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01/12/2013

La Banquière, de Francis Girod

Romy reine de la finance des Années folles

La Banquière

 

C’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider. Elle joue un personnage inspiré de Marthe Hanau, la banquière des Années folles. La reconstitution est soignée et la distribution prestigieuse. Le spectateur passe un agréable moment.

            Il est des films que l’on a plaisir à voir et à revoir. La Banquière est de ceux-là. Francis Girod s’est directement inspiré de la vie de Marthe Hanau, « la banquière des Années folles », qui ruina des milliers de petits épargnants en mettant en place une pyramide dite de Ponzi. Comme Madoff bien des années plus tard, elle servait des taux d’intérêt très élevés à ses clients, en l’occurrence 8% ; mais, en réalité, elle les rémunérait avec l’argent des nouveaux souscripteurs.

     la banquière,francis girod,romy schneider,trintignant,jean-claude brialy,marie-france pisier,jean carmet,claude brasseur,jacques fabbri,daniel mesguich,georges conchon,morricone       La Banquière, sorti en 1980, est l'un des meilleurs films de Francis Girod. Sa réalisation oscille entre le roman-feuilleton et l’histoire illustrée. La reconstitution de la France de l’entre-deux-guerres est soignée, elle offre des décors somptueux de palaces et d’hôtels particuliers, dans lesquels la queue-de-pie ou le smoking sont de rigueur. Les chapitres de ce film roman-feuilleton, si l’on peut parler de chapitres, s’enchaînent  avec harmonie et sont suffisamment courts pour que nous n’ayons pas le temps de nous ennuyer. Le scénario de Georges Conchon rappelle celui qu’il avait écrit deux ans plus tôt pour Le Sucre de Jacques Rouffio. Inspiré lui aussi d’une histoire vraie, ce film racontait la spéculation sur le sucre qui avait ruiné des petits épargnants. Les professionnels de la finance n’y étaient pas épargnés, ils ne le sont pas non plus dans La Banquière. On nous y martèle que les banques servent 1% d’intérêt, au mieux 1,5%, ce qui paraît peu.

            La Banquière fait aussi penser à L’Affaire Stavisky d’Alain Resnais, sorti en 1974, qui racontait une affaire similaire, également dans une reconstitution somptueuse de la France de l’entre-deux-guerres, avec une distribution éclatante, Jean-Paul Belmondo en tête. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du film de Francis Girod. On y revoit avec beaucoup de plaisir le défilé d’acteurs qu’il nous offre. Marthe Hanau, rebaptisée Emma Eckhert, est interprétée par Romy Schneider. On sent que l’actrice s’est reconnue dans ce personnage rebelle, atypique, aux amours libres, qui se heurte à son milieu et à la bonne société ; Emma Eckert est entourée d’hommes qu’elle mène par le bout du nez. On voit apparaître d’autres acteurs fameux, dont certains sont aujourd’hui disparus : Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Jacques Fabbri…

Dans cette ambiance Années folles, la musique d’Ennio Morricone enveloppe l’œuvre d’un charme discret. Une fois le film fini, le spectateur n’a pas forcément compris tous les ressorts de la finance, mais, malgré quelques scènes pénibles, il a passé un agréable moment et c’est là l’essentiel.

 

La Banquière de Francis Girod (1980), avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Claude Brasseur, Jacques Fabbri et Daniel Mesguich, DVD Studio Canal.

25/11/2013

Le Désert des Tartares, de Dino Buzzati

Le soldat et la mort

Le Désert des Tartares

 

L'histoire racontée dans ce livre est maintenant bien connue : affecté dans un fort lointain, un soldat attend l’ennemi qui le fera héros. Au-delà, Dino Buzzati nous propose une réflexion sur la vie et sur la mort.

