20/07/2015
Le Cid, d'Anthony Mann
Film puissant et épique
Le Cid
Le Cid est un film à grand spectacle qui peut être vu par tous les publics. Anthony Man donne du souffle à sa réalisation et dirige un Charlon Heston tourmenté dans le rôle du Cid. Le film propose aussi une réflexion sur le pouvoir et les luttes qu’il entraîne.
A la fin des années quarante, Anthony Mann s’était fait remarquer par les films noirs qu’il avait réalisés. Dans les années 50, il se fit un nom dans le western en tournant une série de films ayant James Stewart pour vedette. Le succès fut au rendez-vous et cela contribua à remettre sur selle Stewart dont la carrière piétinait depuis la fin de la guerre. De nos jours, certains spécialistes placent très haut les films réalisés par Anthony Mann pendant toutes ces années. Clint Eastwood, pour sa part, aime à dire que si Anthony Mann n’était pas mort prématurément en 1966, il lui aurait demandé de le diriger dans L’Inspecteur Harry.
Au début des années soixante, le producteur Samuel Bronston se lança dans la mise en chantier de grandes fresques historiques destinées à rivaliser avec la télévision. Il fit appel à Anthony Mann pour réaliser un film sur le Cid. Aujourd’hui encore, certains de ceux qui louent les films noirs et les westerns d’Anthony Mann estiment qu’il s’est fourvoyé en acceptant de se lancer dans une telle superproduction qui n’ajoute rien à sa gloire. On peut ne pas partager ce point de vue. Le résultat ne manque pas d’ampleur, Anthony Mann montre qu’il est capable de diriger des milliers de figurants dans de grandes scènes de bataille. ; il utilise intelligemment le cinémascope et surtout il donne du souffle à son film et fait de la vie du Cid une véritable épopée.
Le Cid a vraiment existé. Rodrigo Diaz de Vivar, dit le Cid, est né en 1043 et est mort en 1099, à Valence. Dès les premières minutes du film, le Cid apparaît comme un héros déchiré. Pour venger l’honneur de son père, il se bat en duel avec l’homme qui l’a bafoué. Bien que son adversaire soit le père de sa fiancée Chimène, donc son futur beau-père, il va jusqu’à le tuer. Il prend le risque de perdre l’amour de Chimène pour sauver l’honneur de son père.
Après sa victoire contre des Maures, au lieu d’exterminer ses prisonniers, le Cid les épargne, mais ne sait dire pourquoi. Ce n’est pas un surhomme, c’est un personnage traversé par le doute, mais son doute n’est pas stérile, il débouche sur l’action. Le Cid met son épée au service du roi pour la libération du territoire. Il place l’intérêt de l’Espagne au-dessus de tout. Non sans difficulté, il va jusqu’à sacrifier son bonheur personnel à la cause qu’il sert. Dans le film, il est beaucoup question de la parole donnée. Ainsi le Cid est fidèle à son serment, il se bat pour le roi qu’il a juré de servir, quels que soient ses sentiments personnels à l’égard de son souverain.
Le film aurait pu se résumer à un conflit de civilisation opposant chrétiens et musulmans. Mais la situation n’est pas aussi simple que cela. Les chrétiens eux-mêmes sont désunis. La Castille et l’Aragon se font la guerre, et deux frères se disputent la triple couronne de Castille. Pour sa part, le Cid ose se tourner vers des sarrasins d’Espagne et s’allient avec eux pour lutter contre l’émir Ben Youssouf, venu d’Afrique du nord. Une scène du film montre des soldats chrétiens fraternisant avec des soldats musulmans.
Le courage ne suffit pas à faire un roi.
Encore faut-il savoir écouter et faire preuve de tempérance,
de constance et de volonté
Tout en étant un spectacle destiné au grand public, Le Cid est aussi une réflexion passionnante sur le pouvoir. Le jeune roi d’Aragon commet erreurs sur erreurs. Il ne supporte pas que les faits donnent raison au Cid, qui s’opposait à sa vision des choses. Mais, plutôt que de faire amende honorable, le roi fait du Cid le bouc-émissaire de ses propres errements. D’une certaine manière, on peut y voir une illustration de la théorie du bouc-émissaire, telle que l’a développée René Girard. Jaloux du Cid, le jeune roi va jusqu’à s’automutiler, afin de convaincre chacun de son courage. Mais le film nous enseigne que le courage ne suffit pas pour faire un roi. Encore faut-il savoir écouter, faire preuve de tempérance, de constance et de volonté.
