04/11/2013
Le Trou, de Jacques Becker
Huis-clos étouffant, avec soif d’évasion
Le Trou
Le dernier film de Jacques Becker est une œuvre forte, inspirée d’une histoire vraie. Pendant deux heures, nous n’en croyons pas nos yeux. Nous voyons quatre hommes, munis de moyens de fortune, creuser un trou pour s‘échapper de leur cellule de la prison de la Santé.
La scène d’ouverture du film se déroule dans chez un casseur de voitures de la banlieue parisienne. Un homme apparaît à l’écran et déclare à la caméra : « Bonjour, mon ami Jacques Becker a retracé dans tous ses détails une histoire vraie : la mienne ! Ca s’est passé en 1947 à la prison de la Santé. »
Puis, une fois le générique passé, nous sommes projetés à l’intérieur des murs de la Santé que nous ne quitterons quasiment plus. Un jeune homme est incarcéré pour une tentative de meurtre dont il se dit innocent. Il est introduit dans une cellule où sont déjà entassés trois autres prévenus, dont celui que nous avons vu en ouverture du film et qui joue ici son propre rôle. Les trois hommes accueillent le nouveau venu, mais sont hésitants sur l’attitude à adopter à son égard. Ils ont de bonnes raisons de se méfier. Ils ont échafaudé un plan d’évasion et veulent prendre leurs précautions avant d’associer le jeune homme. Il a l’air sincère et sympathique. Mais la prudence élémentaire ne réclame-t-elle pas d’apprendre à le connaître avant de lui dire quoi que ce soit ? Les trois hommes choisissent de lui faire confiance et l’associe à leur plan d’une audace folle : creuser un trou dans le sol de leur cellule pour rejoindre les égouts.
Becker, cet oublié
Le Trou est le dernier film de Jacques Becker, mort quelques mois après le tournage, en 1960. Becker est aujourd’hui injustement oublié. On se rappelle vaguement qu’il fut le réalisateur de Casque d’or, film aujourd’hui mythique, et de Touchez pas au grisbi, mais, bien souvent, on oublie Le Trou qui mérite d’être (re)découvert. C’est d’abord un huis-clos étouffant. Pendant deux heures, le spectateur reste enfermé dans une étroite cellule en compagnie de quatre détenus. Nous ne sommes autorisés à sortir que pour les rares moments de promenade. Alors, nous sommes saisis par la soif de liberté et aspirés par la tentative d’évasion. Là nous n’en croyons pas nos yeux. Avec des moyens de fortune, ces hommes vont réussir à creuser un trou qui les emmène dans les sous-sols de la Santé. Aucun obstacle ne va les arrêter. Avec une simple lime, ils enlèvent les gonds d’une porte et font mine de la remettre en place derrière eux pour donner l’impression que tout est normal. Nous vivons chaque minute du film avec intensité, car, à tout moment, les quatre hommes peuvent être découverts dans leur tentative d’évasion ; nous n’avons guère le temps de souffler.
Pour des raisons d’authenticité, Jacques Becker avait voulu des acteurs non professionnels, dont Jean Keraudy dans sons propre rôle. Un de ces hommes sera remarqué et fera carrière au cinéma, notamment dans les comédies de Georges Lautner ; il s’agit de Michel Constantin qui fait ici ses débuts à l’écran. Pour le rôle du jeune homme, en revanche Becker avait voulu un acteur professionnel, en l’occurrence Mark Michel. A la fin du film, le spectateur comprendra pourquoi.
Le Trou, un film de Jacques Becker (1960), avec Michel Constantin, Jean Keraudy et Mark Michel, DVD Studio Canal.
09:20 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le trou, jacques becker, jean keraudy, michel constantin, mark michel | Lien permanent | Commentaires (0)
24/10/2013
Vatican, le Trésor de saint Pierre, de Malachi Martin
Où mènent les mauvais chemins
Vatican, le trésor de saint Pierre
Vatican, le trésor de saint Pierre est un roman à clefs qui raconte l’histoire secrète de la papauté et des finances de l’Eglise au XXème siècle. L’auteur, un jésuite américain, peut agacer, mais son livre est troublant et fascinant.
