10/02/2014
Mont-Oriol, de Maupassant
Lecture à éviter avant d'aller en cure
Mont-Oriol
Maupassant s’attaque au thermalisme, alors en plein boom en cette fin du XIXème siècle. William Andermatt, banquier de son état, lance une ville d’eau qu’il baptise Mont-Oriol. Il rallie à son projet des médecins plus préoccupés de leur carrière que de l’honneur de la médecine. Le thermalisme, selon Maupassant, est d’abord une affaire d’argent.
Deux intrigues se superposent dans Mont-Oriol. En premier lieu, Maupassant fait le récit d’un adultère. Christiane de Ravanel, fille du marquis de Ravanel, a épousé le banquier William Andermatt dans le but que sa fortune arrose toute la famille de Ravanel. Au sein du couple, aucun enfant ne vient. Pour lutter contre la stérilité, Christiane suit une cure, quand elle tombe amoureuse de Paul Brétigny, un aventurier, avec qui elle va tromper son mari. En parallèle de cette première intrigue, Maupassant conte la naissance et le développement de la station thermale de Mont-Oriol. Et c’est ce second récit qui est le plus original et le plus passionnant. Maupassant nous fait vivre en direct la fondation d’une ville d’eaux, et nous fait visiter ses coulisses peu ragoûtantes.
Au début du roman, le thermalisme n’est qu’à ses balbutiements. Christiane suit son traitement dans la toute petite station d’Enval. Tout de suite nous constatons que Maupassant n’aime pas les médecins. Dès le début du livre, il règle son compte au docteur Bonnefille, inspecteur de la station d’Enval, qui rédige ses ordonnances comme s’il s’agissait d’ordonnances de justice ; selon Maupassant, on croyait lire : « Attendu que M. X… est atteint d’une maladie chronique, incurable et mortelle ; il prendra : 1°) Du sulfate de quinine qui le rendra sourd et lui fera perdre la mémoire ; 2°) Du bromure de potassium qui lui détruira l’estomac […] et fera fétide son haleine […]. »
Quand Andermatt vient rejoindre sa femme à Enval, il assiste à la découverte d’une source sur les terres du vieux paysan Oriol. Aussitôt, l’homme d’argent et entrepreneur qu’est Andermatt comprend le profit qu’il peut en tirer. Il va fonder, ou plutôt pour reprendre son expression, il va « lancer » une ville d’eaux, car le thermalisme, avant d’être une aventure médicale, est une aventure économique et financière. Andermatt expose son projet à sa belle-famille qui reste dubitative. Devant son beau-frère Gontran de Ravanel, qui décidément n’a pas le sens des affaires, Andermatt s’exclame plein d’enthousiasme : « Ah ! vous ne comprenez pas, vous autres, comme c’est amusant, les affaires, non pas les affaires des commerçants ou des marchands, mais les grandes affaires, les nôtres ! […] Nous sommes les puissants d’aujourd’hui, voilà, les vrais, les seuls puissants ! Tenez, regardez ce village, ce pauvre village ! J’en ferai une ville, moi, une ville blanche, pleine de grands hôtels qui seront pleins de monde, avec des ascenseurs, des domestiques, des voitures, une foule de riche servie par une foule de pauvres […]. »
Il s’agit de vendre l’eau comme n’importe quel produit
Andermatt lance sa ville d’eau qu’il baptisera Mont-Oriol, et il déclare à son conseil d’administration que c’est grâce à la publicité faite par les médecins que son affaire prospèrera : « La grande question moderne, Messieurs, c’est la réclame ; elle est le dieu du commerce et de l’industrie contemporains. Hors la réclame, pas de salut. […] Nous autres, Messieurs, nous voulons vendre de l’eau. C’est par les médecins que nous devons conquérir le malades. » Et Andermatt se fait plus précis encore : certes non, il ne s’agit pas de corrompre les médecins, mais de se montrer habile pour gagner leurs faveurs.
