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11/05/2015

Violence et passion, de Visconti

Histoire du vieil homme qui s’éveilla à la vie

Violence et passion

Sous la direction de Visconti, Burt Lancaster est plein de dignité et de grandeur dans le rôle d’un professeur issu d’une vieille famille de l’aristocratie italienne. Il vit seul dans son palais, entouré de ses livres et de ses tableaux. Alors qu’il aime la tranquillité, il accepte des locataires bruyants et grossiers, qui bouleversent ses habitudes.

            Violence et passion est l’avant-dernier film de Visconti. Le réalisateur était déjà malade quand il entreprit le tournage de cette œuvre aux allures de testament. Dix ans après Le Guépard, il retrouvait Burt Lancaster qui incarne à nouveau un aristocrate italien. Le nom de son personnage n’est jamais mentionné, il est uniquement désigné sous le titre de professeur. Il est le dernier rejeton d’une des plus vieilles familles d’Italie et vit seul dans son palais, ou plus précisément dans l’appartement qu’il s’est réservé à l’intérieur de son palais. Il a pour compagnons ses livres, ses tableaux et sa bonne. Cette vie en solitaire lui donne pleine satisfaction, tant il aime le silence. Même les pas de sa bonne le déconcentrent dans son travail.

      Violence et passion, Visconti,  Burt Lancaster, Silvana Mangano,Helmut Berger      Un jour, il reçoit la visite de la marquise Brumonti, qui demande à louer l’appartement au-dessus du sien. Ne voulant pas perdre sa tranquillité, le professeur refuse. Mais la marquise insiste, et, à force de persuasion et d’habileté, elle finit par lui arracher son consentement. Elle prend possession des lieux en compagnie de sa fille unique et de l’ami de cette dernière. En réalité, elle destine l’appartement à son jeune amant. La marquise entretient un gigolo, Conrad, qui a quinze ans de moins qu’elle.

            La cohabitation s’avère difficile entre le professeur et ses voisins du dessus. Ils sont bruyants et grossiers, alors que le professeur est posé et discret. Il doit supporter leurs disputes, d’autant plus que la marquise et Conrad entretiennent des relations orageuses. Le professeur, qui voit son quotidien bouleversé, veut mettre à la porte ses locataires. Mais Conrad finit par attirer son attention. Malgré son manque évident de savoir-vivre, le jeune homme montre un réel intérêt pour la musique et la peinture. Les commentaires qu’il fait en découvrant la collection du professeur sont pleins de pertinence.

            Le professeur se prend d’affection pour Conrad, avec qui il développe une relation quasi-filiale. Parallèlement, il s’adapte aux habitudes de ses voisins. Alors que le professeur n’avait jusqu’ici aucune interaction avec le monde extérieur, ses locataires, eux, sont en perpétuelle interaction. Ils vivent leur vie intensément, quitte à avoir entre eux des relations passionnelles. En dépit de leur style de vie très différent, ils deviennent peu à peu sa famille d’adoption.

            Sur le tard, le professeur s’éveille à la vie, comme s’il était sorti d’un long sommeil. A force de se concentrer sur ses livres et ses études, il s’était isolé dans un monde abstrait et était passé à côté de l’essentiel, c’est-à-dire le monde qui l’entoure. Il apprend à vivre en interaction avec les autres et ainsi il découvre la vie, mais déjà la mort est au pas de sa porte.

            Tout le film se déroule dans le décor somptueux du palais du professeur. Comme au théâtre, Visconti respecte l’unité de lieu chère aux classiques. Burt Lancaster est plein de dignité et de grandeur dans le rôle du vieil homme. Sa rencontre avec Visconti lui aura permis de montrer qu’il était un acteur complet. Burt Lancaster l’enfant des rues de New-York, le joueur de base-ball, l’acrobate de cirque, donne vraiment  l’impression d’être né dans une vieille famille de l’aristocratie italienne. Quant à Conrad, il est interprété par Helmut Berger, qui, deux ans plus tôt, avait incarné Louis II de Bavière dans Ludwig ou le crépuscule des dieux, du même Visconti.

