15/02/2016
La Recherche de l'absolu, de Balzac
Le monomaniaque à la passion dévorante
La Recherche de l’absolu
A Douai, un notable, Balthazar Claës, se livre à des expériences de chimie dans son laboratoire. Cet homme est à la recherche de l’absolu, qui lui apportera gloire et fortune. Il ne fait plus attention ni à sa femme, ni à ses enfants, ni au monde qui l’entoure, et ne s’intéresse plus qu’à ses expériences. Le portrait que fait Balzac de cet être monomaniaque est remarquable.
Dès la première page du roman, Balzac informe le lecteur qu’il ne le fera pas entrer tout de suite dans l’action. Il va d’abord lui infliger des pages d’exposition, que, déjà à l’époque, certains critiques trouvaient fastidieuses. Et Balzac de se justifier en évoquant « la nécessité de ces préparations didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient des émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation. » Le lecteur est donc prié de se montrer patient dans sa lecture des pages d’exposition, qui peuvent paraître longues et ardues. Mais ensuite, il se félicitera de s’être montré patient, tant il finira par s’attacher aux personnages et à l’histoire.
A Douai, monsieur Balthazar Claës-Molina de Nourho, qui se fait tout simplement appeler Balthazar Claës, appartient à l’une des plus vieilles familles de la ville. En 1812, il est âgé d’une cinquantaine d’années et a tout pour être heureux : une femme aimante, de beaux enfants et de l’argent. Pourtant, depuis trois ans, il a beaucoup changé. Alors qu’il était auparavant un caractère noble et attentionné, il s’est renfermé sur lui-même. Il passe l’essentiel de ses journées à l’intérieur du laboratoire qu’il s’est aménagé dans sa vaste demeure. Il ne prend même plus soin de lui-même, nous dit Balzac : « Ses mains poilues étaient sales, ses longs ongles avaient à leurs extrémités des lignes noires très foncées. »
Devenu très distrait comme le sont bien des savants, Balthazar ne s’aperçoit pas de sa crasse, pas plus qu’il ne se rend compte de la présence de sa femme et de ses enfants, ou qu’il n’a conscience qu’il est en train de brûler dans ses expériences la fortune de la maison Claës. Tout son esprit est tourné vers les travaux de chimie qu’il mène dans son laboratoire. Depuis plusieurs années maintenant, il s’est lancé dans la recherche de l’absolu : « une substance commune à toutes les créations, modifiée par une force unique. » Plus concrètement, il mène des expériences qui le conduisent à décomposer le diamant, pour en avoir le secret et en fabriquer ensuite. Or il est sur le point d’aboutir. Plein d’enthousiasme, il s’en ouvre à sa femme Joséphine, qui commençait d’être inquiète de tout cet argent dépensé en vaines expériences. Il veut lui faire partager sa joie et lui déclare : « Mais demain, mon ange, notre fortune sera peut-être sans bornes. Hier en cherchant des secrets bien plus importants, je crois avoir trouvé le moyen de cristalliser le carbone, la substance du diamant. O ma chère femme !... dans quelques jours tu me pardonneras mes distractions. » Régulièrement, Balthazar est sur le point de conclure brillamment sa série d’expériences. Ainsi, quelques temps plus tard, à nouveau il se montre plein d’enthousiasme et dit à sa femme : « Je n’osais te dire qu’entre l’absolu et moi, à peine existe-t-il un cheveu de distance. » Et, encore un autre jour, il déclare que « dans six semaines tout sera fini ! » Il lui suffirait d’un rien pour atteindre le résultat escompté. Mais, en attendant, il lui faut encore disposer de numéraire pour financer ses ultimes expériences. C’est ainsi qu’il aliène la fortune de sa famille au profit d’une chimère.
