Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/02/2014

Clemenceau, de Michel Winock

Le destin extraordinaire d’un révolutionnaire patriote

Clemenceau

Le récit de Michel Winock est vivant et facile à lire. Jeune homme, Clemenceau fut emprisonné par le Second Empire ; à l’âge mûr, il fut un député d’extrême gauche tombeur de ministères ; vieillard il devint le père La Victoire. Non seulement Winock nous raconte la vie de Clemenceau, mais en plus il nous replonge dans l’histoire de la IIIème République et nous montre qu’il y avait jadis une gauche républicaine et patriote.

            Georges Clemenceau est vendéen, mais un Vendéen « bleu », d’une famille républicaine. Son père est médecin, mais, vivant de ses rentes, n’a quasiment jamais exercé. Georges plaisantait là-dessus, disant « Heureusement qu’il n’a jamais eu un seul malade – il le tuait net ! » Le fils marche sur les traces du père en faisant des études de médecine. Il soutient sa thèse de doctorat en 1865 ; il dira plus tard de sa thèse « Oh ! ça n’a aucun intérêt. C’est une compilation. » Mais déjà la politique le passionne. Il s’oppose au Second Empire et à la domination de l’Eglise catholique. Etudiant, avec des camarades il prend l’engagement écrit de ne jamais recevoir de sacrement : « Pas de prêtre à la naissance ! Pas de prêtre au mariage ! Pas de prêtre à la mort ! » Fils de son siècle et du positivisme, Clemenceau restera toujours fidèle à l’athéisme de sa jeunesse.

 clemenceau,michel winock           Le Second Empire l’emprisonne à Mazas et, à se libération, Clemenceau s’exile aux Etats-Unis. Il y reste de 1865 à 1869. De fait, Clemenceau sera l’un des rares hommes politiques de sa génération à parler couramment l’anglais et à avoir vu de l’intérieur le fonctionnement de la grande démocratie américaine. C’est de là probablement que vient son attachement au capitalisme ou tout au moins son opposition au collectivisme naissant.

            En 1870, il est élu maire de Montmartre. Tout en comprenant le peuple de Paris, partisan de la poursuite de la guerre contre les Prussiens, il s’oppose à la Commune et à ses excès. Il ne fuit pas le danger et prend des risques. Il va à la rencontre de la populace pour tenter de sauver deux généraux versaillais qu’elle a capturés. Clemenceau arrive trop tard et manque lui-même de se faire tuer par la foule en délire. Il ne perd pas son sang-froid et s’explique avec les meneurs. Il sauve sa peau de justesse. Grande leçon donnée par Clemenceau : l’homme politique ne doit pas fuir le danger, mais l’affronter.

Gambetta, Hugo et Clemenceau, contre la paix avec l’Allemagne

            En 1871, Clemenceau est élu député. Avec Gambetta et d’autres, il s’oppose à l’armistice et à la cession de l’Alsace et de la Lorraine à l’Allemagne. On l’a oublié aujourd’hui, mais à l’époque le patriotisme est une valeur de gauche. Ainsi un illustre député républicain, Victor Hugo, se prononce pour la poursuite de la guerre, parce que la France ne peut décemment accepter la perte de l’Alsace-Lorraine. Mais la majorité monarchiste de l’assemblée vote la paix au prix des cessions territoriales.

            Battu aux élections suivantes, Clemenceau fait son retour à la chambre en 1876. Il est député radical, c'est-à-dire qu’il est partisan de réformes radicales destinées à établir rapidement les fondements de la République ; autrement dit, il siège à l’extrême gauche. Il s’oppose à Gambetta et à Jules Ferry, chefs de file des « opportunistes », qui privilégient une politique de petits pas afin de ne pas effrayer la bourgeoisie et de la rallier au nouveau régime. Clemenceau, lui, trouve que les choses ne vont pas assez vite et, tout en restant opposé au collectivisme, il déplore l’absence de grande réforme sociale.

