18/11/2013
Quai d'Orsay, de Tavernier
La vie quotidienne au Quai sous Villepin
Quai d’Orsay
Le film de Bertrand Tavernier est fidèle à la bande dessiné de Blain et Lanzac. On y découvre le Quai d’Orsay sous Dominique de Villepin et comment il a géré la crise irakienne de 2003. S’inspirant des comédies américaines de la grande époque, Tavernier a su donner du rythme à son film et maîtrise la direction d’acteurs.
Arthur Vlaminck, jeune homme sachant écrire, entre au cabinet du ministre des Affaires étrangères Alexandre Taillard de Vorms, pour s’occuper des « langages ». Mais, au Quai d’Orsay, la vie n'est pas de tout repos. Les conseillers travaillent dans l’urgence et sont soumis à un stress permanent. Servi par un physique avantageux, Taillard de Vorms est flamboyant et porte le verbe haut, mais il se montre fantasque dans le travail de tous les jours. Arthur croit lui donner satisfaction dans la préparation des discours en suivant ses recommandations à la lettre, mais le ministre n’est jamais content, disant une chose puis son contraire. Malgré tout, Arthur tombe sous son charme, car, sous des apparences fantasques, Taillard de Vorms est porté par une vision et sait très bien où il va. Il veut empêcher les Américains de déclencher la guerre au Lousdémistan.
Chacun l’aura compris, le Lousdémistan, c’est l’Irak ; et Alexandre Taillard de Vorms, c’est Dominique Galouzeau de Villepin. Quai d’Orsay raconte, vue du côté français, la gestion diplomatique de la crise irakienne, qui culmina avec le discours de Villepin au conseil de sécurité de l’Onu en février 2003. Au-delà du rappel de faits qui appartiennent maintenant à l’histoire, le film a le grand mérite de nous montrer la vie quotidienne à l’intérieur d’un cabinet ministériel. Nous savons maintenant à quoi un ministre et ses collaborateurs passent leurs journées, de réunions en réunions en passant par la préparation de discours et la gestion de crises. Nous voyons aussi les rivalités au grand jour et les petits pièges que peuvent se tendre entre eux les conseillers pour briller auprès de leur maître.
Lhermitte survolté
Bertrand Tavernier a réalisé une adaptation fidèle de la bande dessinée de Blain et Lanzac, reprenant l’essentiel des situations et des dialogues de l’album. Son pari d’adaptation était osé, car l’expérience a montré qu’il est très difficile de transposer à l’écran des héros de papier. Ici, l’ensemble fonctionne. La direction d’acteurs, souvent déficiente dans les films actuels, est maîtrisée. Thierry Lhermitte est survolté dans le rôle du ministre ; il débite son dialogue en rafales de mitraillette tout en restant très compréhensible. On notera cependant que dans son discours à l’Onu il adopte un ton moins lyrique et moins grandiloquent que le vrai Villepin. Niels Arestrup, dans le rôle de directeur de cabinet, se montre complémentaire de son ministre. Alors que Taillard de Vorms, emporté par ses élans et ses intuitions, est souvent tenté de foncer, son numéro deux, plus posé et plus réfléchi, s’efforce de le freiner. Mention spéciale pour Bruno Raffaelli, qui semble sorti tout droit de l’album et qui ressemble trait pour trait au personnage qu’il incarne, à savoir Cahut conseiller Moyen-Orient.
Le film va à cent à l’heure. Le rythme est soutenu. Les répliques fusent de tous côtés sans que le spectateur soit égaré. Probablement Tavernier s’est-il souvenu des comédies américaines d’Ernst Lubitsch et de Howard Hawks. On peut cependant émettre une petite réserve propre à ce genre de films directement inspirés de faits politiques précis (on pense à la Conquête ou à The Queen), il n’y pas de surprise à attendre dans le dénouement. Il y manque ce qu’Hitchcock appelait la courbe montante, qui fait que l’intérêt du spectateur augmente à mesure que le film avance.
Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier (2013), avec Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, Anaïs Demoustier et Bruno Raffaeli, d’après la bande dessinée de Blain et Lanzac, actuellement dans les salles.
09:20 Publié dans Comédie, Film | Tags : quai d'orsay, tavernier, raphaël personnaz, niels arestrup, anaïs demoustier, bruno raffaeli, lhermitte | Lien permanent | Commentaires (0)
11/11/2013
La Fin de la mondialisation, de François Lenglet
Contre le mythe de la mondialisation heureuse
La Fin de la mondialisation
Loin d’être consensuel, le dernier livre de François Lenglet dénonce la mondialisation. Dans un langage clair et avec humour, le journaliste nous explique que nous sommes allés trop loin dans le libre-échange, sans en obtenir les résultats escomptés. Mais, selon lui, la mondialisation entre dans une phase d’éclipse et ce n’est pas une mauvaise chose.