Vatican, le trésor de saint Pierre est un livre très épais (plus de 800 pages), dense, touffu, dans lequel il est difficile d’entrer, mais, qui, peu à peu, prend le lecteur et le fascine. L’auteur est un jésuite américain, Malachi Martin, décédé en 1999. Son livre, nous prévient l’éditeur, est une fiction. Mais le lecteur comprend vite que derrière la fiction l’auteur entend nous révéler l’histoire secrète des finances de l’Eglise de 1944 aux années 80, le roman ayant été publié en 1986. Malachi Martin nous explique par quel miracle les millions possédés par le Vatican au lendemain de la seconde guerre mondiale se sont transformés en milliards de dollars quarante ans plus tard ; ce qui a procuré à l’Eglise l'aisance matérielle et a permis aux papes de se faire entendre sur la scène diplomatique mondiale. Selon l'auteur, à l'aube du XXème siècle le Vatican a conclu un pacte secret avec les forces de l'argent, ce qui lui a ouvert les portes des établissements financiers à travers le monde. Ce fut le point de départ de sa fortune. Puis les banquiers de l’Eglise ont déployé des trésors d’habileté pour que l’argent enfante l’argent.
Le succès a été au rendez-vous. Des milliards ont été amassés. Mais, en empruntant un tel chemin, l’Eglise a oublié que la fin ne saurait justifier les moyens. Elle s’est éloignée de ses principes moraux de base et s’est laissée gangréner par l’argent, par Mammon comme le dit l’auteur. Ces dérives ont abouti, en 1982, au scandale de la Banco Ambrosiano, à la mort du banquier Roberto Calvi, retrouvé pendu sous un pont de Londres, et à la mise en cause du « banquier de Dieu » Mgr Marcinkus, président de l’IOR, la banque du Vatican. Evidemment, comme il s’agit d’un roman à clefs, Malachi Martin a changé tous les noms. Roberto Calvi est rebaptisé Roberto Gonella et Mgr Marcinkus devient Mgr Servatius. Mais on ne peut se tromper. C’est d’ailleurs ce qui rend le livre troublant, les noms sont changés mais les caractères ne sont pas modifiés ; et tous les détails de l’affaire, tel en tout cas qu’ils ont été donnés par la presse de l’époque, sont conservés. Le trouble est tel que, par moments, le lecteur a dû mal à savoir où la réalité s’arrête pour laisser la place à la pure fiction.
Malachi Martin ne porte pas dans son cœur le pape Da Brescia
Et puis, il y a le roman dans le roman. Derrière l’histoire des finances du Vatican, Malachi Martin nous raconte une autre histoire, peut-être encore plus passionnante, celle de l’Eglise catholique et de ses transformations au cours du XXème siècle. Là encore les noms ont été changés. Derrière le pape Profumi, on reconnaît Pie XII. Jean XXIII est rebaptisé pape Angelica, Paul VI est devenu pape Da Brescia, Jean-Paul Ier pape Serena et Jean-Paul II pape Valeska. Autant le dire tout de suite, l’auteur ne porte pas dans son cœur le pape Da Brescia et toutes les transformations qu’il a apportées à travers le concile Vatican II. Il a dans le collimateur la notion de peuple de Dieu, qui définit l’Eglise depuis le concile, et se méfie de l’œcuménisme, notamment de l’expression « nos frère séparés ». Il a une dent contre le cardinal Levesque, secrétaire d’Etat du pape Da Brescia (comprendre: le cardinal Villot, secrétaire d’Etat de Paul VI), qui, selon lui, a inspiré les (mauvais) choix du pontificat. En revanche, Malachi Martin ne cache pas sa sympathie pour Mgr Lasuisse (comprendre: Mgr Lefebvre), gardien de la messe en latin. Et il loue le cardinal Wallensky (comprendre: le cardinal Wyszynski), primat de Pologne et mentor de Valeska, pour son opposition aux communistes… et au concile.