            C’est un livre captivant, bien qu’il ne contienne quasiment pas d’action. Il est peu épais et rythmé par des chapitres courts. Le Désert des Tartares nous apporte en premier lieu le dépaysement. L’histoire se déroule dans un pays imaginaire, le royaume du Nord. Le jeune lieutenant Drogo reçoit sa première affectation : le fort Bastiani. Bien que le roi Pietro III ait déclaré le fort Bastiani sentinelle avancée de sa couronne, nous nous apercevons vite de son isolement. Le lieu est aux confins du royaume, dans une zone montagneuse, coincé entre la lointaine ville et le désert des Tartares, d’où l’ennemi peut surgir à tout moment. Mais, comme nulle armée ne s’est montrée depuis des années, plus personne ne croit à la menace.

            le désert des tartares,buzzatiDans un premier temps, Drogo n’a qu’une idée en tête, quitter le fort où il a été affecté contre son gré. Mais, au bout de quatre mois, quand la possibilité de départ s’offre à lui, il préfère rester, non par héroïsme, mais parce qu’il a pris ses habitudes : il est devenu prisonnier de la routine du fort et reste par facilité. Et pourtant, que la vie y est étriquée, régie par le règlement jusqu’à l’absurdité. Un soir, un soldat de la garnison qui avait manqué à l’appel se présente aux portes du fort. La sentinelle croit reconnaître un camarade, ce qui ne l’empêche pas de tirer sur lui après les sommations d’usage, ainsi que le règlement l’exige. Le soldat s’effondre, touché à mort. Le sous-officier de semaine est catastrophé, non parce qu’un homme est mort, mais parce qu’il risque d’être sanctionné pour cette bavure. Quant au commandant, il se réjouit de ce que la sentinelle ait fait mouche du premier coup malgré l’obscurité.

            En attendant l’arrivée bien improbable de l’ennemi, le lieutenant Drogo mène la vie de caserne sans s’apercevoir qu’il y laisse sa jeunesse et, nous lecteur, nous comprenons alors que Dino Buzzati nous propose une réflexion sur la vie et la mort. Le fort est situé entre la ville et le désert : la ville, avec son animation, représente la vie ; tandis que le désert, dans son immense solitude et avec la menace ennemie, représente la mort, dont nul ne sait ni le jour ni l’heure. Usant d’une image, Buzzati nous montre d’abord Drogo dans l’insouciance de la jeunesse, cheminant placidement sur la route de la vie sous un soleil resplendissant ; du seuil de leurs maisons, les grandes personnes lui font des signes amicaux et lui montrent l’horizon avec des sourires complices. Puis, à mesure que Drogo vieillit, le soleil se déplace et se fait plus pâle, tandis que des portes se ferment derrière lui ; aux fenêtres il n’aperçoit plus que des visages immobiles et indifférents. Quand, après quatre ans passés au fort, Drogo retourne en ville pour sa première permission, il retrouve sa mère et ses proches. Mais il se rend compte amèrement que plus rien n’est comme avant. Certes, sa mère est toujours là et sa chambre d’enfant est restée intacte. Mais, après avoir été éloigné de ses proches pendant quatre ans, il comprend que sa route s’est écartée de la leur. Les personnes qui lui étaient familières sont maintenant comme des étrangers pour lui. Il ne reste plus à Drogo qu’à retourner au fort en espérant une attaque ennemie qui lui permette une action héroïque, car, comme le fait remarquer un officier : « Nous désirons la guerre, nous attendons l’occasion favorable, nous crions à la malchance parce qu’il n’arrive jamais rien ». Au fort Bastiani Drogo attendra que son destin s’accomplisse.

 

PS : Le Désert des Tartares a inspiré à Jacques Brel la chanson Zangra.

 

Le Désert des Tartares de Dino Buzzati (1949), collection Le Livre de poche (épuisé) et Press Pocket.

18/11/2013

Quai d'Orsay, de Tavernier

La vie quotidienne au Quai sous Villepin

Quai d’Orsay

 

Le film de Bertrand Tavernier est fidèle à la bande dessiné de Blain et Lanzac. On y découvre le Quai d’Orsay sous Dominique de Villepin et comment il a géré la crise irakienne de 2003. S’inspirant des comédies américaines de la grande époque, Tavernier a su donner du rythme à son film et maîtrise la direction d’acteurs.

