03/02/2014
Rio Bravo, de Hawks
Grand classique du western
Rio Bravo
Dans Rio Bravo, John Wayne incarne un shérif assez maladroit qui s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Il est entouré d’adjoints, joués par Dean Martin et Walter Brennan, qui se montrent encore moins à la hauteur que lui. Ce western fait aujourd’hui référence et pourtant on n’y trouve pas de scène d’action spectaculaire.
En 1952, le western Le Train sifflera trois fois (High Noon), de Fred Zinnemann, rencontra un immense succès. Pourtant, un homme n’aima pas le film : le réalisateur Howard Hawks fut révulsé de voir à l’écran la lâcheté des habitants d’une petite ville américaine. Le shérif, joué par Gary Cooper, attendait une bande de hors-la-loi venus se venger. Il était abandonné de tous, y compris de sa femme jouée par Grace Kelly. En réaction, Howard Hawks réalisa Rio Bravo, un western plus conforme à l’esprit américain tel qu’il le concevait.
Point commun entre les deux films : un shérif s’apprête à affronter une bande de hors-la-loi. Dans Rio Bravo, le shérif John T. Chance emprisonne un homme pour meurtre. Mais le frère du détenu est un riche propriétaire et il claironne qu’il va monter une expédition punitive pour le délivrer. C’est là que Rio Bravo prend le contre-pied du Train sifflera trois fois. Si, dans le film de Zinnemann, Gary Cooper est abandonné de tous, dans Rio Bravo le shérif reçoit des propositions d’aide venus de la communauté, qu’il va juger inutiles et décliner l’une après l’autre.
Mais attention, nous sommes dans un film de Hawks, il n’y a pas de super-héros. Le shérif Chance a beau être joué par John Wayne, il ne se montre pas à la hauteur. Il est entouré d’adjoints qui le gênent plus qu’ils ne l’aident. L’un, Dude, joué par Dean Martin, est alcoolique ; l’autre, Stumpy, joué par Walter Brennan, est vieux, susceptible, impulsif, et rate toutes ses cibles. Quand un as de la gâchette, le jeune Colorado, joué par Ricky Nelson, se propose de venir renforcer l’équipe d’adjoints, assez bizarrement le shérif Chance refuse. Et pourtant, Chance se fait surprendre par derrière comme un débutant et ne doit son salut qu’à une entraîneuse de saloon, Feathers, jouée par Angie Dickinson.
Certes, John Wayne se montre maladroit, mais le spectateur ne peut qu’admirer son calme extraordinaire. La force du personnage est dans son caractère : il se montre nonchalant et ne perd jamais son sang-froid.
Un homme n’est rien sans la communauté qui l’entoure
Rio Bravo peut décontenancer le spectateur qui le verrait pour la première fois. Il n’y pas de paysage majestueux, pas de grande chevauchée, pas d’Indien et somme toute peu d’action. Les hommes passent le plus clair de leur temps à attendre l’affrontement avec les hors-la-loi. Alors ils tuent le temps : ils vont de la prison au saloon et du saloon à la prison en passant par le barbier et en surveillant la rue principale. Ils parlent beaucoup (le film peut même paraître un peu bavard) et ils chantent. Dean Martin et Ricky Nelson fredonnent en duo des ballades, sous l’œil de John Wayne. Si Dean Martin apparaît aujourd’hui comme le prototype du crooner, on a oublié Ricky Nelson. Alors âgé de dix-huit ans, il était l’idole des jeunes dans l’Amérique de la fin des années 50, une espèce d’Elvis Presley présentable et acceptable pour les parents.
L’un des moments forts du film est l’interprétation du Deguello, joué une nuit par des musiciens mexicains à la demande du chef des hors-la-loi, pour effrayer le shérif et ses adjoints. Le Deguello est une musique espagnole qui, au XIXème siècle, annonçait qu’il n’y aurait pas de quartier. Il existe une partition historique de ce morceau, mais le compositeur Dimitri Tiomkin la trouva si médiocre qu’il décida de la réécrire pour les besoins du film. John Wayne fut ébloui par la musique de Tiomkin et, un an plus tard, lui demanda l’autorisation de la réutiliser dans son film Alamo.
Rio Bravo peut donc dérouter le spectateur amateur d’action qui le verrait pour la première fois. Mais, au fur et à mesure qu’il le reverra au fil des ans, il lui trouvera à chaque fois des qualités supplémentaires. Il appréciera l’atmosphère et les personnages, et retiendra la leçon donnée par le film : l’homme seul n’est rien, sans la communauté qui l’entoure. Et les nostalgiques du western noteront qu’il s’agit là du dernier rôle de Ward Bond, un vétéran du genre, mort peu de temps après.
Rio Bravo fut tourné en 1959. C’est le dernier western que l’on peut qualifier de grand classique, avant que le genre ne soit remis en cause au cours des années 60, pour ensuite complètement disparaitre des écrans.