            Dans les années 1880, Clemenceau se dresse contre la politique coloniale de Ferry. Le président du Conseil des ministres lance la France dans la conquête d’un empire, considérant qu’il en va de la grandeur du pays. Clemenceau s’y oppose au nom des droits de l’homme… et parce que la politique coloniale va détourner la France de ce qui doit être son objectif principal : le reconquête des provinces perdues. Le mérite de Michel Winock est de nous replonger dans le débat de l’époque, sans anachronisme. Si aujourd’hui nous avons tendance à donner raison à Clemenceau, Ferry faisait valoir, lui aussi, de solides arguments que Winock nous expose

            Clemenceau provoque la chute de Ferry et gagne sa réputation de tombeur de ministères. Il a le verbe haut et, contrairement à l’usage qui veut qu’un orateur reste imperturbable, il n’hésite pas, lui, à répondre du tac-au-tac aux parlementaires qui interrompent ses prises de parole. Il se bat aussi en duel quand il le faut, car un homme politique doit risquer sa vie pour laver son honneur. Ces duels au pistolet finissent en général bien, par une légère blessure au pire, mais un drame reste possible.

Clemenceau éclaboussé par « Panama »

            Clemenceau, tombeur de ministère, est aussi un manipulateur. Quand le général Boulanger, ardent patriote, commence à faire parler de lui, Clemenceau le soutient par derrière. Boulanger présente l’avantage, rare à l’époque, d’être un général républicain. Nommé ministre de la Guerre, il n’hésite pas à épurer les cadres de l’armée et à en rayer les princes des maisons de France. Sans être boulangiste lui-même, Clemenceau utilise Boulanger contre ses adversaires. Mais dès qu’il comprend que le général mène une aventure personnelle au parfum d’antiparlementarisme, Clemenceau s’en détache et le combat.

            Clemenceau se tire sans heurt de l’aventure Boulanger et poursuit sa carrière politique. C’est le scandale de Panama qui le mettra à terre. La classe politique est éclaboussée. De nombreux élus, appelés les chéquards, ont été arrosés par un escroc, Cornélius Herz. Clemenceau n’a pas touché un centime. Mais il croyait pouvoir tirer les ficelles de cette affaire. Or il apparaît qu’il a compté Herz parmi ses proches et que l’escroc a aidé son journal La Justice. Clemenceau semble coupable d’avoir été bien imprudent. Malgré sa harangue célèbre aux électeurs du Var (« Où sont les millions ? »), il est battu aux élections de 93. C’en est fini de Clemenceau.

            Il se retire de la vie politique et se consacre exclusivement au journalisme. C’est par l’affaire Dreyfus qu’il revient dans le jeu. Comme Jean Jaurès, dans un premier temps il croit Dreyfus coupable et, bien qu’opposé à la peine capitale, il s’étonne de la clémence du conseil de guerre qui a renoncé à condamner à mort un homme reconnu coupable du crime de haute trahison. Mais dès que Clemenceau prend connaissance du caractère irrégulier du procès, il se prononce tout de suite pour la révision. Il précise qu’il ne sait pas si Dreyfus est coupable ou innocent, et réclame simplement l’application stricte du droit. Une fois convaincu de l’innocence du capitaine, Clemenceau se bat pour qu’elle soit établie. C’est lui, en tant que directeur de L’Aurore, qui publie le lettre ouverte d’Emile Zola au président de la République, et c’est lui qui place en une le titre « J’accuse ! »

            Clemenceau fait son retour dans l’arène politique en 1902, en tant que sénateur. Lorsqu’Aristide Briand présente aux parlementaires la proposition de loi portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat, Clemenceau, qui réclamait depuis longtemps la séparation, trouve le texte trop favorable aux catholiques, mais finit par le voter. Attention cependant, l’athée Clemenceau, qui combat le pouvoir de l’Eglise catholique, n’est pas forcément là où on l’attend. S’il est un ardent partisan de la laïcité, de l’expulsion des congrégations, il se prononce aussi pour la liberté d’enseignement. Sa prise de position en faveur de la séparation le rend impopulaire à droite, tandis que son soutien à la coexistence de l’école catholique et de l’école publique mécontente la gauche.

A 65 ans, Clemenceau devient ministre pour la première fois

            La forte personnalité de Clemenceau, son caractère imprévisible le maintenait à l’extérieur des gouvernements. C’est seulement en 1906, à l’âge de 65 ans, qu’il devient ministre pour la première fois. Il prend l’Intérieur et devient, comme il aime à le dire, le premier des flics de France. A ce titre, il modernise l’institution et fonde les brigades mobiles, rebaptisées plus tard par la télévision « les brigades du Tigre ». Lui, l’anticlérical, suspend les inventaires dans les églises, qui provoquaient des manifestations de colère de catholiques, déclarant : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas les chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine. » Bientôt il cumule le portefeuille de l’Intérieur avec la présidence du Conseil des ministres. Et lui, Clemenceau, le radical, le social, le républicain d’extrême gauche, se heurte aux grandes manifestations ouvrières et paysannes de 1906-1907. Or, s’il est un homme de dialogue, Clemenceau est avant tout un homme d’ordre qui entend défendre, par la force s’il le faut, le droit des non-grévistes de travailler alors que leurs camarades grévistes les empêchent de rejoindre leur poste de travail.

