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07/04/2014

Cet obscur objet du désir, de Luis Bunuel

Le récit surréaliste d’un envoûtement

Cet obscur objet du désir

Bunuel mêle l’insolite à l’absurde. Un homme distingué est subjugué par une jeune femme qui ne cesse de se dérober à lui. Le film peut dérouter les esprits cartésiens : deux actrices, Carole Bouquet et Angela Molina, se relaient d’une scène à l’autre dans le rôle de la jeune femme.

            Cet obscur objet du désir, de Luis Bunuel, est une adaptation du livre de Pierre Louÿs La Femme et le pantin. Ce film, comme tous ceux de Bunuel, est à déconseiller aux esprits cartésiens. Le cinéaste surréaliste mêle l’insolite à l’absurde dans cette histoire d’un homme envoûté par une jeune femme.

 cet obscur objet du désir,bunuel,fernando rey,carole bouquet,angela molina,julien bertheau,michel piccoli           Mathieu Faber est un homme élégant d’une soixantaine d’années. En séjour en Espagne, il s’apprête à regagner la France. Son valet le conduit à la gare de Séville où l’attend son train. Il s’installe dans son compartiment et, jetant un coup d’œil par la vitre, il aperçoit une jeune femme qui s’approche du quai. Il glisse un mot au contrôleur, le contrôleur lui rapporte un seau d’eau, et Mathieu en jette le contenu sur la jeune femme. Les voyageurs qui partagent son compartiment, un magistrat, un professeur de psychologie, une respectable mère de famille et sa petite fille, sont interloqués par ce geste insolite. Pour les rassurer, Mathieu leur fournit une explication : cette femme est la pire de la terre ; et il leur raconte son histoire.

            Mathieu a fait la rencontre de Conchita alors qu’elle servait comme bonne à son domicile, à Paris. Tout de suite il a le coup de foudre pour elle. Il lui fait des avances, mais elle disparaît aussitôt dans la nature. Plus tard, il la retrouve par hasard. Ils s’expliquent tous les deux. Il lui déclare sa flamme. Il la visite, en banlieue parisienne, dans le taudis qu’elle habite avec sa mère, veuve d’un officier espagnol. La vieille dame ne touche pas de pension et refuse de travailler. Elle a sa fierté. S’abaisser à travailler serait trop dégradant pour elle et sa fille. Mathieu leur laisse une enveloppe et demande en mariage Conchita. Encore une fois la jeune fille disparaît.

            Ce qui rend le film prenant, c’est de voir Mathieu sur le point de conquérir Conchita, puis de la voir glisser sous ses doigts, et cela à plusieurs reprises. A chaque fois qu’il croit qu’il va la posséder, elle trouve un prétexte pour se dérober à son désir. Lui, crédule, boit chacune de ses paroles sans comprendre qu’elle le fait tourner en bourrique. L’homme croit qu’il va posséder la femme, et finalement il se fait posséder.

Fernando Rey parle avec la voix de Piccoli

            Le film est admirablement interprété. Fernando Rey est empreint de distinction dans le rôle de Mathieu. Dans la version française, il parle avec la voix de Michel Piccoli. Fait singulier, qui peut être déroutant, deux actrices incarnent alternativement Conchita d’une séquence à l’autre. Quand Conchita se montre chaude et sensuelle, elle est jouée par Angela Molina ; et quand elle se montre froide et réfléchie, c’est Carole Bouquet qui apparaît à l’écran.

            Ce film eût pu n’être qu’une farce graveleuse. Or il n’en est rien. Tous les personnages sont de bonne famille et sont bien élevés. Dans son compartiment, quand Mathieu raconte son histoire aux autre voyageurs, il essaye de ne pas les choquer et s’abstient de toute crudité dans son récit ; il leur dit d’ailleurs : « Je crois avoir été très correct. » La jeune mère de famille préfèrera quand même faire sortir sa petite fille du compartiment. Les dialogues, coécrits par Bunuel et Jean-Claude Carrière, n’ont rien de vulgaire et sont littéraires. Le film a été tourné en 1977, en partie en Espagne, alors que le pays sortait du franquisme pour entrer dans la démocratie. On assiste à des attentats à la bombe tels qu’il y en eut dans les années 70. Cet obscur objet du désir est le dernier film de Bunuel, mort en 1983.

 

Cet obscur objet du désir, de Luis Bunuel (1977), avec Fernando Rey, Carole Bouquet, Angela Molina et Julien Bertheau, DVD StudioCanal.