Balthazar se montre séduisant comme le serpent,
pour extorquer de l’argent à ses proches
Les intentions de Balthazar sont nobles, il veut donner à sa famille gloire et fortune. Mais, comme le fait remarquer Marthe, sa bonne, « il est possédé par le démon, cela se voit ! » Et, après tout, il est bien connu que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Entièrement centré sur lui-même et ses expériences, Balthazar se coupe progressivement du monde extérieur. Il est devenu monomaniaque. Seule la recherche de l’absolu stimule son cerveau. Il ne s’intéresse à rien d’autre. Même les graves événements politiques de l’époque ne retiennent pas son attention. En 1812, la Retraite de Russie le laisse complètement indifférent. Ainsi que l’écrit Balzac : « il n’était ni mari, ni père, ni citoyen, il fut chimiste. »
Par contraste, dans cette histoire, les femmes se montrent admirables. Joséphine est parfaitement lucide sur l’état de son mari et déplore sa monomanie. Elle le met en garde en lui disant que, par ses expériences, il poursuit l’impossible. Cependant elle accepte de le voir engloutir la fortune de la famille. Son amour pour son mari est tel, qu’elle finira par se sacrifier entièrement à lui. Peut-être plus admirable encore est leur fille Marguerite, une jeune femme digne, réfléchie et volontaire, qui aime tellement son père qu’elle voudrait le voir revenir à la raison. Mais la voie est étroite, car il est devenu un être redoutable. Il flatte autrui et se montre séduisant comme le serpent, pour extorquer de l’argent à ses proches. Et s’ils refusent, il se raidit et les accuse d’être égoïstes, alors que lui ne l’est pas, car, comme il le souligne lui-même, « il travaille pour l’humanité ».
Comme souvent chez Balzac, il est beaucoup question d’argent et les notaires sont de la partie. Mais ce qui fait l’originalité de l’histoire, c’est le portrait que fait Balzac d’un monomaniaque dévoré par sa passion, tel qu’on en trouvera plus tard dans l’œuvre de Stefan Zweig. A cela s’ajoutent les peintures de femmes amoureuses, l’une de son mari, l’autre de son père, qui sont aussi très réussies.
La Recherche de l’absolu, de Balzac, 1834, collection Folio.
07:30 Publié dans Fiction, Livre, Livre de fiction (roman, récit, nouvelle, théâtre), XIXe siècle | Tags : la recherche de l'absolu, balzac, la comédie humaine | Lien permanent | Commentaires (0)
01/02/2016
Peur sur la ville, d'Henri Verneuil
Western urbain
Peur sur la ville
Peur sur la ville fut un succès en salles qui permit à Belmondo de retrouver les faveurs du public. Dans ce film policier aux allures de western urbain, Belmondo poursuit Minos, tueur psychopathe qui porte un œil de verre. L’acteur n’a pas de doublure dans les scènes de cascade, on le voit notamment déambuler sur le toit d’une rame de métro.
En 1975, Belmondo cherchait à effacer le semi-échec qu’avait représenté pour lui L’Affaire Stavisky, de Resnais. Certes le film avait dépassé le million d’entrées en salles, mais c’était un score relativement faible par rapport à ses précédents films. A cela s’ajoutait le fait que L’Affaire Stavisky avait été mal accueilli au festival de Cannes, où des sifflets avaient accompagné la projection. L’association entre Belmondo, grand acteur populaire, et Resnais, cinéaste réputé intellectuel, n’avait pas été concluante.
Décidé à retrouver les faveurs du public, Belmondo fit appel à Henri Verneuil. Les deux hommes se connaissaient bien, le réalisateur ayant dirigé l’acteur à plusieurs reprises, notamment dans Un singe en hiver. La réputation de Verneuil n’était plus à faire, il était considéré comme un grand professionnel, et ses films étaient en général de grands succès en salles. Imprégné de cinéma américain, il avait même tourné à Hollywood. Peut-être pouvait-on lui reprocher de manquer d’originalité et de faire du cinéma « commercial », mais au moins, lui, avait-il assimilé les règles des maîtres de la série B et en avait gardé le sens du rythme et de l’action.