Un médecin parisien, le Dr Latonne, est nommé inspecteur des eaux de la toute nouvelle station de Mont-Oriol. Auparavant Latonne n’avait pas de mots assez durs pour critiquer les méthodes du thermalisme, mais maintenant qu’il a accédé à un poste d’importance, il en loue les vertus : « Le docteur Latonne, l’année précédente, médisait les lavages d’estomac préconisés et pratiqués par le docteur Bonnefille dans l’établissement dont il était l’inspecteur. Mais les temps avaient modifié son opinion et la sonde Baraduc était devenue le grand instrument de torture du nouvel inspecteur qui la plongeait dans tous les œsophages avec une joie enfantine. » Sa méthode frise l’imposture et, au fil des pages, en voyant la succes story qu’est le développement de Mont-Oriol, nous aurons l’impression d’assister à une véritable mascarade dont des médecins se font les complices.
Comme souvent chez Maupassant, les personnages se montrent cyniques et égoïstes, préoccupés seulement par le devenir de leur petite personne. Certains lecteurs seront peut-être atterrés de son ardeur à démolir le thermalisme et l’honneur de la médecine. Peut-être Maupassant est-il injuste, mais il sait raconter une histoire et nous apprend à ne pas être crédules.
Mont-Oriol de Maupassant (1886), collection Folio.
09:10 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XIXe siècle | Tags : mont-oriol, maupassant | Lien permanent | Commentaires (0)
03/02/2014
Rio Bravo, de Hawks
Grand classique du western
Rio Bravo
Dans Rio Bravo, John Wayne incarne un shérif assez maladroit qui s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Il est entouré d’adjoints, joués par Dean Martin et Walter Brennan, qui se montrent encore moins à la hauteur que lui. Ce western fait aujourd’hui référence et pourtant on n’y trouve pas de scène d’action spectaculaire.
En 1952, le western Le Train sifflera trois fois (High Noon), de Fred Zinnemann, rencontra un immense succès. Pourtant, un homme n’aima pas le film : le réalisateur Howard Hawks fut révulsé de voir à l’écran la lâcheté des habitants d’une petite ville américaine. Le shérif, joué par Gary Cooper, attendait une bande de hors-la-loi venus se venger. Il était abandonné de tous, y compris de sa femme jouée par Grace Kelly. En réaction, Howard Hawks réalisa Rio Bravo, un western plus conforme à l’esprit américain tel qu’il le concevait.
Point commun entre les deux films : un shérif s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Dans Rio Bravo, le shérif John T. Chance emprisonne un homme pour meurtre. Mais le frère du détenu est un riche propriétaire et il claironne qu’il va monter une expédition punitive pour le délivrer. C’est là que Rio Bravo prend le contre-pied du Train sifflera trois fois. Si, dans le film de Zinnemann, Gary Cooper est abandonné de tous, dans Rio Bravo le shérif reçoit des propositions d’aide venus de la communauté, qu’il va juger inutiles et décliner l’une après l’autre.
Mais attention, nous sommes dans un film de Hawks, il n’y a pas de super-héros. Le shérif Chance a beau être joué par John Wayne, il ne se montre pas à la hauteur. Il est entouré d’adjoints qui le gênent plus qu’ils ne l’aident. L’un, Dude, joué par Dean Martin, est alcoolique ; l’autre, Stumpy, joué par Walter Brennan, est vieux, susceptible, impulsif, et rate toutes ses cibles. Quand un as de la gâchette, le jeune Colorado, joué par Ricky Nelson, se propose de venir renforcer l’équipe d’adjoints, assez bizarrement le shérif Chance refuse. Et pourtant, Chance se fait surprendre par derrière comme un débutant et ne doit son salut qu’à une entraîneuse de saloon, Feathers, jouée par Angie Dickinson.