 

Violence et passion, de Luchino Visconti, 1974, avec Burt Lancaster, Silvana Mangano et Helmut Berger, DVD Gaumont.

04/05/2015

Les Clés de saint Pierre, de Roger Peyrefitte

Un écrivain à la réputation sulfureuse s’attaque au Vatican

Les Clés de saint Pierre

En 1954, Les Clés de saint Pierre choqua de nombreux catholiques. Dans ce livre au ton très caustique, Roger Peyrefitte s’attaque au Vatican et à la papauté. Il ironise sur la simplicité de Pie XII et sur ce qu’il appelle son agoraphilie. Plus profondément, l’auteur dénonce l’inflation du nombre de canonisations et s’interroge sur certaines pratiques de l’Eglise.

            Roger Peyrefitte fut un écrivain à la réputation sulfureuse. Se rappelant ses années d’étude passées dans des collèges religieux, il en tira un roman, Les Amitiés particulières, publié en 1945. Le livre obtint le prix Renaudot, mais de nombreux lecteurs furent choqués en découvrant les mœurs exposées par l’auteur. En 1954, sous le pontificat de Pie XII, Roger Peyrefitte publia Les Clés de saint Pierre et déclencha à nouveau le scandale, en s’attaquant directement au Vatican. Dans ce livre au ton caustique, l’auteur ne respecte rien de la papauté. Ce n’est pas tant le dogme que l’institution en tant que telle qui est sa cible. Peyrefitte est un érudit, il connait son sujet, et seuls des spécialistes pourraient le prendre en faute. Il a aussi fait appel à son expérience de diplomate pour construire ce livre d’autant plus féroce et dévastateur qu’il est écrit dans une langue élégante. Le style de Peyrefitte, un peu ampoulé, paraît en harmonie avec la pompe vaticane.

les clés de saint pierre,roger peyrefitte,vatican            L’intrigue n’a pas grande importance, elle est squelettique et tient en quelques lignes. L’abbé Victor Mas, jeune séminariste du diocèse de Versailles, arrive à Rome pour devenir secrétaire adjoint du cardinal Belloro, préfet de la congrégation des Rites. Au fil du livre, le cardinal Belloro, personnalité anticonformiste, fait découvrir au jeune abbé les arcanes du Vatican. L’essentiel du livre est construit autour des conversations qu’ont les deux hommes. Le lecteur s’identifie à l’abbé Mas et finit par comprendre que, par la bouche du cardinal Belloro, c’est en fait Peyrefitte qui s’exprime.

            Tel un Luther du XXe siècle, Peyrefitte s’attaque aux indulgences sur lesquelles il ironise abondamment. Il consacre aussi de longs passages aux canonisations. Le cardinal Belloro dénonce la récente inflation du nombre de saints et va jusqu’à parler de tromperie. Pour se faire comprendre, il remonte au XIVe siècle : « Boniface VIII n’effectua qu’une seule canonisation et il a régné neuf ans. On trouvait fabuleux au XVIIIe siècle que Benoît XIII eut fait neuf saints. Pie XI a battu tous les records avec vingt-sept saints et quarante et un bienheureux. Pie XII nous a donné à ce jour trente-cinq des uns et dix-huit des autres. » Le cardinal Belloro poursuit en ironisant sur les congrégations, notamment de religieuses, qui se battent pour obtenir la canonisation de leur fondateur. Il poursuit sa démonstration en prenant l’exemple du vénérable Jean-Marie Lamenais, fondateur des frères de Ploërmel. Il ne discute pas ses qualités, mais déplore qu’à côté l’Eglise n’ait pas su garder dans son sein Félicité de Lamenais, frère du précédent, qui a été l’un des plus grands esprits du XIXe siècle et qui est mort hors de l’Eglise. Belloro regrette ce qu’il appelle « les belles canonisations perdues » et raille les papes du XXe siècle qui ont la volonté de canoniser leurs prédécesseurs. A la publication du livre, Pie X vient d’être canonisé et, selon le cardinal, « canoniser Pie X, c’est faire rentrer les papes dans la course aux canonisations, d’où l’on avait jugé décent de les retirer depuis le XVIe siècle. »