On l’aura compris, ce livre peut agacer, irriter, mais il fascine. Et il donne vraiment envie d’en savoir plus, notamment sur le concile Vatican II. En plus, il est d’une brûlante actualité, quand il nous projette dans la curie et nous montre que les carriéristes n’y sont pas absents. Et il dresse une typologie des papes qui reste à méditer :
« L’histoire témoigne que certains papes mettent des années à se roder à l’épuisante conduite de la vaste et complexe machinerie de l’Eglise et du Vatican. Certains papes n’y parviennent jamais et donnent simplement leur bénédiction, pour ainsi dire en passant. D’autres, pleins d’optimisme pour leurs projets, s’aperçoivent qu’ils peuvent changer un joint, tourner un bouton ici ou là, parfois même pousser un petit levier, mais que la grande machine continue de grincer et de tourner lourdement. Très peu d’hommes ont assez de force de caractère pour retrousser leurs manches et prendre toutes les commandes. Quand ils réussissent, ils créent une ère. Quand ils échouent, ils laissent un héritage de ténèbres dans un horrible grincement de rouages. »
Vatican, le trésor de saint Pierre, un livre de Malachi Martin (1986), éditions du Rocher.
08:37 Publié dans Fiction, Histoire, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), Policier, thriller, Religion, XXe, XXIe siècles | Tags : vatican, le trésor de saint pierre, malachi martin | Lien permanent | Commentaires (1)
16/10/2013
Max et les Ferrailleurs, de Claude Sautet
The Sting
Max et les Ferrailleurs
C’est peut-être le meilleur film de Claude Sautet. Michel Piccoli est glaçant dans le rôle du policier Max. Mais il ne restera pas insensible aux charmes d’une prostituée jouée par Romy Schneider, qui sort définitivement du rôle de Sissi.
Max est un policier intègre, soucieux de son devoir. Il court après les braqueurs, mais bien souvent il ne peut les arrêter, faute de preuve. Un jour, l’attaque à main armée d’une banque cause la mort du caissier et les gangsters s’évanouissent dans la nature. Max ne supporte plus son impuissance. Pour arrêter des braqueurs, il n’a qu’une seule solution : les prendre en flagrant délit. Max veut donc « son » flagrant délit. Cela devient une obsession. Mais comment faire ? Il est décidé à forcer le destin. Il va lui-même susciter un hold-up.
Max se fait passer pour un banquier auprès d’une prostituée, Lily. Ce qui lui permet d’approcher les Ferrailleurs, une bande de mauvais garçons qui vit de larcins. Il va les appâter et les inciter à attaquer une banque, la succursale qu’il prétend diriger. Il espère que les Ferrailleurs vont mordre à l’hameçon, et qu’ensuite il pourra les surprendre en flagrant délit. En clair, Max monte ce que les Anglo-saxons appellent un sting, une opération illégale organisée par des agents pour appâter et appréhender des délinquants.
Tout de suite, ce film pose un problème moral. Pour être efficace la police doit infiltrer le milieu, mais jusqu’où peut-elle aller? A quel moment le policier franchit-il la ligne jaune ? La fin justifie-t-elle les moyens ?
Même en faisant abstraction de toutes ces questions, Max et les Ferrailleurs demeure un très bon film policier. On est pris par l’histoire, on est envoûté par Max joué par Michel Piccoli. Il est glaçant, le visage marmoréen, sous son feutre et dans ses costumes croisés. Il ne restera pas insensible aux charmes de Lily, la prostituée, incarnée par Romy Schneider, qui cassait là, définitivement, son personnage de Sissi.
On peut penser, comme l’historien Jean Tulard, que Max et les Ferrailleurs est le meilleur film de Claude Sautet. Sautet emprunte ce qu’il ya de meilleur aux films noirs du cinéma américain, jusqu’au procédé narratif avec la construction en retour en arrière (flash-back). Max et les Ferrailleurs peut faire penser au film Du plomb pour l’inspecteur (Pushover) de Richard Quine. Fred MacCurray y jouait le rôle d’un policier intègre à la poursuite de braqueurs, qui finit par succomber aux charmes de la maîtresse de l’un d’eux. En 1971, Max et les Ferrailleurs aurait pu marquer un tournant dans l’histoire du film policier français et dans la carrière de Sautet. On sait qu’il en fut autrement, Sautet n’ayant pas poursuivi dans cette voie. On peut le regretter.
Max et les Ferrailleurs, un film de Claude Sautet (1971), avec Michel Piccoli, Romy Schneider, Georges Wilson, François Périer, Bernard Fresson et Philippe Léotard, DVD Studio Canal.
09:20 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : max et les ferrailleurs, claude sautet, piccoli, romy schneider, georges wilson, françois périer, bernard fresson, philippe léotard | Lien permanent | Commentaires (0)