Certes, John Wayne se montre maladroit, mais le spectateur ne peut qu’admirer son calme extraordinaire. La force du personnage est dans son caractère : il se montre nonchalant et ne perd jamais son sang-froid.
Un homme n’est rien sans la communauté qui l’entoure
Rio Bravo peut décontenancer le spectateur qui le verrait pour la première fois. Il n’y pas de paysage majestueux, pas de grande chevauchée, pas d’Indien et somme toute peu d’action. Les hommes passent le plus clair de leur temps à attendre l’affrontement avec les hors-la-loi. Alors ils tuent le temps : ils vont de la prison au saloon et du saloon à la prison en passant par le barbier et en surveillant la rue principale. Ils parlent beaucoup (le film peut même paraître un peu bavard) et ils chantent. Dean Martin et Ricky Nelson fredonnent en duo des ballades, sous l’œil de John Wayne. Si Dean Martin apparaît aujourd’hui comme le prototype du crooner, on a oublié Ricky Nelson. Alors âgé de dix-huit ans, il était l’idole des jeunes dans l’Amérique de la fin des années 50, une espèce d’Elvis Presley présentable et acceptable pour les parents.
L’un des moments forts du film est l’interprétation du Deguello, joué une nuit par des musiciens mexicains à la demande du chef des hors-la-loi, pour effrayer le shérif et ses adjoints. Le Deguello est une musique espagnole qui, au XIXème siècle, annonçait qu’il n’y aurait pas de quartier. Il existe une partition historique de ce morceau, mais le compositeur Dimitri Tiomkin la trouva si médiocre qu’il décida de la réécrire pour les besoins du film. John Wayne fut ébloui par la musique de Tiomkin et, un an plus tard, lui demanda l’autorisation de la réutiliser dans son film Alamo.
Rio Bravo peut donc dérouter le spectateur amateur d’action qui le verrait pour la première fois. Mais, au fur et à mesure qu’il le reverra au fil des ans, il lui trouvera à chaque fois des qualités supplémentaires. Il appréciera l’atmosphère et les personnages, et retiendra la leçon donnée par le film : l’homme seul n’est rien, sans la communauté qui l’entoure. Et les nostalgiques du western noteront qu’il s’agit là du dernier rôle de Ward Bond, un vétéran du genre, mort peu de temps après.
Rio Bravo fut tourné en 1959. C’est le dernier western que l’on peut qualifier de grand classique, avant que le genre ne soit remis en cause au cours des années 60, pour ensuite complètement disparaitre des écrans.
Rio Bravo, de Howard Hawks (1959), avec John Wayne, Dean Martin, Ricky Nelson, Angie Dickinson, Walter Brennan et Ward Bond, DVD Warner Home Video Vidéo.
09:29 Publié dans Western | Tags : rio bravo, hawks, john wayne, dean martin, ricky nelson, angie dickinson, walter brennan, ward bond | Lien permanent | Commentaires (0)
27/01/2014
Le Salaire de la peur, d'Henri-Geroges Clouzot
La mort au tournant
Le Salaire de la peur
Grand succès à sa sortie en 1953, Le Salaire de la peur est devenu au fil des ans un classique du cinéma français. Henri-Georges Clouzot a réalisé un suspense très efficace, donnant à Yves Montand l’un de ses meilleurs rôles. Le duo qu’il forme avec Charles Vanel est inoubliable.
Le film Le Salaire de la peur est adapté du roman de Georges Arnaud. L’action se passe en Amérique Latine. Un puits de pétrole prend feu. Les responsables de la compagnie américaine qui l’exploite décident d’utiliser la nitroglycérine pour éteindre l’incendie. Mais il faut l’acheminer sur place, or la nitroglycérine est très dangereuse à manipuler. Des chauffeurs as du volant et dotés d’un grand sang-froid sont nécessaires pour conduire les camions à bon port. Quatre chauffeurs, soit deux binômes, sont recrutés pour conduire deux camions. Parmi eux, Jo, un vieux bourlingueur, et Mario, son cadet d’une trentaine d’années, prêts à risquer leur vie pour 10 000 dollars.