            Le ministère Clemenceau tombe en 1909, sans qu’il ait fait voter une seule loi sociale. La loi sur le repos hebdomadaire avait été votée juste avant, et la création de l’impôt sur le revenu est rejetée par le Sénat. Clemenceau, redevenu sénateur, ne peut empêcher l’élection à la présidence de la République de son vieil ennemi, Raymond Poincaré. Il s’inquiète de la menace allemande et déplore le manque de préparation de la France. Il se déclare pour le service militaire de trois ans. En cela, il s’oppose à Jean Jaurès, il le juge naïf de croire que l’internationalisme va désarmer les nationalismes.

            De 1914 à 1917, Clemenceau se livre à une guerre de mots, dénonçant dans son journal et au Sénat la faillite des gouvernements successifs dans leurs tentatives de gagner la guerre. Il faut attendre que la situation soit sans issue pour qu’en 1917 Poincaré se décide à faire appel à Clemenceau dans l’espoir de restaurer la situation. Même certains de ses ennemis de droite, comme Léon Daudet, estiment que lui seul, par sa volonté, est en mesure de sauver ce qui peut l’être. Clemenceau, président du Conseil et ministre de la Guerre, mobilise les énergies, il se rend sur le front, marche dans la boue des tranchées, et n’hésite pas à prendre des risques en s’avançant à la portée des unités allemandes. Clemenceau est un patriote héritier des révolutionnaires de 1793, partisan de la nation en armes.

Le 11 novembre 1918, Clemenceau pleure

            En février 1918, l’Allemagne conclut la paix de Brest-Litovsk avec la Russie et peut ainsi masser toutes ses troupes sur le front occidental. Les Alliés ont de quoi être inquiets : si le front est percé, l’Allemagne emportera la victoire définitive. Clemenceau, comme Poincaré, est effaré du pessimisme du général Pétain, qui n’est plus, selon eux, l’homme de la situation. Il lui préfère Foch pour prendre le commandement suprême des forces alliées. Bien que Winock ne soit pas très explicite, on comprend que Clemenceau admire en Foch son optimisme à toute épreuve et son inclination pour une stratégie offensive. Lorsque, le 11 novembre 1918, Clemenceau apprend la signature de l’armistice, il verse des larmes et découvre l’immense popularité dont il jouit, y compris dans les milieux catholiques. Lui, l’élu d’extrême gauche, le tombeur de ministères, est devenu « le Père la Victoire ». Plus tard, il recevra un hommage inattendu, et peut-être exagéré, de la part Kronprinz ; le prince héritier de la couronne allemande écrira dans ses mémoires : « La cause principale de la défaite allemande ? Clemenceau. Oui, Clemenceau fut le principal artisan de notre défaite […] Si nous avions eu un Clemenceau, nous n’aurions pas perdu la guerre. »

            Pour récompenser les Poilus de leur sacrifice et en dépit de la situation économique et financière, Clemenceau fait voter une vieille revendication ouvrière : la journée de huit heures. Puis il consacre ses efforts à la diplomatie. Winock parle de la paix difficile de Versailles et montre que certains ont reproché à Clemenceau d’être trop dur avec l’Allemagne, tandis que d’autres lui ont reproché d’être trop conciliant. Ce sera d’ailleurs l’origine de sa brouille définitive avec Foch, qui critiquera son manque de fermeté supposé pour que la France garde le contrôle de la rive gauche du Rhin. Pourtant Clemenceau reste lucide sur le retour de la menace allemande. Dans son dernier livre, il met en garde les Français contre le retour de « l’empire germanique ». Cet écrit posthume sera publié en 1930, un an après sa mort.