Rio Bravo, de Howard Hawks (1959), avec John Wayne, Dean Martin, Ricky Nelson, Angie Dickinson, Walter Brennan et Ward Bond, DVD Warner Home Video Vidéo.
09:29 Publié dans Western | Tags : rio bravo, hawks, john wayne, dean martin, ricky nelson, angie dickinson, walter brennan, ward bond | Lien permanent | Commentaires (0)
27/01/2014
Le Salaire de la peur, d'Henri-Geroges Clouzot
La mort au tournant
Le Salaire de la peur
Grand succès à sa sortie en 1953, Le Salaire de la peur est devenu au fil des ans un classique du cinéma français. Henri-Georges Clouzot a réalisé un suspense très efficace, donnant à Yves Montand l’un de ses meilleurs rôles. Le duo qu’il forme avec Charles Vanel est inoubliable.
Le film Le Salaire de la peur est adapté du roman de Georges Arnaud. L’action se passe en Amérique Latine. Un puits de pétrole prend feu. Les responsables de la compagnie américaine qui l’exploite décident d’utiliser la nitroglycérine pour éteindre l’incendie. Mais il faut l’acheminer sur place, or la nitroglycérine est très dangereuse à manipuler. Des chauffeurs as du volant et dotés d’un grand sang-froid sont nécessaires pour conduire les camions à bon port. Quatre chauffeurs, soit deux binômes, sont recrutés pour conduire deux camions. Parmi eux, Jo, un vieux bourlingueur, et Mario, son cadet d’une trentaine d’années, prêts à risquer leur vie pour 10 000 dollars.
Ce qui frappe en premier lieu dans Le Salaire de la peur, c’est le long prologue de trois quart d’heure qui précède le suspense à proprement parler. Ce prologue permet à Clouzot de planter le décor et de présenter les personnages de façon à ce que nous puissions nous familiariser avec eux. Dans le « couple » Jo-Mario, Charles Vanel joue le rôle de l’aîné. C’est un véritable caïd : il roule des mécaniques, n’a pas froid aux yeux et se pose en mentor du jeune Mario, joué par Yves Montand. Dans un premier temps. Mario est impressionné par la personnalité de Jo dont il devient l’inséparable compagnon.
Puis, à partir du moment où l’épreuve du voyage commence, Jo se laisse envahir par la crainte de l’accident, et celui que nous pensions être un dur se révèle un être tremblant de peur. Bref, le caïd apparaît lâche. En fait, Jo est trop vieux pour une mission aussi dangereuse, dans le sens qu’il est prisonnier de sa trop grande expérience. Sa conscience du danger finit par le paralyser, tandis que Mario, dans l’aveuglement de la jeunesse, n’imagine pas qu’un accident puisse survenir. Alors, peu à peu, nous voyons le rapport entre Jo et Mario s’inverser : dorénavant c’est Vanel qui devient l’être dominé, subissant l’ascendant exercé par Montand. On voit leur relation presque virer au sadomasochisme : Mario pousse Jo à des efforts extrêmes, allant jusqu’à le battre pour le faire avancer, et Jo, réduit à l’état de loque, se laisse faire.
Chez Clouzot, les acteurs paient de leur personne
. Au-delà de sa dimension psychologique, Le Salaire de la peur comporte une critique sociale ; l’impérialisme et le capitalisme ne sont pas épargnés. On y voit les Américains qui ont colonisé un territoire d’Amérique latine, épuiser ses ressources naturelles tandis que les populations locales sont réduites à l’état de pauvreté. Les autochtones et les Européens qui vivent sur place ne trouvent pas de travail et sont réduits à l’oisiveté, tout en étant blâmés par ceux qui soutiennent que quand on veut travailler on peut. Clouzot nous montre bien un maçon italien besogneux, mais nous apprenons qu’il est condamné par la médecine, ses poumons ayant respiré trop de ciment. Le seul travail bien payé qui se présente à tous est de conduire les deux camions de nitroglycérine.
On ne peut être que fasciné par la mise en scène de Clouzot, surtout quand on sait que ce film, censé se passer en Amérique Latine, a été entièrement tourné en France. Les acteurs paient de leur personne. Chez Clouzot, ils sont même priés de ne pas simuler. Quand Vanel donne une gifle à un autre acteur, on peut être sûr qu’il lui donne une vraie claque. Lorsque le même Vanel se débat dans une grosse mare, avec du liquide jusqu’aux épaules, il n’est bien sûr pas doublé. D’où une certaine authenticité dans le film. Quant à Montand, il aura peut-être trouvé ici son meilleur rôle. Si dans Etoile sans lumière, tourné en 1945, il se montre encore hésitant, ici dans Le Salaire de la peur, sept ans plus tard, son jeu atteint sa pleine maturité. Montand se montre un acteur confirmé qui finit par tenir tête à Vanel. Le Salaire de la peur est un film qu’on ne peut se lasser de revoir, notamment pour repérer, avec précision, le moment de bascule dans les rapports entre Vanel et Montand.