Le cardinal Belloro n’aime pas les messes en plein air

            La simplicité de style que Pie XII s’impose et impose à l’Eglise, aux cardinaux et aux évêques, ne trouve pas non plus grâce aux yeux de Belloro : « [Le pape] a interdit aux évêques de porter les titres de noblesse liés à leurs évêchés, mais il n’interdit pas à ses neveux de porter le titre de prince qu’il leur a fait donner par la monarchie. »

            Belloro n’aime pas non plus la célébration des messes en plein air développé par Pie XII. Plutôt que de célébrer les canonisations entre les murs de Saint-Pierre, le pape préfère officier hors-les-murs, dans le cadre profane de la place publique, devant les portes de la basilique. Peyrefitte écrit : « L’abbé comprenait que le cardinal eût été loin d’approuver l’agoraphilie de Pie XII. […] Le souverain pontife semblait croire à la vertu du plein air. Peut-être avait-il voulu copier les communistes […]. Peut-être avait-il voulu copier les apothéoses de la Rome antique. »

            L’un des passages les plus caustiques du livre correspond à la visite que fait l’abbé Mas à un chanoine français du révérendissime chapitre de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Le chanoine, chevalier de la Légion d’honneur, est très fier de sa décoration ; son mérite est d’avoir renoué avec l’usage, remontant à Henri IV, qui fait des rois de France les protecteurs du Latran. Aussi le chanoine a-t-il obtenu que ses collègues nomment « à l’unanimité M. le président Auriol chanoine honoraire du Latran comme successeur des rois de France », le titre étant, au moment de la publication du livre, porté par le président Coty. Cette disposition en faveur des présidents de la République française fait ricaner Mgr Pimprenelle, correspondant du journal La Croix. Selon lui, avoir renoué avec cette tradition tient de la mascarade, les présidents de la République n’ayant rien de commun avec les rois : « Les rois de France étaient considérés comme chanoine honoraire du Latran et d’autres lieux, parce que l’onction du sacre était censée les faire sous-diacres. Aussi chantaient-ils l’épître en tunique, quand ils venaient à Rome, mais je n’imagine pas MM. Auriol et Coty chantant l’épître en tunique à Saint-Jean-de-Latran. »

            Un chapitre entier du livre est constitué du compte-rendu d’une réunion tenue au Vatican, relative au saint prépuce, qui aurait été conservé après la circoncision du Christ. Selon l’auteur, la séance particulière de la suprême sacrée congrégation du saint office eut lieu le samedi 15 mai 1954. Dans sa conclusion, elle prévoit la peine d’excommunication contre quiconque écrirait et parlerait du saint prépuce. Mais cela n’empêche pas Peyrefitte de publier l’intégralité du procès-verbal de cette réunion. L’illusion est telle, que le lecteur est bien en peine de déterminer si le document est authentique.

            Aujourd’hui Les Clés de saint Pierre est tombé dans l’oubli et son auteur demeure dans une espèce de purgatoire littéraire. Etant antérieur au concile Vatican II, le livre peut donner l’impression d’avoir vieilli ; pourtant il est encore en mesure de choquer bien des catholiques, comme s’il n’avait pas tout perdu de son caractère corrosif, et comme s’il gardait une certaine actualité.

 

Les Clés de saint Pierre, de Roger Peyrefitte, 1954, Le Livre de Poche (épuisé).

27/04/2015

French Cancan, de Renoir

Gabin-Danglar fonde le Moulin-Rouge

French Cancan

Le personnage de Danglar, interprété par Jean Gabin, fonde le Moulin-Rouge et rend célèbre le french cancan. La reconstitution du Montmartre de la fin du XIXe siècle est très réussie. Certaines scènes, directement inspirées de toiles d’Auguste Renoir, font de French Cancan un hommage rendu par Jean Renoir à son père.