La scène d’automutilation et le personnage du jeune souverain psychologiquement instable, qui figurent dans Le Cid, seront repris, deux ans plus tard, par Anthony Mann dans son film La Chute de l’Empire romain, qui prolonge sa réflexion sur le pouvoir et les luttes qu’il entraîne.
Contrairement aux apparences, Le Cid ne se réduit pas à une accumulation de péripéties et de scènes de batailles, aussi réussies soient-elles. C’est une œuvre ambitieuse et puissante. Le personnage du Cid est interprété par Charlton Heston. Malgré sa carrure impressionnante et la série de victoire qu’il emporte, il ne cesse d’être tourmenté. Quant à Chimène, jouée par Sophia Loren, elle finira par faire passer l’Espagne avant son amour pour le Cid. Le film est indissociable de la musique de Miklos Rozsa, qui lui donne un souffle supplémentaire.
Le final du film est inoubliable. Il fait entrer le héros dans la légende. Alors que Valence est assiégée par les Maures, son ultime sortie achève de faire du Cid un héros messianique.
Le Cid, d’Anthony Mann, 1961, avec Charlton Heston, Sophia Loren, Raf Vallone et Geneviève Page, DVD Filmedia Opening.
07:30 Publié dans Film, Fresque historique, péplum, film en costumes, Histoire | Tags : le cid, anthony mann, charlton heston, sophia loren, raf vallone, geneviève page | Lien permanent | Commentaires (0)
06/07/2015
Le Voyage de Monsieur Perrichon, de Labiche
Le triomphe du bourgeois ridicule
Le Voyage de Monsieur Perrichon
Le Voyage de Monsieur Perrichon est la pièce la plus connue d’Eugène Labiche. C’est une farce féroce qui met en scène un bourgeois ridicule, monsieur Perrichon, qui est à Labiche ce que monsieur Jourdain fut à Molière. La pièce est drôle, enlevée et remplie de quiproquos, si bien que sa lecture, ou sa relecture, est un vrai régal.
Monsieur Perrichon est un bourgeois parvenu, devenu rentier après avoir fait fortune comme carrossier. Il part en voyage en compagnie de sa femme et de sa fille. Ils se rendent, par chemin de fer, en Savoie. Au cours de leur séjour, ils ont l’intention de visiter la Mer de Glace. Arrivés là-bas, ils croisent deux jeunes gens de leur connaissance, Armand Desroches et Daniel Savary, qui sont en compétition pour obtenir la main de mademoiselle Perrichon. La jeune fille n’a donné la préférence à aucun des deux ; très soumise, elle a décidé de s’en remettre à ses parents, attendu que leur choix sera le bon. Lors de la visite de la Mer de Glace, Armand Desroches sauve la vie de M. Perrichon, qui, sans sa présence d’esprit, serait tombé dans un précipice. Le jeune homme croit avoir gagné la partie, mais au lieu de lui témoigner de la reconnaissance, Perrichon est agacé d’être son obligé, d’autant plus que sa femme et sa fille lui rappellent sans cesse ce fait. Lui, relativise en disant : « Il m’a sauvé ! Toujours le même refrain ! ». Atteint dans sa vanité, Perrichon prend en grippe Armand Desroches.
De son côté, Daniel Leroy fait mieux. Plutôt que de sauver la vie de M. Perrichon, c’est M. Perrichon qui lui sauve la vie. Perrichon savoure son acte de bravoure et se répète à l’oreille : « J’ai sauvé un homme ! » Content de lui, il déclare à Daniel Savary : « Vous me devez tout ! Je ne l’oublierai jamais. » Pas dupe, sa femme dit à Perrichon : « Ca flatte ta vanité. »
Perrichon est un personnage hautement ridicule. Pédant, il est friand d’envolées lyriques. Sa fille lui sert de secrétaire pour noter ses impressions de voyage. A l’auberge, sur le livre des voyageurs il écrit cette sentence, faute d’orthographe comprise : « Que l’homme est petit quand on le contemple du haut de la mère de glace. » Perrichon est vaniteux, fanfaron, mais aussi imprudent et pleutre ; c’est une espèce d’Achille Talon du XIXe siècle.