François Lenglet est éditorialiste sur France 2. Au journal de 20 heures, il délivre ses leçons d’économie devant des millions de téléspectateurs. A ce titre, sa responsabilité est énorme. On eût pu attendre de sa part un livre lisse, sans aspérité, qui épouse le discours dominant présentant la mondialisation comme souhaitable et même inéluctable. Or, il n’en est rien. Comme le titre de son livre l’indique, François Lenglet nous annonce la fin de la mondialisation ou, tout au moins, son éclipse ; et, selon lui, ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.
Exemples à l’appui, Lenglet nous montre que l’histoire économique est cyclique : les périodes d’ouverture des frontières sont suivies de période de fermeture. Une première fois, en 1913, le commerce mondial atteignit son apogée, puis il s’effondra avec la première guerre mondiale. Les années 20 furent une tentative de rétablissement de l’ordre libéral d’avant 1914, mais cela n’empêcha pas la crise de 29 et les politiques protectionnistes des années 30. Bref, des rééquilibrages se produisent à intervalles réguliers.
S’agissant de notre époque, Lenglet se fait très critique quand il écrit : « Le libre-échange tel que nous le pratiquons depuis un quart de siècle a des coûts sociaux très élevés. ». Il parle même de machine à inégalités. Les emplois industriels ont été délocalisés, tandis qu’ont été créés des emplois dans les services, des emplois non délocalisables mais peu qualifiés et surtout sous-payés. Lenglet estime que ce sont les peuples qui ont payé le prix de la mondialisation et il ne mâche pas ses mots : « La mondialisation […] demande aux peuples de s’adapter et de ne pas se mettre aux travers des autoroutes qu’elle a construites. Circulez, et laissez passer les convois internationaux ! Dans ce système, c’est sur la société que se sont reportés tous les efforts d’ajustement : mobilité, flexibilité, baisse des salaires. La mondialisation consacre la domination des mobiles sur les immobiles, des forts sur les faibles […]. » Selon lui, seule une élite planétaire profite du système. Ont vu leur salaire grimper ceux qui apportent une forte valeur ajoutée et qui peuvent se jouer des frontières, du fait de leur haut niveau de compétence. Lenglet cite le cas de Pavarotti qui aura vendu cent millions de disques à travers le monde, tandis que Caruso, son illustre prédécesseur, n’en aura vendu qu’un million un siècle plus tôt.
La grosse arnaque des Chinois
Selon François Lenglet, les pays développés ont ouvert trop rapidement leurs portes à la Chine, sans se rendre compte qu’ils se rendaient victimes d’une gigantesque arnaque : la Chine a fait mine d’accepter les règles internationales, pour mieux les contourner ensuite, notamment en manipulant sa monnaie. La théorie de la mondialisation heureuse voulait que les pays émergeants se développent et que, pendant ce temps, les pays du Nord misent sur les créneaux à forte valeur ajoutée, mettant à profit leur avance technologique, comme dans l'électronique et les télécommunications. Mais rien ne s’est passé comme prévu : la Chine a rattrapé les Européens et les Américains bien plus vite que prévu dans nombre de secteurs, y compris l'automobile.
Lenglet n’est pas tendre non plus pour l’Europe de Jacques Delors. Selon lui, l’euro a été mis en place sur de mauvaises bases et, du fait de la monnaie unique, la France se prive de l’arme de la dévaluation qui lui serait bien utile par les temps qui courent. Il accuse Berlin de mener une politique mercantiliste très dangereuse à terme. D’un coté, l’Allemagne cherche à accumuler les excédents commerciaux, et, de l’autre, elle use du bâton à l’égard des pays européens qui additionnent les déficits, oubliant que ce sont leurs déficits qui font en partie ses excédents. Lenglet juge que la poursuite d’une telle politique conduit à de graves déséquilibres, d’où le risque d’éclatement de l’euro.
Faisant référence aux travaux de Maurice Allais, le très iconoclaste prix Nobel d’économie dont il semble se réclamer, Lenglet souligne que le libre-échange est praticable entre pays qui ont peu ou prou le même niveau de revenu et de développement. Lenglet appelle l’Europe à trouver un nouvel équilibre entre ouverture et protection, et il insiste sur la nécessité du protectionnisme financier. Les capitaux ne doivent plus circuler librement. La finance doit être renationalisée ou régionalisée, afin d’éviter que se créent de nouvelles bulles, telles la bulle immobilière ou la bulle Internet de la fin des années 90.