            Winock accompagne sa biographie d’une introduction et d’une conclusion dans laquelle il affiche son ambition : fournir des repères aux Français du XXIème siècle et leur montrer qu’avant la gauche actuelle il existait une autre gauche républicaine et patriote. En cela, Winock est convaincant. Cependant l’ouvrage aurait gagné à une relecture plus attentive : quelques phrases sont mal tournées. Le chapitre intitulé « Clemenceau écrivain » est un peu long. Il manque aussi quelques faits marquants, comme la célèbre réponse de Clemenceau à une interpellation au Parlement, en 1918 (« Politique intérieure ? Je fais la guerre ! Politique extérieure ? Je fais la guerre ! Je fais toujours la guerre ! »). Néanmoins les qualités du livre l’emportent largement sur ces défauts mineurs. Le récit de Winock est très vivant. Au-delà d’une leçon politique, l’auteur nous offre en Clemenceau un modèle de combativité : jamais il ne renonce.

 

Clemenceau, de Michel Winock (2007), éditions Perrin et collection Tempus.

09/12/2013

Lettres, notes et portraits / 1928-1974, de Georges Pompidou

Pour lever le mystère Pompidou

Lettres, notes et portraits / 1928-1974, de Georges Pompidou

Ce recueil contient des écrits inédits rédigés par Georges Pompidou, de sa jeunesse à sa mort. Il permet de mieux cerner la personnalité d’un président méconnu. On découvre un Pompidou humaniste, lucide et visionnaire, qui peut malgré tout se montrer dur dans certains de ses jugements.

            Ce livre contribue à lever le voile sur Georges Pompidou, qui reste peut-être le président le plus mystérieux de la Vème République, tant les contradictions semblent nombreuses dans sa personnalité et son parcours : socialiste dans sa jeunesse, il passa pour être un président conservateur ; féru d’art moderne et convaincu de l’importance de la contestation dans l’art, il n’en resta pas un moins un homme d’ordre ; voulant moderniser la France et la couvrir d’autoroutes, il accorda beaucoup d’importance à l’environnement et à la protection des paysages ; salarié d’une banque privée, il se considéra comme serviteur de l’Etat ; ami de membres de la jet-set, il fut imprégné de la grandeur de la fonction de président… La liste des contradictions apparentes serait longue à dresser et ce livre permet de mieux les comprendre.

          pompidou,lettres notes et protraits,pompidou  Une bonne part de l’ouvrage est constituée de la correspondance de Pompidou avec Robert Pujol, son ami de jeunesse et frère spirituel, professeur comme lui, avec qui il a échangé pendant plus de quarante ans. Sans tabou, Pompidou évoque avec lui de très nombreux sujets et livre, avec franchise, le fond de sa pensée. Ainsi, en 1934, il écrit à Pujol que la perspective du professorat l’ennuie profondément, mais reconnaît un avantage certain à son futur métier : la longueur des vacances. En 1967, alors qu’il est premier ministre, Pompidou écrit sans ambages : « En réalité, la politique serait idéale si on avait trois mois de vacances […] ». Ancien professeur, il suit de près les dossiers d’éducation et, en 1961, il écrit à Pujol qui se plaint de sa situation dans l’enseignement : « […] Je me suis parfois senti tenté de prendre le ministère de l’Education nationale pour tout foutre en l’air. Et puis je me suis dit que c’était une tâche surhumaine. »

Pompidou sauve la tête de Jouhaud,

mais refuse de gracier Buffet et Bontemps

            Pompidou a aussi échangé une correspondance assez étonnante avec François Mauriac, auquel il confie ses états d’âme. A la mort de l’homme de lettres, il écrit à sa veuve que son mari fut un peu son confesseur. C’est un Georges Pompidou très humain qui apparaît au fil des pages du recueil. Tout frais premier ministre, en 1962, il met sa démission dans la balance pour sauver la tête du général Jouhaud, l’un des auteurs du putsch d’Alger, condamné à mort et que de Gaulle tient absolument à faire exécuter. De Gaulle finira par céder et acceptera de gracier Jouhaud. Autre preuve d’humanité, au lendemain de la guerre d’Algérie, Pompidou écrit au père Régamey, l’un des porte-parole du mouvement des objecteurs de conscience, et lui annonce la mise en place d’un service civil. Mais attention, Pompidou l’humain n’est pas un faible. S’il a tenu tête à de Gaulle pour sauver Jouhaud, il reste néanmoins favorable à la peine mort. En 1972, dans une longue note argumentée destinée à ses archives, il se justifie d’avoir refusé la grâce pour Buffet et Bontemps, et épingle au passage maître Badinter, avocat de Bontemps. Selon la procédure alors en vigueur, Pompidou reçoit les avocats des condamnés : « Ce qui me frappe, c’est que tous bien sûr sont contre la peine de mort (encore que Badinter, pour défendre Bontemps, me paraisse prêt à expédier Buffet sans remords). ». Sur le fond du dossier, Pompidou justifie son refus de grâce au nom de la précaution, sachant que, lors de leur tentative d’évasion de la centrale de Clairvaux, Bontemps et Buffet ont égorgé deux personnes. Pompidou écrit : « Si on met Buffet, dément, dans un asile, combien de médecins, d’infirmiers ou d’infirmières, mettra-t-il à son tableau de chasse, ne pensant bien sûr qu’à s’évader ? Il a été prouvé que la prison n’était pas une précaution. »