31/03/2014

La Grande Illusion, de Jean Renoir

Von Stroheim superstar

La Grande Illusion

Jean Gabin est l’acteur principal du film de Jean Renoir. Mais Erich von Stroheim lui vole la vedette. Il est inoubliable dans le rôle du commandant von Rauffenstein, un officier de la vieille aristocratie prussienne. Son personnage tend à phagocyter un film qui fit impression sur les spectateurs à sa sortie en 1937, alors que l’Europe était à nouveau menacée par la guerre.

            Quand, en 1937, Jean Renoir entreprend le tournage de La Grande Illusion, il offre tout naturellement le premier rôle à Jean Gabin. Quelques mois plus tôt, l’acteur est devenu la vedette numéro un du cinéma français, suite à la sortie sur les écrans de Pépé le Moko. La Grande Illusion rassemble des souvenirs de Renoir liés à la première guerre mondiale. Le lieutenant Maréchal, joué par Jean Gabin, est un officier mécanicien sorti du rang. Il vole en compagnie du capitaine de Boeldieu quand leur avion est descendu par les Allemands. Boeldieu est indemne, mais Maréchal est blessé au bras. C’est le commandant von Raffaunstein qui les abattus. Rauffenstein un véritable chevalier du ciel qui combat ses adversaire à la loyale. Il présente au lieutenant Maréchal ses excuses pour la blessure, et prie ses deux prisonniers à déjeuner. Puis, Boeldieu et Maréchal sont emmenés en captivité. Quelques mois plus tard, ils sont transférés dans une forteresse dont le commandant n’est autre que Rauffenstein. Il invite Boeldieu à dîner et, entre aristocrates, noue une relation privilégiée avec lui.

 la grande illusion,renoir,gabin,dita parlo,pierre fresnay,von stroheim,carette,dalio           Ce film montre que la guerre favorise le brassage des classes sociales et, en même temps, il joue sur les oppositions entre les différents milieux. Le lieutenant Maréchal, donc Jean Gabin, est un peu rustre, il n’est pas très cultivé et son vocabulaire est limité. A l’opposé, le capitaine de Boeldieu a un langage recherché, il parle couramment l’anglais et a des gestes posés. L’aristocrate français est interprété par Pierre Fresnay, qui n’a pas besoin de beaucoup se forcer pour être suffisant.

            Mais, dans le film, Gabin et Fresnay se font voler la vedette par l’acteur qui interprète Rauffenstein : Erich von Stroheim. En pleine préparation du tournage, Renoir était en quête d’un acteur pour le personnage quand il apprit que von Stroheim, alors en France, serait intéressé par le rôle. Renoir vénérait von Stroheim qui avait été un grand réalisateur du cinéma muet. Mais, rejeté par Hollywood, il s’était résolu à quitter l’Amérique. Renoir lui confie le rôle, bien que le personnage occupe une place a priori réduite dans le scénario. Or, si von Stroheim est un grand metteur en scène, c’est d’abord un grand metteur en scène de lui-même. Il prend son rôle d’officier prussien très au sérieux et lui donne toute son ampleur. C’est lui qui a l’idée de porter une minerve qui confère la raideur qui sied au personnage. C’est encore lui qui a l’idée de rejeter son buste vers l’arrière dès qu’il boit un verre. La personnalité de Rauffenstein est tellement forte, ses gestes sont si bien étudiés, que von Stroheim finit par phagocyter le film. Voler la vedette à Gabin, il fallait le faire !

Roosevelt recommanda le film

            Pendant des décennies, la version qui fut diffusée était une version ramenée à une heure et demie, qui resserrait le film sur la relation Boeldieu-Rauffenstein. Rauffenstein donnait ainsi l’impression d’être le personnage central du film. Depuis quelques dizaines d’années, le film est présenté dans une version plus longue, de plus d’une heure quarante-cinq. Jean Gabin y prend plus de place. La séquence au cours de laquelle il trouve refuge dans une ferme est davantage développée. En compagnie de Dalio, dans le rôle d’un autre officier français, il est abrité par une jeune Allemande veuve de guerre, jouée par Dita Parlo. Dans son montage actuel, La Grande Illusion est plus conforme au projet que Renoir avait en tête. Mais, en contrepartie, le film souffre d’une baisse de rythme à partir du moment où Boeldieu et Rauffenstein disparaissent de l’histoire. Sans devenir inintéressant, le film perd de sa force et devient alors plus quelconque.