Dans Peur sur la ville, Belmondo incarne, pour la première fois, un policier aux méthodes musclées. Cette espèce de cow-boy des villes revêt des blousons de cuir dans les scènes d’action. En cela il fait penser à l’authentique commissaire Broussard… et à l’imaginaire inspecteur Harry, créé à l’écran par Clint Eastwood. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que Peur sur la ville est une simple transposition de L’Inspecteur Harry (Dirty Harry). Verneuil a su créer un « produit » original. Le scénario, écrit en collaboration avec Francis Veber, est très bien ficelé. Deux intrigues sont déroulées en parallèle sans que cela ne nuise à l’unité du film et à sa clarté. D’une part Belmondo est sur la piste du gangster Marchiani, ennemi public n°1 ; et d’autre part il traque un tueur psychopathe, Minos, qui étrangle des femmes qui, à ses yeux, manquent de vertu et ont une conduite que la morale réprouve. Minos a la particularité de porter un œil de verre, ce qui ne manque pas d’impressionner visuellement le spectateur, d’autant plus que cet œil tombe et casse lors d’une poursuite.
La volonté de Belmondo d’exécuter lui-même ses cascades
compliquait le travail du réalisateur
Evidemment, le plus apporté par Belmondo, ce sont les cascades qu’il entreprend lui-même, sans doublure. On le voit pendu à un hélicoptère par l’intermédiaire d’un treuil ; il se livre à une course-poursuite sur les toits de Paris ; et la séquence la plus mémorable se déroule au-dessus d’une rame de métro. L’image qui reste dans les mémoires est celle du métro passant le pont de Bir-Hakeim, avec Belmondo, debout, marchant sur le toit d’une voiture. Ce morceau de bravoure donna lieu à plusieurs prises. Sur celle gardée au montage, la rame roule à soixante kilomètres par heure. Verneuil aimait à rappeler que, contrairement à ce que l’on pouvait croire, le fait que Belmondo veuille exécuter lui-même ses cascades était source de complication. En effet, si une doublure est accrochée à un hélicoptère, il suffira de la filmer de loin et la scène sera assez simple à tourner. En revanche, si c’est Belmondo qui est lui-même pendu à l’hélicoptère, il faudra approcher la caméra de son visage pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une doublure.
Verneuil donne à son film un caractère de western urbain. Il aime à filmer le Paris des années soixante-dix avec ses constructions modernes, tels les tours du Front de Seine, le périphérique et le RER.
Par ailleurs, la musique d’Ennio Morricone est oppressante et ajoute de la tension au film.
A sa sortie, Peur sur la ville réunit plus de quatre millions de spectateurs et permit à Belmondo de retrouver les faveurs du public. Son attaché de presse René Château avait savamment conçu l’affiche du film en y faisant figurer la personne de l’acteur et en inscrivant en grosses lettre le nom de Belmondo, sans même mention du prénom. On peut dire que c’est à ce moment-là que s'affirma le personnage de Bébel, héros gouailleur et cascadeur, qui occupa la première place du box-office jusqu’au milieu des années quatre-vingts.
Peur sur la ville, d’Henri Verneuil, 1975, avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner et Lea Massari, DVD Gaumont.
07:30 Publié dans Film, Policier, thriller, suspense | Tags : peur sur la ville, verneuil, belmondo, charles denner, lea massari, morricone | Lien permanent | Commentaires (0)
25/01/2016
J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir, de Christine Arnothy
Le siège de Budapest vécu par une fillette
J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir
Ce livre, qualifié d’autobiographie, est le récit au jour le jour du siège de Budapest, en 1945. L’auteur, Christine Arnothy, raconte le calvaire qu’elle vécut, alors qu’elle n’avait que quinze ans. Elle fait partager au lecteur ses émotions et sa peur de la mort, dans une ville en proie aux bombardements.
En 1954 paraissait J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir. Le succès du livre fut immédiat. Son auteur, Christine Arnothy, était une jeune réfugiée hongroise installée en France. Quelques années plus tôt, elle avait fui son pays natal, en compagnie de ses parents ; ils étaient partis sans bagage, elle-même emportant pour seul bien les feuillets de son journal, cousus dans son manteau. C’est ce journal qui est la source de J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir. Christine Arnothy y raconte au jour le jour comment elle vécut le siège de Budapest et le calvaire enduré par ses habitants au début de l’année 1945.