Par comparaison, les deux jeunes gens paraissent plus fades. Ils sont dans les affaires, mais ni l’un ni l’autre ne sont débordés de travail. Ils s’accordent volontiers un congé, à condition d’être rentrés à Paris pour toucher leur dividende.
Malgré tous ses défauts,
Perrichon est un être attachant
La pièce est une peinture de la bourgeoisie triomphante, qui s’épanouit sous le Second Empire. 1860, année de la création de la pièce, voit le rattachement de la Savoie à la France. Napoléon III est à son apogée, la France est enfin entrée, avec retard, dans la Révolution industrielle, et ses paysages se transforment avec la construction d’un vaste réseau de chemin de fer. La bourgeoisie doit beaucoup à l’empereur qui garantit l’ordre et la prospérité. On pourrait croire qu’elle lui restera fidèle, mais cela n’est qu’une illusion. Il ne faut pas oublier que Perrichon, archétype du bourgeois du Second Empire, est un pleutre capable de retourner sa veste au gré des événements.
Malgré tous ses défauts, M. Perrichon est un personnage attachant. Ce n’est pas un mauvais bougre et il a un bon fond. Ses mésaventures sont l’occasion de tirer un certain nombre de leçons de vie. Alors qu’Armand Desroches ne parvient pas à comprendre pourquoi après avoir sauvé la vie de Perrichon, ce dernier fait preuve d’ingratitude à son égard, son rival Daniel Savary lui explique doctement ceci : il faut savoir se cacher, se masquer pour rendre service à son semblable, de façon à ce qu’il n’ait pas à supporter la charge écrasante de la reconnaissance ; il vaut mieux flatter sa vanité, comme l’a fait Daniel, qui conclut : « Les hommes ne s’attachent point en raison des services que nous leur rendons, mais en raison de ceux qu’ils nous rendent. » Cette conclusion est toute provisoire, car la pièce réserve encore des rebondissements.
Le Voyage de Monsieur Perrichon, de Labiche, 1860, collections Classique Larousse, Folio et Librio.
07:30 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre) | Tags : le voyage de monsieur perrichon, labiche | Lien permanent | Commentaires (0)
29/06/2015
Potiche, de François Ozon
Comédie sur l’avènement de la société matriarcale
Potiche
Dans Potiche, François Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. On peut ne pas partager ses idées, mais force est de constater qu’il a du style et qu’il sait diriger ses acteurs : Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini… Potiche est l’adaptation d’une pièce qui fit les beaux jours de l’émission Au théâtre ce soir.
Printemps 1977, Valéry Giscard d’Estaing est président de la République. La France est entrée dans la crise économique, suite au choc pétrolier de 1973. Le chômage de masse commence à faire parler de lui, mais l’ennemi à terrasser est l’inflation à deux chiffres. Pour la juguler, Raymond Barre, Premier ministre, décide le blocage des prix.
Dans une petite ville de province, Robert Pujol dirige une usine de parapluies employant trois-cents salariés. Une grève sans préavis éclate. Les ouvriers réclament notamment le treizième mois et la cinquième semaine de congés payés. Pujol refuse. Lors d’un échange un peu vif, il moleste un ouvrier. En guise de représailles, les grévistes le séquestrent dans son bureau. Informée de la situation, sa femme Suzanne cherche à le faire libérer ; elle s’adresse à Maurice Babin, député-maire communiste de la ville, et lui demande sa médiation. Babin, qui n’a rien à refuser à Suzanne, obtient la libération de son mari. Le mouvement prend fin. Affaibli par l’épreuve qu’il a subie, Robert Pujol est victime d’une attaque cardiaque. Pendant son indisponibilité, qui va diriger l’usine ? Son fils Laurent refusant d’assurer l’intérim, Pujol se rabat sur sa femme, afin que l’affaire reste aux mains de la famille.
