier, qui jalouse le personnage joué par Maurice Ronet.

            Plein Soleil est le film qui, en 1960, fit d’Alain Delon une vedette. Depuis, l’acteur rend régulièrement hommage au réalisateur René Clément de l’avoir choisi pour le rôle principal ; ce qui allait donner un coup d’accélérateur à sa carrière. Le film est tiré de Monsieur Ripley (The Talented Mr Ripley), un roman de Patricia Highsmith, auteur à succès de thrillers, parmi lesquels L’Inconnu du Nord-Express (Strangers on a train) adapté au cinéma, quelques années auparavant, par Hitchcock.

plein soleil,rené clément,delon,maurice ronet,marie laforêt,romy schneiderPlein Soleil est d’abord un beau spectacle. Chose rare pour un film français de l’époque qui ne soit pas une reconstitution en costumes, il a été tourné en couleurs. Le Technicolor nous offre des couleurs vives et éclatantes ; il nous permet de mieux ressentir la chaleur de l’été en Italie, où se déroule l’action. La couleur met aussi en valeur le physique d’Alain Delon. L’acteur a alors vingt-cinq ans, et René Clément, apparemment convaincu que sa jeunesse et sa beauté crèveront l’écran, nous le montre allègrement torse nu, tenant la barre d’un yacht au milieu des flots, sous un ciel bleu azur.

Sur le plan physique, Delon est en compétition avec son grand ami dans la vie, Maurice Ronet, son aîné de quelques années. Ronet joue le rôle de Philip Greenleaf, un fils à papa, fortuné et séducteur, que Delon, dans le rôle de Tom Ripley, doit ramener à la maison à la demande de son père. Mais Tom convoite la fortune et la fiancée de Philip. Il le jalouse au point de passer à l’acte. Plein Soleil c’est un peu l’histoire de Caïn et Abel. Il est d’ailleurs troublant de savoir que Delon et Ronet retrouveront les mêmes types de personnages et de situation, huit ans plus tard, dans La Piscine de Jacques Deray. Marie Laforêt joue le rôle de la fiancée de Philipp, tandis que Romy Schneider, qui vit alors une idylle avec Alain Delon, fait une courte apparition au début du film.

Le prétendu manque de style de René Clément

Les Cahiers du cinéma, François Truffaut en tête, reprochaient à Clément son manque de style. Il est vrai qu’on n’identifie pas immédiatement un film de Clément, alors que par exemple on reconnaît du premier coup un film de Jean-Pierre Melville à son style dépouillé à la limite de l’épure. Mais, qu’importe ! Plein Soleil est un film très efficace et c’est ce qui compte. Par ailleurs on ne peut qu’admirer la maîtrise dont Clément fait preuve dans la réalisation et dans la direction d’acteurs.

L’image est soignée, elle est belle à regarder ; et Clément a compris, au-delà de l’aspect physique, le potentiel qu’il y avait dans le jeu de Delon. Avant Plein Soleil, l’acteur était déjà un jeune premier du cinéma, mais il n’était pas encore une vedette pleine et entière. Et surtout, il paraissait destiné aux rôles de jeune héros romantique, comme dans Christine de Gaspard-Huit. Avec Clément, il montre que sa beauté ténébreuse et son sourire carnassier lui permettent d’incarner des personnages d’une autre dimension. Monsieur Ripley est un criminel, mais il est jeune, beau, séduisant et élégant, de telle sorte que le spectateur peut s’identifier à lui ; il y a là quelque chose de presque diabolique. Le personnage de Tom Ripley annonce les rôles que Delon jouera plus tard pour Visconti, Melville ou Losey.

 

Plein Soleil de René Clément (1960), avec Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, DVD Studio Canal.

16/12/2013

Ennemi d’Etat (Enemy of the State), de Tony Scott

Big Brother au service de l’Etat

Ennemi d’Etat (Enemy of the State) 

C’est un thriller efficace et au rythme effréné. On y voit Will Smith dans le rôle d’un honnête citoyen poursuivi par des agents de la puissante NSA (National security agency). Ce film, antérieur aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’affaire Snowden, montre les formidables moyens technologiques dont dispose un Etat démocratique pour espionner sa population.