La fillette et ses parents habitaient alors un immeuble en bordure du Danube. Au début des combats, ils trouvèrent refuge dans la cave : « Les trois premiers jours passèrent assez vite. A chaque craquement de l’escalier, nous pensions : voilà les Russes, les combats ont pris fin près d’ici, nous pourrons remonter dans nos chambres et renouer le fil de notre existence […]. Au cinquième jour de notre exil dans les souterrains, il fut évident que les Allemands avaient décidé de défendre la ville. C’est alors que nous perdîmes toute notion du temps. Les journées mortelles, angoissantes, se succédèrent avec une lenteur accablante. » Les Allemands, qui n’ont plus rien à perdre, sont décidés à vendre chèrement leur peau et les bombardements deviennent presqu’incessants.
Les locataires de l’immeuble, qui s’ignoraient jusqu’ici, en sont réduits à vivre dans la même cave : « Ils dormaient, mangeaient, se lavaient et se chamaillaient dans la promiscuité la plus totale. » Et ensemble ils sont condamnés à affronter la peur de la mort, que chacun ressent individuellement à chaque bombardement. Quand un prêtre leur rend visite dans la cave, Christine se confesse à lui : « Je ne veux pas mourir, mon père, lui dis-je presqu’en pleurant. Je n’ai que quinze ans et j’ai affreusement peur de la mort. Je veux vivre encore. »
Suite à un vol de vivres, des soldats allemands menacent de fusiller tous les locataires de l’immeuble. Christine a alors très peur, mais le voisin de ses parents, un magistrat en retraite, a encore plus peur qu’elle : « Le procureur général criait qu’il voulait encore vivre. Je me disais qu’il avait déjà vécu quatre-vingt ans, tandis que, moi, je n’en avais que quinze, et j’avais plus de raison que lui de pleurer… » Et c’est le procureur général qui manifestera le plus vif soulagement à la perspective d’échapper à la mort.
Dans cette ville en ruines, les cœurs durs ont plus de chances
de survivre que les cœurs tendres
Le récit de Christine Arnothy montre bien à quel point la guerre bouleverse les relations sociales. Le chaos finit par s’installer dans la ville, et, dès que les Allemands sont partis, des habitants s’adonnent au pillage. Même le procureur général participe au sac du tribunal. Christine Arnothy le constate : « Toutes les notions morales sont bouleversées dans cette ville en ruine. Le vice compte pour la vertu et les cœurs durs ont plus de chances de survivre que les cœurs tendres. »
La peur ne disparaît pas avec l’arrivée des Russes, car ils ne sont pas les libérateurs que l’on croyait qu’ils seraient. Une femme de soixante-treize ans dit avoir été violée par cinq soldats russes, l’un après l’autre.
Christine et ses parents réussissent à s’échapper de Budapest occupé par les Russes, et gagnent la maison qu’ils possèdent en périphérie. Ils y retrouvent tante Julia à qui ils ont prêté leur maison. Quand elle les voit arriver, tante Julia n’est pas folle de joie. Au contraire, elle est ébahie et leur déclare : « Comment, vous n’êtes pas tous morts, vous autres ? » Elle semble très déçue qu’ils soient encore en vie. Comme le note Christine Arnothy, elle les avait probablement pleurés un moment, puis elle avait admis qu’ils étaient morts, et s’était consolée à la perspective de garder la maison pour elle et ses enfants. A Budapest et dans ses environs, règne le chacun pour soi. L’essentiel étant de survivre soi-même, cela devient un luxe de se soucier de son prochain.
Malgré tout, dans ce récit, il y a de rares moments d’humanité ; il n’y a alors plus d’Allemands, plus de Russes, plus de Hongrois, mais seulement des frères humains. Ces moments sont brefs et n’empêchent pas le tragique de se produire.
J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir est un récit court et facile à lire, qui montre le vrai visage de la guerre. Un lecteur adolescent s’identifiera sans mal à la narratrice.
J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir, de Christine Arnothy, 1954, collection Le Livre de Poche.