            Le cancan, nous dit le dictionnaire, est une danse tapageuse et excentrique, qui avait été en vogue dans les bals populaires vers 1840. Près de cinquante ans plus tard, en 1889, les repreneurs de l’ancien Bal de la Reine-Blanche, boulevard de Clichy, décidèrent d’y fonder un nouvel établissement ; ils lui donnèrent le nom de Bal du Moulin-Rouge. A la recherche d’une nouvelle attraction qui puisse séduire la clientèle, ils choisirent de ressortir de l’oubli le cancan, qu’ils rebaptisèrent le french cancan dans l’espoir de retenir l’attention de la clientèle anglo-saxonne.

         french cancan,renoir,gabin,maria felix,françoise arnoul,gianni esposito,philippe clay   Jean Renoir s’est souvenu de cette histoire pour écrire son film. Cependant, comme il s’agit d’une fiction, il a modifié l’identité du fondateur du Moulin-Rouge, auquel il a donné le patronyme de Danglar. Pour jouer le rôle, il s’adressa d’abord à Charles Boyer, mais, suite à son désistement, il se rabattit sur Gabin. Le choix de Gabin fut donc, pour Renoir, un choix par défaut. Pourtant les deux hommes se connaissaient bien pour avoir travaillé ensemble dans les années trente. Leur collaboration avait donné des films aussi marquants que La Grande Illusion et La Bête humaine. Mais, pendant la guerre, leurs routes avaient divergé ; Gabin s’était engagé dans les Forces françaises libres et avait combattu courageusement, tandis que Renoir avait poursuivi, à Hollywood, sa carrière de réalisateur. De plus, la paix revenue, Gabin n’était plus la vedette qu’il avait été avant la guerre et son nom, sur une affiche, n’était plus la garantie d’un succès auprès du public. En 1954, French Cancan marque les retrouvailles de Renoir et de Gabin.

            Dans le film, Danglar est un entrepreneur de spectacles très endetté, il est constamment menacé de saisie, par les huissiers ; il escompte que son projet de french cancan au Moulin-Rouge le relancera. A cinquante ans passés, avec ses cheveux argentés, il demeure un grand séducteur qui plaît aux femmes. Il repère une jeune blanchisseuse, Nini, jouée par Françoise Arnoul. Il trouve sa bouille pleine de fraicheur et, au vu de sa souplesse, il décide d’en faire la vedette du french cancan. Nini devient sa maîtresse. Assez naïve, elle croit être la partenaire exclusive de son employeur ; elle ne comprend pas que Danglar, homme à femmes, est l’homme d’une seule fidélité, celle qui le lie au Moulin-Rouge.

            Le film, tourné en Technicolor, est beau à regarder. Alexandre Trauner, le plus célèbre décorateur de l’histoire du cinéma, a parfaitement réussi la reconstitution du Montmartre de la fin du XIXe siècle, de la même manière que, dix ans plus tôt, il avait recréé le boulevard du Crime pour Les Enfants du paradis. L’illusion est parfaite. Certaines scènes sont directement inspirées des œuvres du peintre Auguste Renoir. D’une certaine manière, French Cancan est l’hommage d’un fils à son père, comme si Jean avait voulu mettre en mouvement les toiles d’Auguste.

            Le film est aussi agréable à écouter. La musique a été écrite par Georges van Parys, compositeur réputé pour la qualité de ses mélodies. Le soir de l’ouverture du Moulin-Rouge, Cora Vaucaire interprète La Complainte de la Butte, pastiche de chanson réaliste, dont Jean Renoir a écrit les paroles.

            Dans l’interprétation, le contraste est bien rendu entre les gens du peuple gouailleurs, notamment les danseuses, et les bourgeois à haut-de-forme très maniérés. Le film permit à Philippe Clay de faire ses débuts. Il interprète un huissier de justice, qui se révèle sur scène, en se transformant en homme caoutchouc.

            A la fin du film, le rythme effréné des danses produit une gaieté presque contagieuse et fait tourner la tête.

 

French Cancan, de Jean Renoir, 1954, avec Jean Gabin, Maria Felix, Françoise Arnoul, Gianni Esposito et Philippe Clay, DVD René Chateau et Gaumont.