Le Salaire de la peur, d’Henri-Georges Clouzot (1952), avec Yves Montand, Charles Vanel et Véra Clouzot, DVD René Chateau Vidéo.
09:10 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : le salaire de la peur, clouzot, montand, vanel, véra clouzot | Lien permanent | Commentaires (0)
20/01/2014
La Peur, de Stefan Zweig
Histoire de la femme adultère
La Peur
Cette nouvelle, qui se lit presque d’une traite, est une œuvre de jeunesse de Stefan Zweig. A Vienne, l’épouse d’un grand avocat trompe son mari avec un pianiste. Un jour, elle est surprise par l’amie du musicien qui va se transformer en maître-chanteuse. La peur envahit la femme adultère.
La Peur est l’une des nombreuses nouvelles de Stefan Zweig. Elle est facile à lire et se dévore presque d’une traite. Comme d’habitude, l’auteur fait preuve d’une économie de moyens : il n’y a ni lourdeur ni longueur, la construction du récit étant très rigoureuse. Tout est concentré, ce qui donne à l’histoire toute son efficacité. La Peur a été écrite en 1913, c’est une œuvre de jeunesse de Zweig que l’on peut qualifier de balzacienne. L’auteur nous décrit avec minutie les ravages de la peur qui envahit une épouse infidèle, issue de la bonne société.
A Vienne, dans les années 1900, madame Irene Wagner, épouse d’un grand avocat, vit une aventure avec un pianiste de renom. Au sortir d’un rendez-vous avec son amant, elle est surprise par l’amie du musicien, une femme de basse extraction, qui l’accuse de lui avoir volé son homme. Aussitôt, madame Wagner ressent une montée d’adrénaline qui a pour effet d’imprimer le visage de cette femme-là dans son cerveau : « l’horreur de ce souvenir […] restait fiché dans son cerveau comme un hameçon ». Elle va être victime d’un chantage, sous la menace que sa liaison soit révélée à son mari. Elle sait bien qu’il ne faut jamais céder à un maître-chanteur, mais sous le coup de l’émotion elle perd ses moyens. La peur s’empare de tout son être, avec toute une série de symptômes qui l’accompagnent : nervosité, spasmes, émotions exacerbées, sommeil perturbé, mauvais rêves, crises d’hystérie…
Irene ne connait pas son mari
Madame Wagner ne sait quelle attitude adopter face à son mari. Elle aimerait lui avouer la vérité, lui dire qu’elle l’a trompé et qu’aujourd’hui une odieuse femme la fait chanter, mais elle n’ose pas franchir le pas. Son mari lui paraît plein de bonté et de sagesse. Elle se souvient qu’un soir il était rentré à la maison en déclarant « Aujourd’hui, on a condamné un innocent ». Et Zweig de poursuivre, comme si les idées de l’avocat reflétaient les siennes : « Un voleur venait d’être condamné pour un larcin commis trois ans auparavant, et à tort selon lui, car après trois années ce crime n’était plus le sien. On condamnait quelqu’un qui était devenu autre et on le punissait doublement car il avait passé trois ans dans la prison de sa propre peur, dans l’inquiétude permanente d’être découvert. » Le mari de madame Wagner est un homme d’une grande humanité dans sa vie professionnelle, mais montrera-t-il la même compassion face à une affaire d’adultère dans laquelle sa femme est coupable ? C’est alors que madame Wagner prend conscience qu’après huit ans de mariage et d’intimité partagée, elle ne connait pas vraiment son mari et se sent incapable de prévoir sa réaction.
Envahie par la peur, craignant de croiser sa maître-chanteuse dans la rue si elle met le nez dehors, madame Wagner décide de se cloître dans son appartement. Mais, faisant ainsi, privée de toute relation sociale, elle perd sa raison de vivre, car dans son milieu on n’existe que par rapport aux autres : « Irene appartenait à cette élégante bourgeoisie viennoise dont l’emploi du temps semble régi par un accord tacite qui fait que tous les membres de cette alliance invisible se retrouvent toujours aux mêmes heures à s’intéresser aux mêmes choses, au point que s’observer mutuellement et se rencontrer étaient peu à peu devenu le sens de leur existence. » Livrée à elle-même, rongée par la peur et confrontée au vide de son existence, madame Wagner se dirige vers la solution du suicide.
Les lecteurs de Zweig sont habitués à ce que ses histoires terminent mal, tant le pessimisme est présent dans son œuvre ; en sera-t-il de même cette fois ?
La Peur, de Stefan Zweig (1913), collections Rivages Poche / Petite Bibliothèque.
09:15 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XXe, XXIe siècles | Tags : la peur, zweig | Lien permanent | Commentaires (0)