En tout cas, selon François Lenglet, le mouvement d’éclipse de la mondialisation s’est engagé sous nos yeux ; ainsi, et c’est un symbole, Apple a décidé de rapatrier une chaîne de production d’ordinateurs aux Etats-Unis, dans l’Etat du Texas. Les sociétés industrielles américaines prennent conscience que produire à l’étranger n’est pas forcément mieux et moins cher. Les usines américaines ont fait des efforts de productivité et, grâce aux gaz de schiste, le prix des énergies a baissé aux Etats-Unis. Les choses sont donc en train de changer ; et le pays qui pourrait payer le prix fort dans le nouvel équilibre qui se dessine, c’est la Chine, dont le modèle est entièrement bâti sur les exportations.
La Fin de la mondialisation, un livre de François Lenglet (2013), éditions Fayard.
09:20 Publié dans Economie, Essai, Essai, document, Essai, document, biographie, mémoires..., Livre | Tags : françois lenglet, la fin de la mondialisation | Lien permanent | Commentaires (0)
04/11/2013
Le Trou, de Jacques Becker
Huis-clos étouffant, avec soif d’évasion
Le Trou
Le dernier film de Jacques Becker est une œuvre forte, inspirée d’une histoire vraie. Pendant deux heures, nous n’en croyons pas nos yeux. Nous voyons quatre hommes, munis de moyens de fortune, creuser un trou pour s‘échapper de leur cellule de la prison de la Santé.
La scène d’ouverture du film se déroule dans chez un casseur de voitures de la banlieue parisienne. Un homme apparaît à l’écran et déclare à la caméra : « Bonjour, mon ami Jacques Becker a retracé dans tous ses détails une histoire vraie : la mienne ! Ca s’est passé en 1947 à la prison de la Santé. »
Puis, une fois le générique passé, nous sommes projetés à l’intérieur des murs de la Santé que nous ne quitterons quasiment plus. Un jeune homme est incarcéré pour une tentative de meurtre dont il se dit innocent. Il est introduit dans une cellule où sont déjà entassés trois autres prévenus, dont celui que nous avons vu en ouverture du film et qui joue ici son propre rôle. Les trois hommes accueillent le nouveau venu, mais sont hésitants sur l’attitude à adopter à son égard. Ils ont de bonnes raisons de se méfier. Ils ont échafaudé un plan d’évasion et veulent prendre leurs précautions avant d’associer le jeune homme. Il a l’air sincère et sympathique. Mais la prudence élémentaire ne réclame-t-elle pas d’apprendre à le connaître avant de lui dire quoi que ce soit ? Les trois hommes choisissent de lui faire confiance et l’associe à leur plan d’une audace folle : creuser un trou dans le sol de leur cellule pour rejoindre les égouts.
Becker, cet oublié
Le Trou est le dernier film de Jacques Becker, mort quelques mois après le tournage, en 1960. Becker est aujourd’hui injustement oublié. On se rappelle vaguement qu’il fut le réalisateur de Casque d’or, film aujourd’hui mythique, et de Touchez pas au grisbi, mais, bien souvent, on oublie Le Trou qui mérite d’être (re)découvert. C’est d’abord un huis-clos étouffant. Pendant deux heures, le spectateur reste enfermé dans une étroite cellule en compagnie de quatre détenus. Nous ne sommes autorisés à sortir que pour les rares moments de promenade. Alors, nous sommes saisis par la soif de liberté et aspirés par la tentative d’évasion. Là nous n’en croyons pas nos yeux. Avec des moyens de fortune, ces hommes vont réussir à creuser un trou qui les emmène dans les sous-sols de la Santé. Aucun obstacle ne va les arrêter. Avec une simple lime, ils enlèvent les gonds d’une porte et font mine de la remettre en place derrière eux pour donner l’impression que tout est normal. Nous vivons chaque minute du film avec intensité, car, à tout moment, les quatre hommes peuvent être découverts dans leur tentative d’évasion ; nous n’avons guère le temps de souffler.
Pour des raisons d’authenticité, Jacques Becker avait voulu des acteurs non professionnels, dont Jean Keraudy dans sons propre rôle. Un de ces hommes sera remarqué et fera carrière au cinéma, notamment dans les comédies de Georges Lautner ; il s’agit de Michel Constantin qui fait ici ses débuts à l’écran. Pour le rôle du jeune homme, en revanche Becker avait voulu un acteur professionnel, en l’occurrence Mark Michel. A la fin du film, le spectateur comprendra pourquoi.
Le Trou, un film de Jacques Becker (1960), avec Michel Constantin, Jean Keraudy et Mark Michel, DVD Studio Canal.
09:20 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le trou, jacques becker, jean keraudy, michel constantin, mark michel | Lien permanent | Commentaires (0)