            Ennemi d’Etat (Enemy of the State) est à déconseiller à ceux qui ne supportent pas les plans de moins de cinq secondes, car, dans les scènes de poursuites, les images s’enchaînent à un rythme effréné. En revanche, si vous acceptez la rapidité du tempo imposé par le réalisateur Tony Scott, alors vous passerez un bon moment.

            ennemi d’etat,enemy of the state,tony scott,will smith,gene hackman,john voight,lisa bonetTony Scott a l’habileté de faire démarrer deux intrigues en parallèle. D’un côté, un directeur de la NSA (National security agency) fait liquider un élu du Congrès qui veut faire échouer le vote d’un amendement renforçant les pouvoirs de l’agence ; mais l’assassinat est filmé par un témoin. D’un autre côté, un avocat spécialisé en droit du travail, Robert Dean, fait pression sur un chef mafieux en lui faisant visionner une cassette vidéo très compromettante pour lui ; le gangster veut absolument récupérer ladite cassette. Or, par le plus grand des hasards, le même Robert Dean va se trouver également en possession de l’enregistrement de l’assassinat du député. Les services de l’Etat déploieront tous leurs moyens pour mettre la main sur cet enregistrement. D’où une course-poursuite contre Robert Dean et un qui-propos sur la cassette à récupérer, puisqu’il y en existe deux qui n’ont aucun rapport entre eux.

            Le spectateur tremble d’autant plus pour Robert Dean que Tony Scott a repris le principe hitchcockien du héros mis en danger auquel le spectateur peut s’identifier. En plus, ce qui est terrifiant, c’est la disproportion de moyens : le citoyen est tout seul pour se défendre, tandis que les services de l’Etat disposent d’outils impressionnants pour atteindre leurs objectifs : ordinateurs, puces électroniques, hélicoptères, satellites…

            Heureusement pour Robert Dean, il tombe sur un ancien agent de la NSA qui finit par l’aider et lui révéler les formidables moyens de l’agence : « A fort Meade, il y a neuf hectares de réseau informatique dans le sous-sol. Si tu appelles ta femme et lui dit les mots « bombe », « président », « Allah », l’ordinateur les reconnaît et les marque en rouge pour analyse, et c’était il y a vingt ans ! Pour un Hubble ils ont plus de cent satellites qui nous observent. Dans le temps, il fallait brancher un film sur ta ligne téléphonique. Maintenant que les appels rebondissent sur les satellites, on les capte à la volée ».

Un film qui anticipe le Patriot Act

            Ennemi d’Etat date de 1998. Autrement dit, il est antérieur aux attentats du 11 septembre 2001 et à la législation qui a suivi. D’une certaine manière, il anticipe le Patriot Act et toutes les mesures, justifiées ou pas, de renforcement de la sécurité intérieure aux Etats-Unis. Il prend en plus une résonnance particulière avec l’affaire Snowden et la révélation au grand jour des écoutes de la NSA. En somme, ce film pose le problème de l’équilibre à trouver entre les libertés individuelles et la sécurité d’un pays.

            Ennemi d’Etat est un thriller efficace qui se situe dans la lignée des Trois Jours du Condor (Three Days of the Condor) de Sidney Pollack, tourné en 1975 après le scandale du Watergate et les révélations sur les agissements de la CIA. Depuis, le monde a changé, les technologies se sont développées ; et le cinéma, lui aussi, a changé, d’où, dans Ennemi d’Etat, ce rythme trépidant et cette succession de plans brefs qui peut décourager certains spectateurs.

 

Ennemi d’Etat (Enemy of the State) de Tony Scott (1998), avec Will Smith, Gene Hackman, John Voight et Lisa Bonet, DVD Buena vista entertainement.