            Longtemps les critiques se sont demandé ce qu’il fallait entendre par la grande illusion. La version diffusée de nos jours permet de répondre à cette interrogation. A la fin du film, Gabin dit : « J’espère que c’est la dernière guerre » et Dalio lui répond : « Tu te fais vraiment des illusions ! »

            Il serait vain de multiplier les exégèses de ce film et d’y lire des messages que peut-être il ne contient pas. A sa sortie, en 1937, La Grand Illusion rencontra un succès mondial, alors que la menace de guerre ne cessait de monter. Le président Roosevelt déclara : « Toute personne qui croit en la démocratie devrait voir ce film ». Ce film aurait-il eu un si grand destin s’il n’avait bénéficié de la prestation de von Stroheim et s’il était sorti dans un autre contexte ? Poser la question, c’est déjà y répondre.

 

La Grande Illusion, de Jean Renoir (1937), avec Jean Gabin, Dita Parlo, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim, Carette et Dalio, DVD StudioCanal.

24/03/2014

Les Justes, d'Albert Camus

La justice au-dessus de tout ?

Les Justes

La pièce fut créée sur scène en 1949, avec Serge Reggiani, Maria Casarès et Michel Bouquet dans les rôles principaux. Camus s’est inspiré d’un fait réel : l’assassinat, en 1905, du grand-duc Serge. La pièce est vivante, les dialogues sont concis et les réflexions philosophiques ne sont pas pesantes du tout.

            Le grand-duc Serge doit mourir. Ainsi en a décidé le groupe de combat du parti socialiste révolutionnaire. Son exécution est destinée à hâter la libération du peuple russe. Ses déplacements sont maintenant connus. Les terroristes se réunissent pour établir un plan d’action. Le poète Kaliayev se porte volontaire pour lancer la bombe sur sa voiture du grand-duc. Kaliayev est épris de justice ; c’est un militant résolu de la cause, mais c’est aussi un humaniste. Or, le jour dit, il s’apprête à lancer son engin quand il s’aperçoit que le grand-duc est accompagné de ses deux jeunes neveux, qui ont pris place à ses côtés. Kaliayev hésite. Une cause aussi juste que celle de la révolution autorise-t-elle à tuer des enfants innocents ?

les justes,camus,jacques hébertot,maria casarès,reggiani,michel bouquet            Dans son introduction aux Justes, Albert Camus explique qu’il s’est inspiré d’un fait réel : l’assassinat, en 1905, du grand-duc Serge, oncle du tsar Nicolas II. Les situations sont historiques. Camus a même conservé au héros son véritable nom, Kaliayev. Si, bien sûr, il est préférable de voir les pièces de théâtre sur scène avec des acteurs en chair et en os, les pièces étant faites pour être jouées, il faut cependant reconnaître que Les Justes se lit très facilement. La pièce est vivante, les dialogues sont concis, les réflexions philosophiques ne sont pas pesantes et, comme dans un film d’action, nous vivons l’attentat « en direct ».

            Camus glisse dans la bouche des personnages des réflexions récurrentes dans son œuvre. La justice est-elle au dessus-de tout ? Ou encore, y a-t-il quelque chose qui puisse justifier la mort d’un enfant innocent ? Si Kalayev hésite, en revanche son camarade Stepan, lui, a la réponse : oui, les deux neveux du grand-duc doivent mourir. Peut-être sont-ils innocents. Mais renoncer, du fait d’une sensiblerie hors de propos, retardera la libération du peuple russe. Et, pendant tout ce temps perdu, des milliers d’enfants mourront de faim. Or, selon Stepan, « la mort par la bombe est un enchantement à côté de cette mort-là ». Qu’importe que les justiciers soient des assassins, seul le résultat compte ; la mort du grand-duc est un acte de justice.

            Les Justes fut créée en 1949, avec le jeune Serge Reggiani dans le rôle d’un Kalliayev tourmenté. La fragile Maria Casarès jouait Dora, terroriste plus âgée que ses camarades, riche de son expérience. Sa réflexion lui fait dire : si la révolution tolère que des enfants soient broyés par des bombes, alors l’humanité entière haïra la révolution.

            Quant à Michel Bouquet, alors âgé de vingt-quatre ans, on l’imagine aisément dans le rôle de Stepan, terroriste froid et déterminé, qui ne va pas se laisser attendrir par la mort de deux enfants, fussent-ils innocents. Le même Michel Bouquet jouera un rôle analogue dans Katia,de Robert Siodmak (film à la mauvaise réputation injustifiée). Là encore, il interprètera un terroriste implacable appartenant à une organisation qui prononce la condamnation à mort du tsar Alexandre II.

 

Les Justes, d’Albert Camus (1949), pièce créée, sur une mise en scène de Jacques Hébertot, par Maria Casarès, Serge Reggiani et Michel Bouquet, collection Folio.