Ce qui frappe en premier lieu dans Le Salaire de la peur, c’est le long prologue de trois quart d’heure qui précède le suspense à proprement parler. Ce prologue permet à Clouzot de planter le décor et de présenter les personnages de façon à ce que nous puissions nous familiariser avec eux. Dans le « couple » Jo-Mario, Charles Vanel joue le rôle de l’aîné. C’est un véritable caïd : il roule des mécaniques, n’a pas froid aux yeux et se pose en mentor du jeune Mario, joué par Yves Montand. Dans un premier temps. Mario est impressionné par la personnalité de Jo dont il devient l’inséparable compagnon.
Puis, à partir du moment où l’épreuve du voyage commence, Jo se laisse envahir par la crainte de l’accident, et celui que nous pensions être un dur se révèle un être tremblant de peur. Bref, le caïd apparaît lâche. En fait, Jo est trop vieux pour une mission aussi dangereuse, dans le sens qu’il est prisonnier de sa trop grande expérience. Sa conscience du danger finit par le paralyser, tandis que Mario, dans l’aveuglement de la jeunesse, n’imagine pas qu’un accident puisse survenir. Alors, peu à peu, nous voyons le rapport entre Jo et Mario s’inverser : dorénavant c’est Vanel qui devient l’être dominé, subissant l’ascendant exercé par Montand. On voit leur relation presque virer au sadomasochisme : Mario pousse Jo à des efforts extrêmes, allant jusqu’à le battre pour le faire avancer, et Jo, réduit à l’état de loque, se laisse faire.
Chez Clouzot, les acteurs paient de leur personne
. Au-delà de sa dimension psychologique, Le Salaire de la peur comporte une critique sociale ; l’impérialisme et le capitalisme ne sont pas épargnés. On y voit les Américains qui ont colonisé un territoire d’Amérique latine, épuiser ses ressources naturelles tandis que les populations locales sont réduites à l’état de pauvreté. Les autochtones et les Européens qui vivent sur place ne trouvent pas de travail et sont réduits à l’oisiveté, tout en étant blâmés par ceux qui soutiennent que quand on veut travailler on peut. Clouzot nous montre bien un maçon italien besogneux, mais nous apprenons qu’il est condamné par la médecine, ses poumons ayant respiré trop de ciment. Le seul travail bien payé qui se présente à tous est de conduire les deux camions de nitroglycérine.
On ne peut être que fasciné par la mise en scène de Clouzot, surtout quand on sait que ce film, censé se passer en Amérique Latine, a été entièrement tourné en France. Les acteurs paient de leur personne. Chez Clouzot, ils sont même priés de ne pas simuler. Quand Vanel donne une gifle à un autre acteur, on peut être sûr qu’il lui donne une vraie claque. Lorsque le même Vanel se débat dans une grosse mare, avec du liquide jusqu’aux épaules, il n’est bien sûr pas doublé. D’où une certaine authenticité dans le film. Quant à Montand, il aura peut-être trouvé ici son meilleur rôle. Si dans Etoile sans lumière, tourné en 1945, il se montre encore hésitant, ici dans Le Salaire de la peur, sept ans plus tard, son jeu atteint sa pleine maturité. Montand se montre un acteur confirmé qui finit par tenir tête à Vanel. Le Salaire de la peur est un film qu’on ne peut se lasser de revoir, notamment pour repérer, avec précision, le moment de bascule dans les rapports entre Vanel et Montand.
Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (1952), avec Yves Montand, Charles Vanel et Véra Clouzot, DVD René Chateau Vidéo.
09:10 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le salaire de la peur, clouzot, montand, vanel, véra clouzot | Lien permanent | Commentaires (0)