            Le Pompidou le plus inattendu est celui qui veut moderniser la France sans la défigurer. Il écrit son désespoir après avoir découvert, en passant en voiture, la construction de la tour de la faculté de Jussieu. Contre son premier ministre et son administration, il défend la sauvegarde des alignements d’arbres le long des routes dans une lettre à Jacques Chaban-Delmas : « Il ressort que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. […] Quelle que soit l’importance des problèmes de circulation et de sécurité routière, cela ne doit pas conduire à défigurer notre pays. […] Le maintien de nos routes plantées d’arbres est essentiel pour la beauté de la France, la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un environnement humain. […] Le sauvetage du paysage français doit être une de nos préoccupations. »

Même le Pompidou féru d’art contemporain n’est pas celui qu’on croit quand il écrit que, de toutes les œuvres qu’il a achetées, c’est quatre aquarelles de Rodin qui le touchent le plus. Mais il ajoute aussitôt qu’il veut être de son temps en suivant la recherche et l’aventure en matière d’art.

Un portrait cruel de Jacques Chaban-Delmas

            Il y a aussi le Pompidou qui, fort de son expérience, livre ses réflexions sur le fonctionnement de l’Etat. Au lendemain de son départ de Matignon, il se livre à une analyse du rôle du premier ministre et admet la difficulté de la charge : « Son rôle n’est pas […] facile. D’abord, pour être à l’aise et en repos avec sa conscience, il faut jamais n’être en désaccord avec les décisions importantes du chef de l’Etat. Le premier ministre doit, si j’ose dire, être sur la même longueur d’onde que le président de la République. ». Dans ces réflexions émises en 1968, on peut voir les prémisses de la confrontation qu’il aura avec son premier ministre Jacques Chaban-Delmas, dont il dresse un portrait cruel : « Il travaille peu, ne lit pas de papiers, en écrit encore moins encore, préférant discuter avec ses collaborateurs et s’en remet essentiellement à eux qu’il choisit bien, pour ce qui est des affaires publiques s’entend. » De Mitterrand Pompidou écrit à plusieurs reprises qu’il n’est pas socialiste : « Comment peindre quelqu’un que je ne connais pas ? Je ne puis formuler que des impressions liées à son comportement physique et politique. […] Il suffit de le voir pour se rendre compte qu’il n’est pas socialiste. » Quelques fois Pompidou varie : dans un premier temps, il défend le septennat, pour ensuite, avec des arguments inversés, défendre le quinquennat, peut-être sous l’effet de la maladie.

            Pompidou le banquier n’est pas un homme d’argent. Il dépense tout ce qu’il gagne et ne court pas après les indemnités. Quand, en 1959, de Gaulle le nomme au Conseil constitutionnel, il lui répond favorablement mais lui demande à ne pas être rémunéré dans l’exercice de cette fonction publique, alors qu’il continue d’exercer son activité professionnelle au service des Rothschild : « Je souhaite pour ma part pouvoir renoncer à ce traitement [de membre du Conseil] dans sa totalité. Le cumul même partiel avec mes émoluments privés m’apparaîtrait excessif et serait critiqué. Je pense, mon Général, que vous partagerez ce point de vue et que si vous donnez suite à votre projet de me nommer, vous voudrez bien m’autoriser à exercer ces fonctions à titre purement bénévole. »

Le livre présente un écrit atypique : une auto-interview de Pompidou intitulée Entretien imaginaire. Pompidou y livre ses goûts, notamment en matière de littérature. Sur une île déserte, il emporterait tout Balzac, mais pas Zola (« Il écrit vraiment trop mal »). Par ailleurs, dans une lettre à Mauriac qui avait évoqué Les Possédés de Dostoïevski dans son Bloc-notes, Pompidou écrit qu’il considère « ce livre comme peut-être le chef d’œuvre de la littérature romanesque ». Plus jeune, en 1931, Pompidou évoque son goût prononcé pour Baudelaire « Et plus je réfléchis, plus je me sens près de Baudelaire. […] Je m’aperçois qu’il avait les mêmes goûts que moi. »

            Le recueil est complété d’un témoignage d’Alain Pompidou. Enfant adopté, il rend hommage à ses parents, qui lui ont « prodigué une affection débordante », si bien qu’il n’a jamais cherché à connaître ses origines.