Potiche est l’adaptation cinématographique d’une pièce qui fit les beaux jours de la fameuse émission Au théâtre ce soir. Le film vaut d’abord pour son esthétique ; Ozon a su recréer le cadre des années soixante-dix. Les cheveux sont longs, les pantalons ont des pattes d’éléphant, les survêtements ont des bandes sur le côté, et les canapés affichent un orange criard. Ozon a aussi utilisé le split screen, procédé très à la mode à l’époque ; il consiste à diviser l’écran en deux, ce qui permet de suivre deux actions simultanées.
Le décor de l’usine n’a guère changé depuis la fin du XIXe siècle, la maison du propriétaire jouxte l’usine et l’affaire reste familiale. Les ouvriers font grève, non pour sauvegarder des emplois qui ne sont pas menacés, mais pour obtenir des avantages sociaux supplémentaires. Dans ces années d’après 1968, ils demeurent très politisés et dénoncent la « gestion réactionnaire » de Pujol. Le PCF reste puissant et garde de l’influence sur les ouvriers en grève. Mais les temps changent, ainsi le fils Pujol déclare : « Le Paternalisme c’est fini. Maintenant il faut se conduire en sauvage. »
Avec Suzanne Pujol à la tête de l’usine,
ce sont les femmes qui prennent le pouvoir
Plus encore que l’évolution des rapports sociaux entre employeur et salariés, c’est l’évolution du statut de la femme qui retient l’attention d’Ozon. Au début du film, Suzanne Pujol est réduite au rôle de potiche. Bien qu’elle tienne l’usine de ses parents, c’est son mari qui la dirige. Robert Pujol se conduit en véritable autocrate, il demande à sa femme de se contenter de partager son avis et de se cantonner aux petits poèmes qu’elle se plaît à rédiger. Elle reste à la maison où elle est reine de l’électroménager. L’après-midi, elle est devant la télévision pour regarder Aujourd’hui madame, sur Antenne 2. Mais, là aussi, les choses sont en train de bouger. La fille Pujol rêve de devenir indépendante, elle envisage de divorcer et parle de venir travailler à l’usine.
Quand Suzanne Pujol, secondée par sa fille, prend la direction de l’usine, c’est un complet bouleversement qui se produit. Les femmes prennent le pouvoir tandis que les hommes sont relégués. Le fils consent à donner un coup de main à sa mère, mais à condition de s’occuper exclusivement du design des parapluies, car il est plus intéressé par les beaux-arts que par les affaires. Quant à Maurice Babin, il doit affronter la candidature de Suzanne Pujol aux prochaines élections. Comme beaucoup de dirigeants communistes de sa génération, il dit soutenir la cause des femmes, mais reste quelque peu vieux jeu.
Visiblement, Ozon se plaît à annoncer l’avènement d’une société matriarcale. Ainsi Suzanne Pujol, une fois élue, annonce à ses concitoyens qu’elle sera leur maman. On peut ne pas partager les idées d’Ozon, on peut ne pas aimer ce film, mais assurément on ne peut contester l’existence d’un style cinématographique propre à Ozon. Comme toujours chez lui, la direction d’acteurs est excellente et la bande-son est très claire. Catherine Deneuve incarne la potiche qui finit par jouer un rôle de premier plan. Fabrice Luchini, en Robert Pujol, dirige avec cynisme son usine. Et Gérard Depardieu, en Maurice Babin, fait penser aux élus communistes de l’époque, qui, pour la plupart, avaient été ouvriers dans leur jeunesse. Ozon aime les acteurs et les met au centre de son œuvre. Il aime aussi à les faire chanter. Ainsi Catherine Deneuve entonne C’est beau la vie, de Jean Ferrat. La seule bizarrerie demeure dans les anachronismes glissés par Ozon dans son film : Luchini a des paroles telles que « Il faudra travailler plus pour gagner plus » et la fille Pujol évoque la perspective d’une délocalisation, alors que le mot n’existait pas en 1977.
Potiche, de François Ozon, 2009, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Fabrice Luchini, Karin Viard, Judith Godrèche et Jérémie Renier, DVD France Télévision Distribution.
07:30 Publié dans Comédie, Film | Tags : potiche, ozon, deneuve, depardieu, karin viard, judith godrèche, jérémie renier, luchini | Lien permanent | Commentaires (0)