            Arthur Vlaminck, jeune homme sachant écrire, entre au cabinet du ministre des Affaires étrangères Alexandre Taillard de Vorms, pour s’occuper des « langages ». Mais, au Quai d’Orsay, la vie n'est pas de tout repos. Les conseillers travaillent dans l’urgence et sont soumis à un stress permanent. Servi par un physique avantageux, Taillard de Vorms est flamboyant et porte le verbe haut, mais il se montre fantasque dans le travail de tous les jours. Arthur croit lui donner satisfaction dans la préparation des discours en suivant ses recommandations à la lettre, mais le ministre n’est jamais content, disant une chose puis son contraire. Malgré tout, Arthur tombe sous son charme, car, sous des apparences fantasques, Taillard de Vorms est porté par une vision et sait très bien où il va. Il veut empêcher les Américains de déclencher la guerre au Lousdémistan.

            quai d'orsay,tavernier,thierry lhermitte,raphaël personnaz,niels arestrup,anaïs demoustier,bruno raffaeliChacun l’aura compris, le Lousdémistan, c’est l’Irak ; et Alexandre Taillard de Vorms, c’est Dominique Galouzeau de Villepin. Quai d’Orsay raconte, vue du côté français, la gestion diplomatique de la crise irakienne, qui culmina avec le discours de Villepin au conseil de sécurité de l’Onu en février 2003. Au-delà du rappel de faits qui appartiennent maintenant à l’histoire, le film a le grand mérite de nous montrer la vie quotidienne à l’intérieur d’un cabinet ministériel. Nous savons maintenant à quoi un ministre et ses collaborateurs passent leurs journées, de réunions en réunions en passant par la préparation de discours et la gestion de crises. Nous voyons aussi les rivalités au grand jour et les petits pièges que peuvent se tendre entre eux les conseillers pour briller auprès de leur maître.

Lhermitte survolté

            Bertrand Tavernier a réalisé une adaptation fidèle de la bande dessinée de Blain et Lanzac, reprenant l’essentiel des situations et des dialogues de l’album. Son pari d’adaptation était osé, car l’expérience a montré qu’il est très difficile de transposer à l’écran des héros de papier. Ici, l’ensemble fonctionne. La direction d’acteurs, souvent déficiente dans les films actuels, est maîtrisée. Thierry Lhermitte est survolté dans le rôle du ministre ; il débite son dialogue en rafales de mitraillette tout en restant très compréhensible. On notera cependant que dans son discours à l’Onu il adopte un ton moins lyrique et moins grandiloquent que le vrai Villepin. Niels Arestrup, dans le rôle de directeur de cabinet, se montre complémentaire de son ministre. Alors que Taillard de Vorms, emporté par ses élans et ses intuitions, est souvent tenté de foncer, son numéro deux, plus posé et plus réfléchi, s’efforce de le freiner. Mention spéciale pour Bruno Raffaelli, qui semble sorti tout droit de l’album et qui ressemble trait pour trait au personnage qu’il incarne, à savoir Cahut conseiller Moyen-Orient.

Le film va à cent à l’heure. Le rythme est soutenu. Les répliques fusent de tous côtés sans que le spectateur soit égaré. Probablement Tavernier s’est-il souvenu des comédies américaines d’Ernst Lubitsch et de Howard Hawks. On peut cependant émettre une petite réserve propre à ce genre de films directement inspirés de faits politiques précis (on pense à la Conquête ou à The Queen), il n’y pas de surprise à attendre dans le dénouement. Il y manque ce qu’Hitchcock appelait la courbe montante, qui fait que l’intérêt du spectateur augmente à mesure que le film avance.

 

Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier (2013), avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, Anaïs Demoustier et Bruno Raffaeli, d’après la bande dessinée de Blain et Lanzac, actuellement dans les salles.