Il est dommage que les lettres publiées ne soient pas précédées de quelques lignes explicatives qui les remettent dans leur contexte. Néanmoins, le livre est passionnant et permet de se rendre compte de la richesse de la personnalité de Pompidou. Son souvenir ne saurait se limiter à l’affaire Markovic et à la maladie qui l’emporta en 1974.

 

Lettres, notes et portraits / 1928-1974 de Georges Pompidou (2012), aux éditions Robert Laffont.

01/12/2013

La Banquière, de Francis Girod

Romy reine de la finance des Années folles

La Banquière

 

C’est l’un des derniers rôles de Romy Schneider. Elle joue un personnage inspiré de Marthe Hanau, la banquière des Années folles. La reconstitution est soignée et la distribution prestigieuse. Le spectateur passe un agréable moment.

            Il est des films que l’on a plaisir à voir et à revoir. La Banquière est de ceux-là. Francis Girod s’est directement inspiré de la vie de Marthe Hanau, « la banquière des Années folles », qui ruina des milliers de petits épargnants en mettant en place une pyramide dite de Ponzi. Comme Madoff bien des années plus tard, elle servait des taux d’intérêt très élevés à ses clients, en l’occurrence 8% ; mais, en réalité, elle les rémunérait avec l’argent des nouveaux souscripteurs.

     la banquière,francis girod,romy schneider,trintignant,jean-claude brialy,marie-france pisier,jean carmet,claude brasseur,jacques fabbri,daniel mesguich,georges conchon,morricone       La Banquière, sorti en 1980, est l'un des meilleurs films de Francis Girod. Sa réalisation oscille entre le roman-feuilleton et l’histoire illustrée. La reconstitution de la France de l’entre-deux-guerres est soignée, elle offre des décors somptueux de palaces et d’hôtels particuliers, dans lesquels la queue-de-pie ou le smoking sont de rigueur. Les chapitres de ce film roman-feuilleton, si l’on peut parler de chapitres, s’enchaînent  avec harmonie et sont suffisamment courts pour que nous n’ayons pas le temps de nous ennuyer. Le scénario de Georges Conchon rappelle celui qu’il avait écrit deux ans plus tôt pour Le Sucre de Jacques Rouffio. Inspiré lui aussi d’une histoire vraie, ce film racontait la spéculation sur le sucre qui avait ruiné des petits épargnants. Les professionnels de la finance n’y étaient pas épargnés, ils ne le sont pas non plus dans La Banquière. On nous y martèle que les banques servent 1% d’intérêt, au mieux 1,5%, ce qui paraît peu.

            La Banquière fait aussi penser à L’Affaire Stavisky d’Alain Resnais, sorti en 1974, qui racontait une affaire similaire, également dans une reconstitution somptueuse de la France de l’entre-deux-guerres, avec une distribution éclatante, Jean-Paul Belmondo en tête. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du film de Francis Girod. On y revoit avec beaucoup de plaisir le défilé d’acteurs qu’il nous offre. Marthe Hanau, rebaptisée Emma Eckhert, est interprétée par Romy Schneider. On sent que l’actrice s’est reconnue dans ce personnage rebelle, atypique, aux amours libres, qui se heurte à son milieu et à la bonne société ; Emma Eckert est entourée d’hommes qu’elle mène par le bout du nez. On voit apparaître d’autres acteurs fameux, dont certains sont aujourd’hui disparus : Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Jacques Fabbri…

Dans cette ambiance Années folles, la musique d’Ennio Morricone enveloppe l’œuvre d’un charme discret. Une fois le film fini, le spectateur n’a pas forcément compris tous les ressorts de la finance, mais, malgré quelques scènes pénibles, il a passé un agréable moment et c’est là l’essentiel.

 

La Banquière de Francis Girod (1980), avec Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Jean-Claude Brialy, Marie-France Pisier, Jean Carmet, Claude Brasseur, Jacques Fabbri et Daniel Mesguich, DVD Studio Canal.